Travis Katz (Trip.com) "Nous lançons en France le premier guide de voyage intelligent"

Sur mobile, l'intelligence artificielle doit remplacer la recherche pour fournir aux voyageurs des suggestions d'activités pertinentes et personnalisées, explique le fondateur de Trip.com.

JDN. Vous débutez l'expansion en dehors des pays anglophones de Trip.com. En quoi consiste ce service ?

Travis Katz, cofondateur et PDG de Trip.com © S. de P. Trip.com

Travis Katz. Nous lançons en France, en Allemagne et en Chine le site et l'application Trip.com, le premier guide de voyage intelligent permettant aux voyageurs de trouver où dormir, où se restaurer et que faire partout dans le monde. Notre approche est différente des services qui affichent la même liste de suggestions à tous leurs utilisateurs. Nous vous proposons de choisir une ou plusieurs de nos 19 "tribus" : voyageurs en famille, oiseaux de nuit, passionnés d'histoire… et nous adaptons le contenu.

Nous apportons plus de valeur encore sur mobile. La plupart des services sont calqués sur le web fixe et obligent les mobinautes à fouiller dans les contenus pour dénicher ce qui leur convient. Ce n'est pas la façon dont les gens veulent fonctionner aujourd'hui. A l'inverse, notre app prend en compte le contexte - l'heure de la journée, la météo…– pour sélectionner ce qu'elle met en avant. Par exemple, si vous êtes au bord de la mer mais qu'il pleut, mieux vaut vous pousser des musées que des plages.

Le contenu est-il réellement personnalisé, ou simplement adapté à des clusters ?

Deux nouveaux utilisateurs dans les mêmes contextes verront la même chose. Mais l'app apprend avec le temps pour proposer un contenu qui devient spécifique à chaque personne. Par exemple, nous déduisons de votre navigation que vous êtes intéressé par telle gamme de restaurants lorsque vous êtes en voyage et nous adaptons nos recommandations en conséquence. Car les habitudes ne sont souvent pas les mêmes chez soi et en déplacement, or plus de la moitié de nos utilisateurs l'emploient aussi dans leur propre ville. Cela nous a obligé à rendre l'app plus intelligente, pour qu'elle sache prendre en compte cette distinction.

N'est-il pas dangereux de courir deux lièvres différents : les activités pour voyageurs, qu'Expedia, Booking ou Airbnb attaquent aussi, et les recommandations locales, qu'adressent déjà TripAdvisor, Yelp ou Foursquare ?

Qu'on soit en voyage ou chez soi, on cherche la même sorte d'activité : où dîner, où sortir… L'intelligence sait prendre en compte ces deux contextes mais toute la base de données en dessous est commune. En revanche, contrairement aux autres services, cela fait six ans que nous sommes concentrés sur une seule chose : perfectionner la personnalisation de nos recommandations. Et c'est à cette fin que nous avons levé 35 millions d'euros. Auprès de fonds d'investissements de la Silicon Valley et d'Expedia, que nous considérons donc aussi comme un partenaire.

"Plus de 10 millions de gens ont utilisé Trip.com en 2016"

Qu'est-ce qui prouve que vos recommandations sont les plus pertinentes ?

Nous recevons des évaluations extrêmement positives dans les app stores et enregistrons des taux de rétention très hauts. Notre utilisateur moyen ouvre l'app cinq fois par mois : deux fois plus qu'une app de voyage classique. Pour l'instant, notre croissance est provenue presque entièrement du bouche-à-oreille, qui est puissant puisque plus de 10 millions de gens ont utilisé Trip.com en 2016. Nous avons développé une excellente réputation aux Etats-Unis et dans les marchés anglophones, Royaume-Uni, Canada et Australie. Notre app a été téléchargée 4,5 millions de fois, 60% de l'utilisation de Trip vient du mobile, et notre chiffre d'affaires a crû de 140% en 2016.

C'est grâce au SEO qu'il y a quelques années, TripAdvisor a pu décoller. Comment allez-vous procéder, maintenant que l'acquisition coûte bien plus cher et que Google pousse ses propres services ?

A moins que l'Union européenne ne le freine, Google va en effet se montrer de plus en plus agressif. Il vient par exemple de lancer Google Trips, même si, comme l'estime aussi le site d'information spécialisée Skift, ses contenus sont très génériques et bien moins personnalisés que les nôtres. C'est pour cela que nous sommes très focalisés sur l'app et que nous travaillons essentiellement sur la pertinence de nos recommandations.

