Après avoir quitté
Business Interactif pour fonder BrainSonic, une société
proposant aux entreprises des modules de formation aux
nouvelles technologies, distribués notamment
en e-learning, Jean-Louis Bénard, l'un des experts
français des technologies Internet, ancien fondateur
de FRA (racheté en 2001 par Business Interactif)
revient ici sur son parcours, ses projets, sa vision
du marché des services, de la formation, et sur
les grands enjeux de l'industrie informatique en cette
fin 2003. Une heure de discussion sur une large palette
de thèmes.
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Invité
: Jean-Louis Bénard, fondateur
de BrainSonic (voir sa fiche
dans le Carnet des Managers) |
Date
: Mardi 23 septembre, 18h-19h |
Nombre de questions
retenues : 22 |
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Que pensez-vous de la conjoncture
IT ?
Jean-Louis Bénard : Le marché est
encore très difficile, pour l'ensemble des acteurs.
La reprise est attendue pour 2004, mais on entendait
déjà avant. En fait il s'agit plutôt d'une véritable
mutation du marché. Toutes les industries connaissent
leur révolution, le marché IT n'échappe pas à la règle.
Comment
évaluer le ROI des projets informatiques ? Est-ce seulement
possible ?
La mesure du ROI est perverse : elle mesure
souvent les coûts économisés, elle adresse donc souvent
des projets d'intégration, de concentration et moins
souvent des projets de développement où le ROI est plus
difficile à mesurer. C'est dommage car pour rebondir
il faut souvent faire plus que "restructurer".
Dans quels cas vaut-il mieux
se tourner vers un prestataire ?
L'idéal est de sous-traiter ce que l'on
maîtrise. Mais ce n'est pas toujours possible. La complexité
et la diversité des technologies, la double compétence
métier et technique nécessaire fait que l'on doit aussi
parier sur une relation de confiance avec le prestataire.
Il est souvent prudent de démarrer avec un premier projet
de taille limitée, qui permet aux deux parties d'apprendre
à se connaître. Si le mariage est réussi, on peut renouveler
l'expérience. De plus en plus de clients adoptent ce
type de démarche itérative. C'est plutôt sain.
La gestion d'un projet faisant
appel à plusieurs intervenants extérieurs peut se révéler
complexe ?
Oui, car la collaboration entre
plusieurs acteurs ne se résume pas à la mise en place
d'une plate-forme collaborative. Il faut arriver à créer
une véritable synergie entre les intervenants, et ce
n'est pas toujours simple. C'est d'ailleurs ce qui avait
motivé le rapprochement de FRA avec Business Interactif
: nous souhaitions offrir au client davantage d'intégration
entre des prestations différentes.
Est-il réaliste d'externaliser
son système d'information à une SSII ?
Une externalisation complète me
paraît dangereuse car elle crée une spirale de dépendance
vis à vis du prestataire qui peut être dangereuse. Une
partie de la maîtrise d'uvre peut être déléguée, mais
il me semble essentiel de conserver un pilotage minimum,
notamment pour faciliter l'intégration de l'IT avec
les besoins métiers qui s'expriment au fil du temps.
Est-il vraiment possible de
coacher un informaticien ?
Ah bonne question...On parle d'ailleurs
de plus en plus de coaching et moins de direction de
projet... Oui, je pense qu'il n'y a pas de spécificités
liées à ce métier. On se plaint souvent de dérives,
mais c'est souvent parce que le dialogue maîtrise d'ouvrage
- maîtrise d'uvre est difficile. Il y a là un vrai
challenge.
Comment orchestrer un projet
d'intégration impliquant plusieurs partenaires ?
Tout dépend de la nature des partenaires,
de leurs habitudes de travail, notamment méthodologiques.
Le mieux est de mettre en place un plan d'assurance
qualité qui, dès le début, explicite les règles du jeu.
Quel est le périmètre de chacun, qui est responsable,
quelles sont les modalités d'échange, etc. Malheureusement
il n'y a pas souvent de "budget" pour cette étape alors
que c'est elle qui peut conditionner la réussite du
projet. Que d'incompréhension et d'énergie souvent gâchées
parce que les règles du jeu n'ont pas été posées clairement
au départ...
Les DSI sont-ils des gens dangereux
? (sincèrement...)
Je pense que le métier de DSI est
un métier extrêmement difficile. Encore plus actuellement,
où certains acteurs de poids prônent le "IT doesn't
matter". Lorsque tout va bien et bien...tout va bien
et c'est normal, par contre au moindre problème le DSI
est en ligne de mire.
Que pensez-vous du logiciel
libre ?
Le logiciel libre constitue une
formidable opportunité pour tous. Et d'abord pour les
éditeurs de logiciels. Il maintient une saine pression,
les oblige à se réinventer, à être toujours plus compétitifs
et à créer de la valeur. Difficile de dire aujourd'hui
si le TCO du libre est plus ou moins élevé qu'avec du
non libre. Je pense que cela dépend vraiment du type
de projet. L'une des interrogations du libre reste liée
à la maintenance des briques à long terme.
Vous êtes plutôt Microsoft
ou Java ?
Je pense que les deux architecture
J2EE et .NET ont toutes les deux atteint un très bon
niveau de maturité. Les patterns (modèles de conception)
sous-jacents sont d'ailleurs très proches. Il reste
encore quelques différences (modèle MVC plus présent
d'un côté que de l'autre, persistance objet un peu différente)
mais la convergence s'accélère.
Microsoft semble avoir rater
le lancement de .Net. Les retours d' expérience semblent
très peu nombreux dans ce domaine ?
