INTERVIEW 
 
Taline Mouradian
Responsable planning stratégique
Nurun France
Taline Mouradian
"On a eu trop tendance à penser l'Internet comme un média froid"
Née dans les agences de publicité, la fonction de planneur stratégique se développe dans les agences interactives, au fur et à mesure que celles-ci étendent leur champ de compétences. Responsable du planning stratégique chez Nurun France, Taline Mouradian nous explique son métier et son rôle, au sein de l'agence et auprès des annonceurs. Elle livre au passage ses analyses sur l'Internet d'aujourd'hui et de demain.
(02/11/2006)
 
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Taline Mouradian. Le planning stratégique est l'équivalent en agence du département études, marketing et prospective chez l'annonceur. Le planneur stratégique apporte son œil d'expert, il analyse les tendances, c'est un observateur. Nous sommes sollicités en permanence, en interne par les responsables de comptes, et par les clients existants. En effet, il y a une forte demande d'éducation face au média Internet, que les annonceurs maîtrisent encore assez peu. On le voit par exemple avec le Web 2.0. Notre rôle est de décrypter les problématiques afin de conseiller les collaborateurs et les clients. Nous avons également un rôle dans la prise de parole vis-à-vis des prospects. Lorsqu'ils viennent pour la première fois sur le média Internet, il s'agit essentiellement d'un rôle d'évangélisation. Dans ce cas, le planning doit être particulièrement présent, à la fois en tant que force de proposition et de réassurance.

Concrètement, comment cela se traduit-il au quotidien ?
Il y a une mission de fond, valorisée chez Nurun car peu d'agences interactives disposent d'un planning stratégique : c'est la mission de veille. Nurun, en effet, est particulièrement prisée pour sa capacité à débusquer les tendances et à prendre du recul, ce qui nous permet d'offrir une vraie perspective d'analyse à tout ce que l'on voit.

Ensuite, nous réalisons des recommandations sectorielles : analyses de marché, de secteurs d'activité, évolution du média Internet par rapport à d'autres médias, etc. Nous sommes par exemple responsables depuis 2002 de la veille sectorielle pour L'Oréal Corporate, incluant la réalisation de la newsletter interne de veille du groupe L'Oréal, destinée à éveiller, à sensibiliser et à informer les responsables de marque sur l'utilisation du Web et des autres médias.

En appel d'offres, nous intervenons sur l'accompagnement stratégique. Nous avons pour cela systématisé une méthodologie au niveau du réseau Nurun, afin d'homogénéiser le format des réponses stratégiques.

Nous intervenons également dans les brainstormings et les ateliers de conception, dans lesquels nous jouons un rôle d'animation et de structuration. De manière générale, nous intervenons potentiellement à tous les niveaux d'un projet.

Nous intervenons à tous les maillons d'un projet."
Enfin, nous démarrons un chantier d'observatoires. Nous l'avons déjà concrétisé avec Ipsos et MSN sur le sujet 'Internet et les 15-25 ans'. Ce type d'observatoire est pour nous une vraie fenêtre de visibilité vis-à-vis des annonceurs.

Pouvez-vous citer quelques budgets sur lesquels le planning stratégique est intervenu récemment ?
Sur des missions d'observation, de réflexions marché et de recommandations stratégiques, nous sommes intervenus pour L'Oréal Corporate et les marques du groupe : Kérastase, HR, Armani, L'Oréal Paris. Citons aussi Louis Vuitton, Blédina, Yves Rocher, Gaz de France, Groupe Bouygues, France 5.

Quelles méthodes d'enquête et d'analyse utilisez-vous ?
Une grosse partie de nos sources, c'est 'l'intelligence' qui circule sur Internet, comme par exemple le JDN ou ses équivalents étrangers, les blogs de planneurs spécialisés et de responsables d'agences en France et à l'étranger, etc. Nous nous tournons en effet énormément vers l'Asie, et vers les autres pays européens.

