INTERVIEW 
 
Håkon Wium Lie
Directeur technique
Opera Software
Håkon Wium Lie (Opera)
"Flash est un obstacle à l'acceptation des standards du Web"
A l'occasion des 10 ans des CSS, le co-créateur de cette spécification, également directeur technique pour le navigateur Web Opera, affirme l'importance des formats ouverts et la nécessité de leur interopérabilité..
08/01/2007
 
JDN Développeurs. Votre première proposition pour les CSS date d'octobre 1994, il y a plus de 12 ans. Jusqu'à quel point aviez-vous été influencé par les travaux précédents ?
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Feuilles de style CSS
Håkon Wium Lie Ma première proposition avait de nombreuses sources d'inspiration. Au Media Lab du MIT, j'ai appris que la distribution électronique de l'information autorisait les présentations personnelles. Le système X-Window, également du MIT, m'a appris qu'un simple format textuel pouvait décrire une application de présentation (en l'occurrence, X Resources). Sur la liste www-talk, Robert Raisch et Pei Wai avaient déjà proposé des feuilles de style pour le Web.

La première proposition combinait les idées de toutes ces sources, et y ajoutait son propre ingrédient : le concept de cascade a été introduit pour autoriser plusieurs sources - navigateur, utilisateur et auteur - à influer sur la présentation des documents. Par ailleurs, pouvoir styler des documents pour l'écran, l'imprimé et la voix n'avait pas encore était fait par les langages de feuille de style.

CSS3 est un projet pharaonique, avec 37 modules plus ou moins activement en travaux. Sachant que ce projet n'arrivera pas à complétion avant longtemps, les développeurs devraient-ils déjà s'en soucier ?
Ils le devraient, et en voici un exemple. La troisième édition de mon livre "Cascading Style Sheets, designing for the Web", sortie en 2005, a été conçue entièrement avec des fichiers HTML et CSS. Cela a été rendu possible grâce aux fonctionnalités avancées de CSS3, reconnues par Prince.

Cela étant, je pense aussi que le groupe de travail CSS du W3C a pris une sage décision en maintenant CSS2 (ce qui donne aujourd'hui CSS 2.1) au lieu de ne travailler que sur CSS3. Les spécifications ne devraient pas distancer de trop leurs implémentations.

Les spécifications ne devraient pas distancer de trop leurs implémentations."
Vous étiez l'un des instigateurs sur test d'Acid2, diffusé en avril 2005. Pensez-vous qu'il a eu un impact significatif dans le support actuel des CSS ?
Acid2 a joué un rôle essentiel pour l'amélioration de CSS et des autres standards du Web. Cependant, le test se concentrait sur des sections pas ou peu implémentées des spécifications, et nous ne verrons donc les bénéfices d'Acid2 qu'une fois ces sections utilisées couramment. De fait, il s'agit avant tout d'un investissement sur le futur du Web, et je suis triste de voir que Microsoft n'a pas utilisé le temps et les ressources nécessaires pour réussir ce test. Résultat, le support CSS dans IE7 en pâtit.

Après plus de 10 ans de CSS, quels ont été pour vous les plus grands succès et les plus grosses erreurs de ce langage ?
Le plus grand succès est que les pages utilisent maintenant CSS de manière routinière. Sans utilisation concrète, les spécifications ont peu de valeur. Des sites comme le CSS Zen Garden me mettent en joie.

Nous avons fait un certain nombre d'erreurs avec CSS. La plus grosse était probablement de ne pas avoir publié une suite de tests pour accompagner la recommandation CSS1. Nous serions parvenus à une interopérabilité beaucoup plus vite si le premier test Acid de CSS avait été publié dès 1996.

Voyez-vous en Flash un obstacle pour l'acceptation des standards du Web ?
Oui. Flash est le format propriétaire le plus populaire sur le Web aujourd'hui, et certaines personnes le préfèrent aux standards ouverts. Il y en a deux sortes d'usages. Tout d'abord, Flash est utilisé en tant que format de graphisme vectoriel pour créer des applications. Pour cet usage, SVG et l'élément canvas pourront le remplacer dans de nombreux cas.

