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Matthieu de Lesseux
Co-président
Duke |
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Matthieu de Lesseux
"Les agences françaises doivent exiger les moyens d'être créatives"
L'agence interactive indépendante Duke est l'une des rares agences françaises à figurer dans les palmarès créatifs internationaux en 2005. Un bilan éclairé par son co-président, Matthieu de Lesseux, qui fustige le comportement de certains annonceurs français mais fait aussi l'auto-critique des agences. Développement de la vidéo, évolution du métier, bonnes pratiques, Matthieu de Lesseux élargit le champ des constats et confie sa vision du marché des agences interactives.
(08/12/2005) |
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JDN.
Duke vient de décrocher deux prix européens pour le site
Experience-psp.com : le prix Eurobest Bronze et le prix
Epica d'Argent dans la catégorie agences interactives.
La France est rarement primée dans les compétitions internationales,
c'est donc important pour vous ?
Matthieu de Lesseux. Nous sommes particulièrement
contents car ces prix sont européens, et Duke est la seule
agence interactive française à remporter un prix aux Eurobest
2005. Ces compétitions rassemblent les meilleurs projets
européens. A titre d'exemple, le site Volvo LifeOnBoard,
qui est un très bon site, a également remporté un Bronze
aux Eurobest Awards. Ces prix ont plus de valeur que d'autres
prix franco-français, qui alignent des jurys moins professionnels.
Le site PSP, pour la console
portable de Sony, propose une navigation et une expérience
utilisateur très originale. Est-il possible de créer de
tels concepts pour des annonceurs moins habitués à une
communication décalée ?
Oui, car ce qui fonctionne bien dans le site PSP, c'est
l'aspect très immersif, impliquant, engageant. D'autres
annonceurs pourraient aller sur ce type de territoire,
l'engagement de l'internaute étant une des clés du succès
d'un site. Mais notre métier se fait à deux, avec l'annonceur.
Si celui-ci n'est pas prêt à ouvrir ses briefs, on n'y
arrive pas. Aujourd'hui, peu de marques, en France, se
donnent les moyens d'aller loin en termes d'expérience
et d'efficacité. Or, ce sont les projets ambitieux qui
cartonnent en audience et exploitent le mieux la mécanique
virale. Ambitieux ne signifie pas, cependant, budget faramineux.
PSP n'est pas le plus gros budget de l'agence. Mais il
faut avouer que parfois, les briefs font le grand écart
entre les objectifs affichés et les moyens alloués. C'est
pourquoi il faut arrêter de dire qu'Internet est un média
"pas cher". Moins cher, oui, pas cher, non.
Que signifie pour vous "ouvrir
un brief" ?
Ouvrir un brief, c'est laisser un territoire de création
à l'agence. Donner un cadre sans être trop directif. C'est
malheureusement rare. Annonceurs et agences devraient
plus travailler en partenariat. Aujourd'hui, peu d'annonceurs
écrivent de bons briefs, parce qu'on ne leur explique
pas forcément comment mieux travailler ensemble.
Ce problème de la qualité
des briefs est-il franco-français ?
Non. Le problème français, c'est celui du temps et des
budgets. Les agences françaises ne défendent pas assez
leur métier, elles ne sont pas assez exigeantes sur les
conditions. Le résultat donne énormément de campagnes
très décevantes.
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Il
y a plus de créativité dans la création de
sites que dans la publicité en ligne." |
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C'est ce qui explique l'absence
des agences françaises dans les palmarès internationaux
de la création publicitaire ?
Exactement. On trouve beaucoup de sites de très bonne
qualité, mais sur les campagnes, c'est un drame. Il y
a plus de créativité dans la création de sites que dans
la publicité en ligne, c'est sûr. Un exemple concret de
ce problème : en juin dernier, je me suis rendu chez
une très grande marque, qui nous a exposé un brief très
ambitieux en termes d'objectifs et de création. Elle disposait
d'un budget de 80.000 euros d'achat d'espace pour tester
Internet et, ayant l'habitude d'allouer en télévision
10 % de son budget d'achat d'espace à la création,
elle proposait un budget de 8.000 euros pour la créa Internet.
