Chris DeWolfe (Fondateur de SGN (ex-MySpace)) "Pour développer un jeu à succès, il faut suivre les bons KPI"

Après avoir créé MySpace, Chris DeWolfe fait maintenant dans les jeux sur mobile et Facebook. Il livre ses conseils pour réussir dans le secteur.

Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans l'industrie du jeu vidéo après l'aventure MySpace ?

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Après avoir fondé MySpace, Chris DeWolfe est désormais à la tête de SGN © S. de P. SGN

Après la revente de MySpace, il s'est posé la question de ce j'allais faire ensuite. Passionné de musique, il me semblait difficile de bâtir un service dans ce secteur alors que toutes les sociétés en place rencontraient des difficultés à négocier les droits avec l'industrie musicale. Dans le même temps, nous savions que l'industrie du jeu allait devenir énorme. J'avais commencé à observer cette tendance au Japon en 2006 alors que je travaillais encore à MySpace. A l'époque, les réseaux sociaux concurrents étaient de plus en plus utilisés pour jouer à des jeux vidéo.

Alors qu'autrefois les jeux vidéo étaient majoritairement appréciés des jeunes, leur utilisation s'est peu à peu démocratisée. L'arrivé du mobile a véritablement changé les choses. Créer un jeu vidéo n'a jamais été aussi peu couteux et certains d'entre eux génèrent aujourd'hui des milliards de dollars. Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de nous lancer en procédant à plusieurs acquisitions après avoir levé de l'argent auprès d'Austin Ventures. Parmi elles : MindJot, SGN (Social Gaming Network), HallPass Media et MobScience qui ont ensuite donné naissance à SGN.

Pouvez-vous nous présenter SGN et son concept ?

Notre métier est de concevoir et de développer des jeux vidéo multiplateformes. Cookie Jam et Panda Pop font notamment parmi de nos jeux les plus téléchargés. Au total, SGN compte près de 35 millions d'utilisateurs actifs chaque mois, 45 millions de téléchargements mobiles et 80 millions d'installations sur Facebook. Nous sommes également à l'origine d'une technologie appelée MasterKey, permettant de rendre rapidement compatible un même jeu sur différentes plateformes. En quelques modifications, un jeu peut ainsi facilement s'exporter sur iOS, Google Play, Facebook Web ou encore Amazon. L'entreprise est aujourd'hui en pleine croissance et compte des bureaux à San Francisco, Los Angeles, San Diego, et Buenos Aires.

Quel était votre objectif en développant Masterkey ?

"La valeur de King.com devrait croitre sur le long terme "

Nous avons à l'origine développée MasterKey pour nous-mêmes mais cette technologie peut également se montrer très utile pour des développeurs tiers ou pour des entreprises de taille plus importante. Zynga a notamment rencontré ce problème d'adaptation. L'entreprise n'a pas assez vite pris en compte le passage du web au mobile et a rencontré des difficultés à convertir ses jeux sur d'autres plateformes. MasterKey est une technologie qui permet un gain de temps énorme.

iOS, Android, Amazon, Facebook : quelle plateforme recommanderiez-vous à un développeur de jeux ?

Il y a des aspects positifs et négatifs pour chacune d'elles. Dans notre cas, nous avons par exemple débuté avec Facebook Web car la plateforme permet de mettre en ligne des modifications très rapidement. En effet, à l'inverse d'un jeu sous forme d'application où il faut parfois attendre une semaine pour faire valider une mise à jour, les changements sont immédiats. Facebook Web est également une plateforme intéressante pour acquérir des utilisateurs à moindre coût. Enfin, il faut souligner que le réseau social continue de maintenir et de développer sa plateforme web, ce qui en fait un excellent partenaire ! En ce qui concerne la rentabilité, iOS reste néanmoins la meilleure plateforme pour monétiser un jeu.

Un mot sur l'entrée en Bourse de King.com : ne pensez-vous pas qu'il puisse être dangereux pour une société de développement de jeux vidéo de s'introduire en Bourse lorsque sa croissance ne repose que sur un ou deux jeux à succès ?  

"le niveau de rétention et les revenus générés par utilisateur"

Je pense que tout dépend du type de jeux dont il est question. Cela peut s'avérer vrai s'il s'agit par exemple d'un jeu qui sera dans la tendance seulement quelques semaines ou quelques mois. Ce n'est pas le cas de Candy Crush qui existe depuis maintenant presque 3 ans et qui est encore en croissance. Le jeu se positionne toujours dans le top des stores d'applications aux US. King est également à l'origine de deux ou trois autres jeux à forte croissance, ce qui permet à l'entreprise de diversifier ses sources de revenus. Cependant, il est vrai qu'aujourd'hui près de 78% de leurs revenus proviennent encore de Candy Crush. Je pense néanmoins que, sur le long terme, la valeur de l'entreprise devrait monter. King peut aussi se targuer de pouvoir s'appuyer sur une équipe de management très compétente qui dispose de près de 10 ans d'expérience. Enfin, l'entreprise sait très bien comment sélectionner ses futurs jeux...

Quels sont, selon vous, les éléments clés que doit comporter un jeu pour devenir un hit ? Quels seraient vos conseils pour les créateurs de jeux ?