Il nous faut définir des balises video et audio pour le monde libre."
Ensuite, Flash est utilisé comme format vidéo et audio. A l'heure actuelle, il n'y a pas d'alternative ouverte. Je pense qu'il nous faut définir des balises video et audio pour le monde libre.

Si Adobe venait à ouvrir la spécification de Flash, comme ils l'ont fait pour PDF, la situation pourrait être différente.

Vous avez rejoint Opera en 1999. Ce navigateur a toujours été numéro 3, alors qu'il a été lancé avant MSIE. Comme expliquez-vous cette éternelle troisième position, et est-ce un avantage ?
Naturellement, je pense qu'il aurait été préférable qu'Opera, plutôt qu'IE, ait été le navigateur dominant. Hélas, le monopole de Microsoft n'offre qu'un avantage de distribution faussé.

Mais si nous sommes numéro trois sur les desktops, nous sommes en première position sur les autres types de systèmes. Opera a récemment été lancé sur la Wii de Nintendo. C'est une superbe machine qui va changer le monde du jeu vidéo - et la navigation Internet !

A quel point est-il difficile d'implémenter une recommandation W3C ?
Le W3C a publié beaucoup plus de recommandations qu'il n'est possible d'en implémenter. Nombre d'entre elles vont mourir sans avoir jamais été utilisées, et ce n'est pas grave. Plutôt que d'essayer de toutes les implémenter, les navigateurs doivent choisir les spécifications les plus appropriées, et faire en sorte qu'elles soient reconnues de manière interopérable. A l'heure actuelle, il y a quatre spécifications très importantes : HTML, CSS, JavaScript et DOM. L'interopérabilité entre les différentes implémentations n'est pas parfaite, mais déjà bonne.

Pour s'assurer que l'interopérabilité s'améliore encore, les spécifications et suites de test doivent évoluer en même temps que les implémentations. CSS 2.0 est l'une de ces évolutions, tout comme HTML 5 du WHAT WG. Donc, les implémentations doivent s'améliorer, mais également les spécifications.

Le W3C a publié beaucoup plus de recommandations qu'il n'est possible d'en implémenter."
Opera a un beau succès sur supports mobiles. Voyez-vous cela comme une opportunité manquée pour les autres navigateurs ?
Les autres navigateurs abandonnent leurs utilisateurs sur le desktop, tandis qu'Opera les accompagne sur toutes sortes de supports. Opera est suffisamment petit pour tenir sur un téléphone mobile et une console de jeu (ai-je mentionné la Wii ?). Il se vend bien plus de téléphones mobiles que de PC chaque année - je pense quatre fois plus. Les gens voudront accèder à leurs sites favoris depuis ces nouveaux supports.

L'équipe Opera a-t-elle déjà pensé à passer à l'Open Source ?
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Feuilles de style CSS
Je pense que toutes les sociétés éditrices de logiciels se le demandent, dont Opera. Personnellement, j'aimerai beaucoup que nous trouvions un moyen de publier notre code source et permettre à d'autres de le réutiliser. Cependant, nous n'avons pas trouvé la licence qui nous convient. Le problème est qu'aucune licence ne nous donne une juste part du profit réalisé en cas d'usage commercial.

Les licences Creative Commons proposent de tels termes en cas d'utilisation commerciale, peut-être que cela peut également être utilisé pour les logiciels ?

 
Propos recueillis par Xavier Borderie, JDN Développeurs

PARCOURS
 
 
Håkon Wium Lie, 41 ans, est directeur technique chez Opera.

1999 CTO, Opera Software, Oslo
1995 W3C, INRIA, Sophia-Antipolis
1994 CERN, Genéve
1991 Norwegian Telecom Research, Oslo
1989 MIT Media Lab, Cambridge, Massachusetts
1987 Norwegian Telecom Research, Oslo