Je ne crois pas. Au contraire me
semble-t-il. Je n'ai encore vu personne me dire ".NET
on a essayé on abandonne". Ceci dit, le démarrage a
peut être été plus lent que prévu, parce que l'image
de Microsoft sur le développement s'est longtemps résumée
à VB. Aujourd'hui la communauté Architectes a changé
d'avis me semble-t-il, et respecte l'implantation .NET.
Pourquoi avoir quitté Business
Interactif ?
F.R.A. a été créée il y a 10 ans,
et a rejoint Business Interactif il y a deux ans. Nous
avons beaucoup travaillé sur la fusion opérationnelle
des équipes, des méthodes de travail. Aujourd'hui ce
travail est terminé. Business Interactif est l'une des
plus belles boites du secteur, très saine financièrement,
l'une des seules à avoir réussi le mariage entre la
technique, le conseil et le marketing et l'ergonomie.
L'une des seules à pouvoir répondre à une palette de
besoins aussi variée que ceux d'Ooshop ou de Lancôme.
Mon travail est terminé, je souhaitais aller vers de
nouveaux territoires à défricher.
Où trouvez-vous l'énergie d'entreprendre
un nouveau projet comme le vôtre en ce moment morose
pour l'informatique ?
Il y a dix ans lorsque nous avons
créé FRA, nous avons débuté avec de la conception d'applications
sur Internet. Netscape n'existait pas encore, et c'était
la fin de la précédente crise informatique. Les débuts
ont été très durs. En fait c'est toujours difficile
de redémarrer une nouvelle aventure. C'est toujours
un pari. Aujourd'hui Brainsonic parie sur le fait que
le haut débit, l'externalisation à tout va vont radicalement
modifier la manière dont les gens travaillent et apprennent...
L'e-learning, n'est-ce pas
un concept légèrement dépassé aujourd'hui ? vous-y croyez
vraiment ?
En fait l'e-learning a souvent été
synonyme d'échec. Je pense que le sujet a été souvent
mal abordé en France. Aux Etats-Unis on est déjà passé
dans la phase industrielle, alors qu'en France on a
presque reculé. En fait je crois davantage au "blended
learning" (mix entre du e-learning et du coaching en
présentiel). La différence se fera aussi sur la qualité
des contenus et dans la capacité à les produire rapidement
et à faible coût.
C'est dur de créer une boite
high-tech aujourd'hui en France ? Racontez nous comment
ça s'est passé ? Comment faire pour convaincre les investisseurs
aujourd'hui ?
La première fois c'était très très
dur. On sortait de Centrale, sans argent, sans contacts,
juste avec des idées et une motivation grosse comme
ça. Pour la deuxième c'est plus simple, le processus
est déjà plus balisé. Mais c'est vrai que c'est toujours
difficile, et cela consomme une énergie importante.
En même temps c'est passionnant.
Qu'est ce que vous aller utiliser
comme technos pour votre plate-forme ?
Nous avons fait le choix de la plate-forme .NET et des
technologies Windows Media 9.
Coaching, e-learing, réseaux
d'experts, vous surfez sur les concepts hype du moment
?
Je pense que cela correspond à une
vraie demande. Notamment pour les architectes. Ce sont
des gens tellement bookés qu'il est pratiquement impossible
de les envoyer en formation. L'idée est que la partie
"académique" (slides, démos produits, etc.) puisse se
faire à distance, en rich media. Lorsque ces gens se
déplacent ils veulent autre chose que du Powerpoint.
Une véritable interactivité. C'est de ce constat qu'est
né Brainsonic.
Développement et prestation
Offshore. Dans quels domaines cette solution s'avère
particulièrement efficace ? Quelles défenses peuvent
adopter les sociétés françaises pour rester en concurrence
?
Je pense que l'Offshore constitue
une véritable opportunité. Mais il y aura beaucoup de
déceptions car cela demande une très grande rigueur
en gestion de projet et en méthode. L'un des dangers
est aussi une perte de la compréhension du besoin client.
Chez Business Interactif, l'équipe technique est toujours
très impliquée dans la compréhension du besoin client.
Car tout ne peut être formalisé par écrit. Ce qui ne
l'est pas mais qui néanmoins fait partie des exigences
client doit être perçu. Avec une démultiplication d'interlocuteurs,
c'est plus difficile.
Que pensez-vous de l'offshore
qui consiste à faire venir des gens de pays lointains
pour les payer moins cher que nos ingénieurs, à compétences
égales ?
Je pense que ce modèle ne sera pas
le plus utilisé. Ce qui se profile, c'est plutôt des
acteurs ayant une antenne en France (pilotage) et la
production à l'étranger. Dans tous les cas pour les
développeurs français c'est un véritable challenge.
Il n'y aura pas de choix. Il faudra aller de plus en
plus vers la valeur ajoutée (pilotage, architecture,
etc.) et se rapprocher du client, de l'aide à l'expression
du besoin. Car sur le développement pur, la concurrence
sera très dure. Trop dure.
Votre avis sur l'accord signé
la semaine dernière par Microsoft avec le Cigref (Club
informatique des grandes entreprises françaises) ?
Je pense que c'est une excellente
chose. Les guerres sont souvent destructrices de valeur.
Quel est votre salaire (allez,
à l'américaine, dites le nous) ?
En phase de lancement d'une nouvelle
boîte, il est identique à celui de FRA au début, 00000
.
Quels sont vos hobbies en dehors
de l'informatique ?
Tennis, Planche à voile.
Vous passez combien d'heures
par jour devant l'écran? et combien d'heures devant
du papier?
Enorme. Cela fascine mon ophtalmo,
je ne porte toujours pas de lunettes. Ceci dit pour
lire je préfère toujours imprimer...la vieille école...
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