Nous avons refusé le budget. En dessous de 100.000 euros
en achat d'espace, on ne mesure pas l'efficacité de ce
que l'on teste, car on ne bénéficie pas de la répétition
et des parts de voix suffisantes. En ce qui concerne la
créa, en fonction du brief et de l'ambition créative,
en dessous de 25.000 ou 30.000 euros, on n'y arrive pas
non plus.
Il faudrait donc changer les
méthodes d'allocation des budgets chez les annonceurs
?
Beaucoup d'annonceurs Internet ont effectivement encore
des réflexes de télévision.
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Les
agences qui acceptent de travailler sans en
avoir les moyens cassent le marché." |
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Cela est-il dû au poids relativement
plus important du média TV en France, par rapport à la
Grande-Bretagne ou à l'Allemagne, par exemple ?
Pas seulement. Les annonceurs français n'ont pas assez
compris le Web. Les marchés anglo-saxons sont bien plus
avancés en termes de compréhension du média, et dans ces
pays, les budgets sont plus élevés. Ce n'est pas un problème
de créativité. Les agences françaises sont potentiellement
créatives, mais elles doivent demander les moyens de l'être.
Les agences qui acceptent de travailler sans en avoir
les moyens cassent le marché.
Au-delà des spécificités économiques
des différents marchés, retrouve-t-on sur le Web des spécificités
nationales en termes de création ? Les pays les plus
créatifs sur les autres médias le sont-ils aussi sur Internet ?
Quand les annonceurs comprennent le Web, comme Volvo par
exemple, les briefs sont beaucoup plus ouverts qu'en télévision.
Ce qui explique que de nombreux créatifs, en France et
ailleurs, s'intéressent à ce média. De manière générale,
les campagnes les plus créatives sont donc encore plus
créatives en ligne que off line. Pays par pays, sur le
Web comme en TV, oui, les anglo-saxons sont plus créatifs,
les Brésiliens aussi. Dans ces pays, les annonceurs prennent
plus de risques. La culture du design ou des arts graphiques
est plus présente chez eux. Mais attention, créativité
ne rime pas forcément avec efficacité.
Parmi les campagnes et les
sites remarquables, de plus en plus intègrent de la vidéo.
Comment procédez-vous pour créer un site tel que Experience-psp.com,
qui contient énormément de vidéo ?
L'essentiel, c'est de trouver l'idée. Aujourd'hui, on
voit trop de sites et de campagnes bien réalisés, mais
sans idée. Proposer une expérience forte est impossible
sans idée. Au niveau opérationnel, nous avons procédé
en faisant d'abord de petits montages vidéo, utilisés
pour expliquer l'esprit du site à l'annonceur. Pour la
réalisation finale, tout a été tourné à Paris, la 3D a
été faite en interne à quelques exceptions près, de même
que le design sonore.
Pour produire ce genre de sites,
les agences doivent donc intégrer de nouvelles compétences
et s'entourer des métiers présents dans les agences de
publicité traditionnelles ?
Nous en faisons davantage, car les agences de pub fonctionnent
avec des sociétés de production, alors que nous intégrons
tous les métiers. Avec le développement du haut débit
depuis deux ans, notre métier a donc beaucoup changé.
Aujourd'hui, nous employons des réalisateurs, qui savent
aussi utiliser Flash, par exemple, des gens qui font de
l'after-effects, de la 3D. Nous avons un studio
son, des concepteurs-rédacteurs aux compétences différentes,
etc. Cela change aussi au niveau des serveurs de stockage,
de l'hébergement, etc.
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La
vidéo est une lame de fond." |
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Va-t-on assister à une accélération
de l'utilisation de la vidéo ?
Cela commence à peine, mais c'est vraiment une lame de
fond qui se profile, à la fois dans les sites et dans
les campagnes. C'est la magie de la télé et du cinéma.
Aux Etats-Unis, c'est déjà énorme, et la vidéo à la demande
explose. Et encore, le haut débit aujourd'hui, ce n'est
encore rien par rapport à ce qu'on verra dans trois ans.
Mais pour que cela soit efficace, il faut des films qui
proposent de l'interactivité, et une autre histoire qu'en
télévision. Les internautes attendent des choses différentes.
Il ne faut pas oublier que 85 % du contenu, sur Internet,
est créé par les internautes. Ce sont eux les plus grands
concurrents des marques.
Comment les agences peuvent-elles
suivre le rythme et les nouvelles tendances initiées par
les internautes ?