Construire tout ce contenu nous a pris du temps. Nous avons misé sur le long terme, sur la qualité des contenus. Aujourd'hui nous disposons de 1,3 million d'avis et de 5 millions de photos d'utilisateurs, nous avons une équipe qui produit des contenus éditoriaux et nous couvrons 207 pays. Le service s'appelait initialement Gogobot, nous l'avons renommé Trip.com en novembre. Mais notre croissance est régulière depuis le début. C'est grâce à ces six ans d'avance que Trip est aujourd'hui le seul à répondre correctement aux besoins des mobinautes.

Beaucoup d'acteurs se mettent à l'intelligence artificielle, en particulier pour affiner leurs recommandations. Même si vous êtes en avance, ils vont progresser, parfois avec beaucoup de moyens. Qu'est-ce qui vous protège d'eux ?

L'intelligence artificielle doit être appliquée à une somme de subtilités. Par exemple, vous pouvez être proche d'un lieu à vol d'oiseau, mais s'il est de l'autre côté d'une rivière et qu'il n'y a pas de pont à côté, ce n'est pas la peine de vous le faire miroiter. C'est parce que l'intelligence artificielle s'éduque que nos six ans d'avance sont importants.

"Dans la technologie, n'être qu'un suiveur est extrêmement dangereux."

En outre, beaucoup parlent d'IA mais ce terme un peu vague désigne des choses très différentes. Dans le voyage, cela fait souvent référence au traitement du langage naturel, comme le font Wayblazer ou Alexa. Bâtir un bon outil de recommandation est au moins aussi complexe. Ce n'est pas pour rien que nous avons déposé huit brevets. Les seuls qui ont vraiment la capacité de faire aussi bien, c'est Google. Or l'app qu'ont développée leurs 800 ingénieurs ne dispose même pas de la personnalisation la plus basique. Et nous allons continuer à avancer.

Même si votre service est meilleur, serez-vous assez solides ?

Lorsque j'étais chez MySpace, dont j'ai dirigé les activités internationales de 2006 à 2010, j'ai vécu cette situation dans l'autre sens avec Facebook. Les deux sociétés s'étaient créées en même temps. Au début Facebook stagnait un peu, puis ils ont sorti une série d'innovations comme le flux d'activités et la plateforme d'app, qui les a fait décoller. Notre feuille de route, chez MySpace, est devenue la copie de la leur. Nous ne tracions plus la voie. Rien n'était compliqué à faire, mais nous avions toujours six mois de retard. Dans la technologie en particulier, n'être qu'un suiveur est extrêmement dangereux.

D'où Trip.com tire-t-il ses revenus ?

De la comparaison d'hôtels, que nous monétisons en génération de leads, aux enchères. Nous développons aussi des partenariats, facturés sous forme de licensing, qui alimentent aussi beaucoup notre visibilité puisque notre marque apparaît à chaque fois et que nous ne faisons pas de branding par ailleurs.

Qui sont vos partenaires ?

Nous fournissons par exemple l'expérience mobile de Sabre et les contenus pour les voyageurs d'affaires de Lufthansa. Ce sont d'ailleurs des appels d'offre que nous remportons sur nos concurrents.

Nous travaillons aussi avec des acteurs de la réservation, comme HomeAway ou HostelWorld. Les voyagistes en ligne ont su utiliser Google pour capter le client et le transformer le plus efficacement possible. C'est un modèle très lucratif. Mais sur mobile, cela ne fonctionne pas de la même manière. Acquérir un client coûte très cher et le nerf de la guerre, c'est le retenir. Une app se retrouve vite sur votre 4ème ou 5ème écran puisqu'en moyenne, on possède 86 apps et on n'en utilise que 24. Il faut donc inciter l'utilisateur à rouvrir l'app, sachant qu'on ne voyage souvent qu'une ou deux fois par an. Notre contenu est très adapté pour multiplier les usages : préparer un déplacement, trouver des idées sur place… Beaucoup de voyagistes sont venus nous voir pour cela.

Quel avenir imaginez-vous pour Trip et quel type de sortie pour vos actionnaires ?

Ce sera soit une introduction en bourse soit, si la bonne offre se présente, un rachat. Mais nous sommes très bien financés et n'aurons pas besoin de nous en soucier pour un bon moment.