Savez-vous combien de planneurs stratégiques travaillent aujourd'hui en agence interactive, en France ?
Non, je n'en sais rien. Pas beaucoup, en tout cas. Il y a des agences Web où ce sont les responsables de comptes, c'est-à-dire les commerciaux, qui doivent s'occuper du planning stratégique. Alors que c'est une fonction à part entière, qui nécessite du temps. Sans ce temps, il est impossible de prendre suffisamment de distance et de produire une réflexion de fond. Ceci dit, le planning stratégique dans les agences interactives tend à se professionnaliser.

Peut-être aussi que dans les grands groupes médias, le planning stratégique, pour les divisions interactives, est pris en charge par les agences de publicité traditionnelles ?
Il y a de ça, mais bien que le métier soit le même, l'œil est différent sur Internet.

Le rôle d'évangélisation est plus important qu'ailleurs."
Quelles sont les spécificités du planning stratégique en agence interactive ?
Internet est un média où il n'y a pas de certitudes, contrairement à la radio, par exemple. A la télévision, cela commence à changer, des remises en cause s'opèrent. Dans les médias interactifs, le rôle d'évangélisation du planning stratégique est plus important qu'ailleurs. Comme ce sont des médias très jeunes, les choses changent plus vite. On a d'ailleurs l'impression qu'elles changent déraisonnablement vite. Il y a aussi une certaine méconnaissance du média. Sa médiatisation elle-même est excessive, et complique ce qui est en réalité simple ! En agence interactive, le planneur doit également suivre les technologies.

Pouvez-vous nous révéler une partie de vos réflexions ? Quelles sont les tendances clés du moment ?
Il y a quatre axes structurants : l'usage du média devient de plus en plus expert ; le pouvoir de prescription, voire de détraction, devient fondamental et remet l'internaute au centre de tout ; l'interactif ne se limite plus au Web ; et enfin, la créativité est de plus en plus forte.

Sur l'interactivité, il est clair que les canaux ne sont plus aussi cloisonnés qu'avant. Aujourd'hui, il existe de vraies réflexions sur la manière de trouver de meilleures liaisons entre les canaux, notamment en matière de CRM. Par exemple, on parle beaucoup en ce moment de Second Life ; les marques s'y intéressent, elles veulent savoir ce qui s'y passe. L'année dernière, c'était le boom de la VoD, lié au phénomène de l'iPod vidéo. Et aujourd'hui, il y a aussi les nouvelles interfaces proposées par les portails personnalisables comme Netvibes, qui introduisent encore de nouvelles possibilités pour les marques.

En ce qui concerne les besoins en termes de créativité, ils viennent du fait que les internautes sont devenus plus exigeants en matière d'innovation. Grâce au Web, ils peuvent aller sur le site d'une marque japonaise, voir des vidéos étrangères sur YouTube… Ils s'attendent à être éblouis, recherchent ce qui est original car ils voient de plus en plus de choses qui sortent de leur ordinaire. Et ceci s'applique à toutes les cibles, même institutionnelles. Ainsi, il existe une vraie cosmétisation du discours corporate des marques. Les internautes dans leur ensemble réclament plus d'immersion, plus d'audace.

Le Web 2.0 n'est pas un événement, c'est une évidence."
Quel regard portez-vous sur le Web 2.0 ?
La réponse que l'on fait aux marques qui nous sollicitent sur ce point est la suivante : le Web 2.0 n'est pas un événement, c'est une évidence. Le média avait quand même pour ambition au départ d'être interactif. On a eu trop tendance à le penser comme un média froid, alors que sa force était d'être une zone d'échange. C'est donc une évidence que l'internaute soit remis au centre. Le Web 2.0 est aussi lié au fait que les marques ont été confrontées à la prise de parole des internautes. Elles se sont rendu compte qu'il valait mieux être dans un dialogue que dans un mode où elles ne s'inscrivent pas dans la relation. Si la tendance n'était pas soutenue par les marques, elle s'effondrerait, ce qui n'est pas le cas. Mais il ne faut pas que les marques se trompent en allant vers des démarches qui ne leur seraient pas naturelles. Il faut que tout ce qui est fait le soit en fonction de la promesse de la marque. C'est comme pour le viral : ce n'est pas une fin, c'est un moyen, et quelque chose que l'on ne décrète pas.