La première chose à faire est de trouver la mécanique du jeu. Il peut par exemple s'agir d'une mécanique de construction, de collision, de combat, etc. Si possible, mieux vaut choisir une mécanique qui a déjà fait ses preuves. Le principal enjeu est de sélectionner une mécanique qui puisse rendre le jeu amusant. Une fois le type de jeu identifié, il est important de vite bâtir un premier prototype. Il faut aussi rendre le jeu viral autant que possible, par exemple en incitant le joueur à défier ses amis. Le deuxième facteur clé de succès réside, à mes yeux, dans les analytiques qui vont être mis en place. Si vous voulez faire d'un jeu un hit, il est impératif de maîtriser les bons KPIs. Dans notre cas, nous regardons par exemple avec attention plusieurs indicateurs de performance, dont notamment le niveau de rétention après le premier jour d'utilisation.

"Nous avons développé MySpace en 2 mois"

La question à se poser est la suivante : parmi les personnes qui ont démarré le jeu hier combien sont revenues aujourd'hui ? Si ce chiffre n'est pas bon, nous nous posons plusieurs questions. Peut-être que notre tutorial n'était pas assez clair ? Peut-être que les temps de chargement sont trop longs ? Peut-être que le premier niveau du jeu est trop difficile ? Nous allons ensuite comparer ce niveau de rétention à des intervalles différents - par exemple à 7 et à 28 jours. Nous allons également jeter un œil à un autre indicateur important : celui de nos revenus par utilisateurs journaliers. Si ce chiffre est faible, cela signifie peut être que les niveaux du jeu sont trop faciles à terminer et donc que le joueur ne voit pas l'intérêt de l'acheter. Ces deux indices que sont la rétention et les revenus générés sont très importants à prendre en compte lorsque l'on crée un jeu et doivent être analysés sur une base quotidienne.

Vous avez cofondé MySpace en 2003. Comment expliquez-vous que la plateforme ait connu un tel succès ? Quelle a été votre méthode pour acquérir vos premiers utilisateurs à vos débuts ?

Nous avons été très rapides dans notre exécution puisqu'il ne nous a fallu que deux mois pour développer MySpace. Il faut dire qu'à cette époque de plus en plus de téléphones commençaient à être équipés d'appareils photos, créant ainsi plus de contenu digital à partager. Et MySpace était la plateforme parfaite pour cela. Socialiser en ligne devenait à la mode. Nous avons également bâti des outils adaptés à destination des artistes pour que ces derniers puissent partager leur travail sur le web. Cela a permis à des musiciens mais aussi à des comédiens d'être découverts sur MySpace et parfois mêmes de lancer leur carrière. Il s'agissait de la plateforme de référence pour les créatifs. Cette communauté de jeunes créatifs a permis d'en attirer d'autres. Nous comptions ainsi des communautés d'utilisateurs importantes à New York, Los Angeles, mais aussi à l'international. Nous avons donc ouvert des bureaux dans plusieurs villes à travers dans le monde incluant Tokyo, Pékin, Londres, Berlin ou encore Paris.

Comment expliquez-vous cependant que MySpace se soit fait dépasser par Facebook ?

"Je n'utilise plus MySpace"

Il faut préciser que j'ai cédé mes parts en 2005 au groupe News Corp. Je considère malgré tout MySpace comme un réel succès même si, par la suite, beaucoup de choses se sont passées qu'il m'est difficile d'expliquer. MySpace a notamment connu plusieurs dirigeants avant d'être revendu à nouveau. De son côté, Facebook a vite progressé en rendant son site rapide, simple à utiliser et surtout en permettant à un utilisateur de retrouver facilement ses amis. Facebook savait que pour optimiser l'expérience de son site il fallait qu'un utilisateur compte entre 18 et 30 amis dans ses contacts. L'entreprise a donc mis toutes ses forces pour atteindre cet objectif et s'est focalisé sur sa croissance.

Quel regard portez-vous sur MySpace depuis son rachat par Specific Media et Justin Timberlake en 2011 ?

Ne l'utilisant pas et n'étant pas au courant de leur stratégie, je ne peux pas vraiment en dire grand-chose... Il ne me semble cependant pas avoir entendu Justin Timberlake mentionner beaucoup MySpace au cours de ses dernières interventions publiques. Ce que je peux dire d'un point de vue général, c'est que pour qu'une entreprise puisse créer un excellent produit, il est vraiment important d'avoir des leaders qui l'utilisent afin de répondre à leur propre besoin.

Fondateur de MySpace, Chris DeWolfe en occupe le poste de CEO entre 2003 et 2009. Lorsqu'il quitte la société, MySpace compte plus de 125 millions d'utilisateurs actifs mensuels. Après cette aventure , DeWolfe rachète plusieurs sociétés dans le secteur du jeux vidéo et fonde SGN, une société spécialisée dans le développement de jeux multiplateformes. Diplômé en Finance de l'Université de Washington et d'un MBA de l'Université de Caroline du Sud, Chris DeWolfe a été nommé en 2007 par le magazine TIME parmi les 100 personnes les plus influentes au monde.