La bonne santé du capital-risque IT sur les premiers mois de l'année (lire
l'article
du 31/03/06), et notamment des premiers tours, remet au goût du jour les questions
relatives à l'entrée d'investisseurs professionnels au capital des start-up. Pour
les fondateurs en mal de fonds, il est un point à ne pas négliger : avant la lune
de miel, il faut rédiger un contrat de mariage. Dans le cadre d'un closing, celui-ci
est appelé pacte d'actionnaires, et va régir les relations entre les actionnaires
jusqu'au tour de table suivant. Il est encore temps d'en comprendre les ressorts
et les enjeux. Explications.
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Qu'est-ce qu'un pacte d'actionnaires ?
Il s'agit d'un contrat écrit, modifiable par avenant à l'unanimité, signé entre
les actionnaires et les investisseurs d'une entreprise, qui complète les statuts
de la société et a pour but de garantir des droits aux signataires et de définir
leurs engagements, en fonction des clauses qu'il contient. Il pose les règles
du jeu relatives aux relations entre les principaux actionnaires, en termes de
répartition des pouvoirs, de protection des minoritaires et d'évolution de l'actionnariat.
Le pacte d'actionnaires est la plupart du temps rédigé par un juriste ou un avocat.
Si la société n'est pas cotée en bourse, il n'est pas public et peut donc rester
secret, ce qui lui confère son principal intérêt, la majorité des clauses qu'il
contient habituellement pouvant aussi bien être inscrites dans les statuts de
la société. Mais, contrairement à un changement des statuts qui requiert une majorité
des deux tiers pour être approuvé, la modification d'un pacte d'actionnaires impose
un accord à l'unanimité des signataires.
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A quoi sert-il ?
"Le pacte d'actionnaires va chercher à garantir la liquidité de l'entreprise",
explique Pascal Mercier, directeur associé d'Aelios Finance, société de conseil
spécialisée dans les levées de fonds, les fusions-acquisitions, les introductions
en bourse et les LBO. La liquidité d'un placement financier exprime sa capacité
à être "converti" en monnaie. La liquidité d'une société, c'est sa faculté de
pouvoir être achetée ou vendue facilement. "Quand un investisseur rentre dans
une société, ce n'est pas pour toucher des dividendes, précise Pascal Mercier,
c'est pour en sortir à un moment donné."
C'est pourquoi le pacte d'actionnaires traite à la fois de l'organisation du contrôle
de la société par ses dirigeants et ses actionnaires, mais aussi - et même surtout
- des différentes situations de sortie du capital. Dans ce cadre, il catégorise
également les actions détenues par chacune des parties, catégorisation qui peut
être aussi spécifiée de façon statutaire. Le principe : à chaque type d'action
(A, B, C
) sont associés des droits, qui peuvent être politiques (siège au conseil
d'administration...) ou économiques (dividende majoré, cession préférentielle
).
Le pacte peut notamment définir des règles de rachat particulières pour des actions
dites "de préférence". C'est ainsi qu'une clause de cession préférentielle permet
par exemple au détenteur d'actions de préférence, en cas de cession de l'entreprise,
de bénéficier d'une répartition du montant de la vente proportionnellement plus
favorable que sa part réelle de titres. Au final, la négociation du pacte d'actionnaires
doit permettre de protéger de manière équilibrée fondateurs et investisseurs.
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Quand faut-il rédiger un pacte d'actionnaires ?
"Dès qu'un investisseur institutionnel entre dans une société, il demande à ce
qu'un pacte d'actionnaires soit rédigé, indique Pascal Mercier. Même les
business angels les plus aguerris en réclament un, aujourd'hui." Un tour, un pacte,
telle est la règle. Car le nouvel investisseur, si un nouveau pacte n'est
pas réalisé, n'est en aucune manière lié au précédent. Le pacte fait donc partie
intégrante des documents produits lors d'un closing, au même titre que la convention
d'investissement, qui définit les modalités de la prise de participation des nouveaux
actionnaires, et la garantie de passif, qui vise à garantir l'authenticité des
éléments ayant permis de valoriser la société lors des négociations (propriété
intellectuelle, absence de dettes cachées, respect des lois sociales, etc.). Quant
à sa durée, seuls des éléments contractuels prévus dans le pacte peuvent le faire
"sauter". En effet, si en pratique les pactes sautent lors de cession de titres,
d'introduction en bourse ou de nouveau closing, ce n'est pas automatique.
