INTERVIEW 
 
Olivier Bomsel
Professeur d'économie industrielle
Ecole des mines de Paris
Olivier Bomsel
"Le haut débit s'est développé grâce aux contenus gratuits"
La gratuité va de pair avec l'économie numérique, mais elle relève d'une logique de marché et non de la baisse des coûts souvent avancée. C'est la thèse audacieuse que défend Olivier Bomsel, professeur à l'Ecole des mines, dans un livre (Gratuit!, Editions Folio actuel).
(02/03/2007)
 
JDN. Pourquoi un livre sur le gratuit dans l'économie numérique ?
Olivier Bomsel. Quand le débat sur le piratage avec les réseaux peer-to-peer est apparu, j'ai été frappé par la conception française du gratuit, adossée à l'intervention de l'Etat. Le gratuit, en France et ailleurs en Europe, est le propre des services publics. Or, l'économie des services s'étend chaque jour davantage dans la sphère concurrentielle. J'ai voulu revenir à la réalité économique du gratuit, en me basant sur les travaux de recherche en économie numérique que je dirige à l'Ecole des Mines de Paris.

A quand remonte l'arrivée du gratuit dans le numérique ?
Le “gratuit” est apparu explicitement en France fin 1998 avec les Fournisseurs d'accès Internet (FAI) gratuits. Les World-Online, Freeserve, Freesbee, Free et autres Liberty Surf ont proposé alors des formules d'abonnement gratuit, avec communications payantes. Ensuite, le gratuit s'est étendu avec le déploiement du haut débit en 2002. Le haut débit s'est déployé grâce au piratage massif de la musique via les réseaux peer-to-peer. Mais le gratuit - autrement dit les subventions croisées - existait déjà durant le déploiement de la téléphonie.

La gratuité est souvent présentée comme la conséquence de la baisse des coûts du transport des données. Ce n'est pas votre thèse ?
Non. Ma thèse est que cette baisse des coûts n'explique pas le foisonnement du gratuit dans l'économie numérique. Le gratuit vise d'abord à créer une demande en subventionnant des effets de réseau. Car le propre du numérique est de créer des marchés dans lesquels plus un produit est consommé et plus il est utile. Il faut alors amorcer ces dynamiques d'utilité croissante et s'en approprier les effets. Les firmes utilisent le gratuit pour attirer des consommateurs et leur vendre des biens et des services liés.

C'est-à-dire ?
Les entreprises de l'économie numérique ont recours aux offres gratuites pour conquérir rapidement des masses critiques d'utilisateurs qui inciteront d'autres consommateurs à se joindre, et créeront de nouveaux marchés.

Seul le numérique permet cette logique commerciale ?
L'information codée est au coeur des effets de réseau : plus elle circule et plus elle est utile à tous ceux qui l'utilisent. Les effets de réseau sont consubstantiels au numérique qui étend sans cesse, grâce au code 0;1, la circulation de tout type d'informations. Ainsi, chaque consommateur d'un bien symbolique (une marque, un contenu, un service de télécommunication...) se détermine selon ce que décideront d'autres consommateurs. Néanmoins, cette logique n'apparaît qu'au bout de la chaîne des applications numériques desservant le consommateur final. Le gratuit a pour but, d'une part, de créer la masse d'utilisateurs initiant la mécanique des effets de réseau, et, d'autre part, de faire en sorte que celui qui sert le consommateur final profite en priorité de ces effets. Les entreprises l'utilisent et se concurrencent pour capturer des ventes.

Il y a eu collusion entre les réseaux peer-to-peer et l'industrie informatique."

Mais cette gratuité affichée n'est pas réelle. Quelqu'un doit bien payer au bout du compte ?
Bien sûr. Il y a trois façons de fabriquer du gratuit. On peut se faire inviter à déjeuner : faire payer le service par quelqu'un d'autre. Par exemple, un annonceur, ou d'autres consommateurs, ceux qui vous appellent au téléphone, les hommes sur certains sites de rencontre. On peut aussi proposer des offres groupées, en faisant payer plus cher un des services ou "biens" liés. Exemple dans la téléphonie mobile : les appels internationaux ou les textos. Dernière possibilité, faire payer plus tard en relevant les prix. Il en coûtera toujours au consommateur de se désabonner, de quitter un opérateur mobile ou un FAI. C'est ce que les économistes appellent des "coûts de sortie".

En quoi les réseaux de téléchargement peer-to-peer relèvent de cette logique ?
Dans le peer-to-peer, on peut dire que les contenus contournés ont relevé l'utilité de toute la chaîne informatique : le PC, le réseau télécom, l'accès.... Les contenus gratuits élèvent l'intérêt d'Internet pour le consommateur, lequel paiera l'équipement informatique nécessaire pour se connecter à Internet plus cher qu'il ne l'aurait payé sans cette utilité. En ce sens, le haut débit n'aurait jamais dépassé le bas débit s'il n'avait pas donné accès à des contenus gratuits. Cette collusion entre les réseaux peer-to-peer et l'industrie informatique est attestée par le fait qu'il y a eu, à l'initiative de ces technologies, les mêmes fonds d'investissement que dans l'industrie informatique.

Comment voyez-vous l'avenir du gratuit dans l'économie numérique ?
Le gratuit va continuer de s'étendre, ne serait-ce que parce que l'économie suscite de plus en plus d'information, laquelle engendre de plus en plus de publicité, laquelle a vocation à subventionner des utilités nouvelles. Le numérique crée des marques et étend la gamme des biens informationnels qui doivent sans cesse, pour déployer leurs marchés, engendrer des effets de réseau. Pour initier ces effets, il faut subventionner les premiers consommateurs. Il y aura donc plus de gratuit, mais aussi, moins de lisibilité sur le prix des produits : offres groupées, abonnements, coûts de sortie élevés... On le voit bien dans l'industrie bancaire, dans les télécoms, dans les contenus audiovisuels... Il faut alors que le consommateur — mais aussi le citoyen, le politique — s'instruise des mécanismes économiques auxquels il participe. C'est une des motivations de ce livre.

 
 
Propos recueillis par Baptiste RUBAT du MERAC, JDN

PARCOURS
 
 
Olivier Bomsel, 49 ans, Professeur d'économie industrielle à l'Ecole des mines de Paris. Il y dirige les travaux de recherche sur l'économie numérique.
Diplômé de l'Ecole des mines de Saint-Etienne en 1980, il devient chercheur en économie minière.
Par ailleurs, Olivier Bomsel produit des programmes audiovisuels et a confondé le site sur les arts numériques Art-netart.

   
 
 
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