Depuis quand le planning stratégique existe-t-il chez Nurun ?
Il est né quasiment avec l'agence. C'est une réflexion que nous avons toujours eue. Nous avons d'ailleurs monté une structure dédiée aux tendances interactives dans la relation client-marque, le Lab, dirigée par le VP Stratégie de Nurun, Jean-Pascal Mathieu.

Quel est le rôle de cette structure, par rapport au vôtre ?
C'est une cellule de veille prédictive, qui fait quasiment de la recherche fondamentale, alors que le planning stratégique serait plutôt dans la recherche appliquée. Internet n'est même pas compris dans ses problématiques. Le Lab traite par exemple de la mobilité. Ainsi, le premier papier paru portait sur le livre électronique. Il cherche ce qui va se passer à un horizon de deux ans. C'est comme regarder Blade Runner dans les années 80 : c'est à la fois proche et futuriste. Le Lab emploie deux personnes en France, dont Jean-Pascal Mathieu. Il coopère avec le réseau international, ainsi qu'avec une université américaine.

La réflexion sur l'interactivité est si structurante qu'elle remet en cause toute la communication de la marque."
Le planning stratégique de Nurun semble réputé. Pourquoi ? Quels sont ses effectifs ?
Ce n'est pas un planning franco-français. On se nourrit ailleurs, dans les autres agences du réseau, et chez nous le knowledge management est une vraie problématique. Cela nous permet d'apporter aux clients des réponses globales, satisfaisantes et riches. Les dernières coopérations internationales au niveau du planning ont concerné les appels d'offres BRP [division véhicules de loisir motorisés de Bombardier - ndlr], Home Depot, et Equifax. La deuxième chose, c'est que nous intervenons à tous les maillons de la chaîne. En France, nous sommes 5, sur un total de 110 collaborateurs environ.

N'est-il pas difficile d'intervenir réellement sur tous les maillons de la chaîne, pour le planning stratégique d'une agence interactive, dans la mesure où souvent, ces agences ne prennent pas en charge la définition de la stratégie de communication dans son ensemble, c'est-à-dire tous supports confondus ?
La réflexion sur les médias interactifs est tellement structurante qu'elle remet en cause toute la communication de la marque. Par exemple, cela m'est arrivé récemment de proposer une stratégie interactive à un client, qui a remis en cause la manière dont il concevait sa communication offline. Nous accompagnons des réflexions globales sur des postures de marque. Nous les aidons à évoluer afin qu'elles soient au plus près de ce que veulent les gens.

Pensez-vous qu'il y aurait plus de créativité dans le média si le planning stratégique était plus développé ?
Je pense que l'impulsion créative vient avant tout du pôle créatif. Mais pour être pionnier, le planning stratégique a énormément à apporter. Par exemple en matière de mutations graphiques ou ergonomiques. C'est pourquoi nous sommes très impliqués dans les brainstormings.

Quelles sont les mutations graphiques et ergonomiques du moment ?
Il y a une vraie réflexion sur la place des nouvelles interfaces, comme Live ou Netvibes. Les interfaces sont plus user friendly, plus lisses d'usage, plus immersives.
 
 
Propos recueillis par Raphaële KARAYAN, JDN

PARCOURS
 
 
Taline Mouradian, 26 ans, est diplômée de Sciences Po Paris.

Chez Nurun France depuis 2 ans, elle est Responsable planning stratégique - Etudes & prospective.

Elle a auparavant travaillé à New York pour le groupe Alain Ducasse, puis au sein du groupe L'Oréal, dans les domaines du marketing et de la stratégie.

   
 
 
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