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Quelles sont les clauses les plus fréquentes ?
Les pactes d'actionnaires ont toujours existé, mais leur contenu a évolué, comme
le retrace Pascal Mercier. "En 2000, on en voyait de très simples, d'une dizaine
de pages. Après, il y a eu tout et n'importe quoi car les investisseurs ne parvenaient
pas à valoriser les sociétés. Dans des pactes de 100 pages, parfois très déséquilibrés
car les investisseurs se surprotégeaient, figuraient des clauses très compliquées,
que l'on a même du mal à comprendre lorsqu'on les retrouve maintenant ! Aujourd'hui,
les pactes se sont vraiment simplifiés."
> Les clauses de contrôle des titres
Ce type de clause a pour objet d'assurer la liquidité de l'entreprise. Citons
la clause d'agrément, qui oblige l'actionnaire qui souhaite céder ses parts
à obtenir au préalable l'agrément de la société ; la clause de préemption,
qui confère des droits prioritaires sur le rachat des parts qui seraient cédées
par un autre actionnaire ; la clause d'entraînement ("drag along"), qui
permet d'obliger les minoritaires à céder leurs actions en même temps que les
majoritaires, de sorte par exemple que les premiers ne bloquent pas une acquisition
; la clause de sortie conjointe, qui permet cette fois aux minoritaires
d'exiger d'un cédant qu'il obtienne l'accord de l'acquéreur afin que ce dernier
rachète également leurs actions, aux mêmes conditions ; la clause de liquidité,
qui fixe un horizon défini aux fondateurs pour mener à bien la cession ou l'introduction
en bourse de la société, à défaut de quoi les investisseurs s'autorisent à mandater
une banque d'affaires pour effectuer la cession ; la clause de "buy or sell",
qui profite aux financiers en contraignant un actionnaire B soit à racheter les
parts de A, soit à vendre ses parts à A au prix proposé par A pour la cession
de ses parts ; la clause de liquidation ou de cession préférentielle, qui
garantit aux investisseurs de récupérer leur mise en cas de cession ou de liquidation
; la clause anti-dilution, par laquelle l'actionnaire majoritaire s'engage
à réserver une partie de l'augmentation de capital, lors d'un nouveau tour, au
bénéficiaire de la clause afin qu'il puisse maintenir son pourcentage de capital
en participant au tour.
>Les clauses de contrôle de l'équipe dirigeante
Ces clauses permettent aux financiers de contrôler la manière dont leur argent
est dépensé, et de s'assurer de la bonne collaboration des fondateurs ou dirigeants,
tout en ne s'impliquant pas dans la gestion directe de l'entreprise. Elles complètent
les statuts, qui organisent souvent les sociétés financées en SA avec directoire
et conseil de surveillance. Par le biais du pacte, les investisseurs imposent
des clauses d'information préalable pesant sur les dirigeants, qui fixent
des seuils ou des décisions pour lesquels l'accord des investisseurs est obligatoire.
Le contrôle s'exerce également via des clauses de non concurrence et d'exclusivité,
et des clauses de "bad leaver", qui prévoient des sanctions si le dirigeant
quitte la société dans certaines conditions.
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Que se passe-t-il si le pacte n'est pas respecté ?
Le pacte d'actionnaires étant un contrat, s'il n'est pas respecté, la partie lésée
peut engager une procédure auprès du tribunal de commerce ou du tribunal de grande
instance. Le pacte peut également comporter des clauses d'arbitrage, permettant
de résoudre le conflit plus rapidement. Cela dit, au bout de la procédure, point
d'obligation d'exécution. "La sanction se limite à des dommages et intérêts, indique
Nicolas Valluet, avocat associé au cabinet Valluet Achache & Associés, qui a participé
à la rédaction de bon nombre de pactes d'actionnaires. Mais la véritable sanction,
c'est le conflit d'actionnaires, qui n'est bon pour personne, car l'entreprise
devient dans cette situation très difficile à gérer." Si les conflits liés au
pacte d'actionnaires existent, sans être fréquents, Nicolas Valluet précise n'avoir
jamais vu de litige résultant d'une contestation de la validité d'une clause.
"Même si je suis parfois sceptique sur l'appréciation d'un tribunal sur la validité
de certaines clauses, je n'ai jamais rencontré ce cas de figure." Signe que les
négociations atteignent leur but. |