Loi du 13 nov. 2014 : sur le blocage des sites internet, la liberté d’expression et le risque d'abus de la notion de terrorisme
La loi n°2014-1353 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a été promulguée le 13 novembre 2014.
A défaut du retrait des contenus illicites dans le délai de vingt-quatre heures, l’autorité administrative peut notifier aux fournisseurs d’accès à Internet la liste des sites Internet concernés afin qu’ils en bloquent l’accès sans délai.
Si l’éditeur du site Internet n’a pas mis à disposition des internautes les informations permettant de l’identifier, l’autorité administrative peut directement notifier aux fournisseurs d’accès à Internet la liste des sites Internet dont ils doivent bloquer l’accès, sans effectuer de demande préalable de retrait des contenus illicites auprès de l’éditeur ou de l’hébergeur.Cette mesure de blocage a pour objectif de lutter contre le conditionnement idéologique, de prévenir la commission d’actes terroristes et de préserver l’ordre public. Toutefois, elle a été vivement critiquée dans la mesure où elle permet à l’autorité administrative de limiter la liberté d’expression et la liberté d’information sur Internet sans intervention préalable du juge, garant des libertés fondamentales.Pour mémoire, la liberté d’expression et son corolaire, la liberté d’information, sont consacrées par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, en tant que fondements essentiels d’une société démocratique. L’article 1er alinéa 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication précise que « la communication au public par voie électronique est libre ». Toutefois, ces textes prévoient la possibilité de limiter ces libertés, dès lors que cette limitation est prévue par la loi, justifiée par un but légitime tel que la sauvegarde de l’ordre public et la prévention d’infractions pénales, et proportionnée au but recherché.Internet est devenu un outil de communication à la fois public et privé, sans contrainte de frontières, permettant à tous les internautes d’exprimer librement leurs idées, ainsi que de rechercher, recevoir et transmettre des informations. Les contenus publics présents sur Internet sont ainsi difficilement contrôlables. En l’occurrence, la mesure de blocage prévue par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est justifiée par le but légitime de prévenir la commission d’actes terroristes et de préserver l’ordre public. Toutefois, l’on peut se demander si elle est bien proportionnée au but recherché.Ainsi, de nombreux opposants ont dénoncé le risque de sur-blocage de sites Internet. En effet, cette mesure de blocage conduirait à empêcher aux internautes l’accès à la totalité d’un site Internet alors même que seule une partie des contenus présents sur le site serait illicite. De plus, la plupart des contenus provoquant directement à des actes de terrorisme ou faisant publiquement l’apologie de ces actes sont diffusés sur les réseaux sociaux, pour lesquels il n’est pas possible de bloquer l’accès d’un seul contenu. Or bloquer l’accès à l’ensemble d’un réseau social n’est pas envisageable.Par ailleurs, il existe un risque d’utilisation abusive de la notion de terrorisme. L’article 421-1 du Code pénal dresse une liste d’infractions constituant des actes de terrorisme « lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».Par une décision n°86-213 du 03 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition définissait les infractions terroristes en termes suffisamment clairs et précis.
Toutefois, à partir de cette définition, l’autorité administrative pourra décider souverainement, sans intervention préalable du juge, si un contenu présent sur Internet provoque directement à des actes de terrorisme ou fait publiquement l’apologie de ces actes.
Or une interprétation extensive de la notion de terrorisme conduirait à bloquer l’accès à des sites Internet dont le contenu n’est en réalité pas à caractère terroriste, et qui n’auraient donc pas dû tomber sous le coup de cette loi.
De plus, cette mesure de blocage reste sans conteste facilement contournable pour les internautes.
En conclusion, il convient de se demander si, pour la majorité des cas, cette mesure de blocage est bien utile et proportionnée au but recherché et si l’atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’information est réellement justifiée.