Pour les agences, il ne s'agit pas de s'en inspirer pour
faire pareil, mais de comprendre que ce sont souvent les
internautes qui sont les plus créatifs, et que, de ce
fait, ils attendent un niveau de création au moins aussi
élevé pour attirer leur attention. En viral, ce qui tourne
le mieux, c'est le contenu produit par les internautes.
Internet est en cela un média créateur de créations. Les
marques, de leur côté, doivent comprendre que sur Internet,
après leurs concurrents directs, leur deuxième cercle
de concurrence, ce sont l'ensemble des marques, car un
site se compare à un autre, tous secteurs confondus. Et
que leur troisième cercle de concurrence, ce sont les
internautes eux-mêmes, ce qu'ils disent et ce qu'ils font
sur les marques.
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Internet
est un média créateur de création." |
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Tout ce que vous évoquez concernant
les moyens pour les marques de se démarquer va dans le
sens d'une inflation des budgets. Quelle progression constatez-vous
chez Duke ?
Notre croissance est d'environ 30 % par an depuis
plusieurs années. Ceci est lié à une augmentation du nombre
de nos clients, mais surtout, ceux-ci investissent de
plus en plus sur le média.
Le fait que vous ayez gagné
plusieurs budgets internationaux, comme Nike Europe pour
NikeACG.com, va aussi dans le sens d'une croissance des
budgets. Comment fait-on pour décrocher des budgets internationaux ?
Nous venons en effet d'ouvrir un bureau à Londres pour
le budget Nissan. Nous couvrons désormais 19 pays européens
pour cette marque, contre 12 l'an passé. Nos budgets internationaux
ont en général des centres de décision basés en France,
sauf Nike, qui se trouve à Amsterdam. Pour nous, l'international
est un relais de croissance formidable.
Est-ce votre principal relais
de croissance ?
Pas vraiment. Nous avons grossi très fortement en France.
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Oui
à la diversification, tant que nous
restons dans notre coeur de métier
: le Web." |
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Quels sont alors les axes stratégiques
de croissance pour Duke ? La diversification en interne ?
Jusqu'où ?
La diversification, pourquoi pas, s'il s'agit d'un besoin
de nos annonceurs. Nous privilégions en effet la fidélisation,
c'est pourquoi nous ne faisons qu'une dizaine de compétitions
par an. Et tant que nous restons dans notre cur de métier
: l'Internet. Nous ne savons pas faire de print ou de
la publicité classique.
Vous dîtes que votre métier,
c'est l'Internet. Comment vous positionnez-vous exactement
sur le marché, notamment par rapport aux autres agences
interactives comme Nurun, Business Interactif ou Fullsix ?
Nous sommes une agence interactive, comme Nurun et Business
Interactif. Nous sommes proches en termes de métier, d'intervention
- du conseil au développement - et d'organisation. Mais
notre positionnement, notre philosophie et notre culture
d'entreprise sont légèrement différents. Fullsix se repositionne
sur les marketing services. Nous les rencontrons moins
en consultation depuis quelques temps.
Ce positionnement d'agence
interactive est-il le plus porteur aujourd'hui ?
Le marché nous donne raison. Nous sommes certainement,
avec les trois agences que vous citez, les quatre agences
les plus importantes sur le marché Internet. Nous faisons
plus le marché que les Publicis ou TBWA. C'est la même
chose aux Etats-Unis, avec Avenue A Razorfish, Critical
Mass, Digitas, RGA et Agency.com.
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Le
marché donne raison aux agences interactives." |
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Les agences multi-spécialistes
ne sont-elles pas mieux positionnées sur les problématiques
plurimédia et multicanal ?
Duke traite ce genre de problématiques tous les jours,
en collaborant avec les autres agences des clients. Nous
travaillons avec eux en amont, à partir des brainstormings,
pour définir les stratégies de marque. C'est le cas par
exemple avec TBWA pour McDonald's. Ce que veulent les
grands groupes cotés, c'est avant tout augmenter leurs
marges brutes. Chacun sa spécialité.
Quelles sont les performances
chiffrées de Duke en 2005 ?
Nous ne communiquons pas de chiffres, bien que nous le
voudrions. Nous ne le faisons pas car les groupes cotés
interdisent à leurs agences, nos concurrents, de le faire.
Pour terminer, que retenez-vous
de l'année 2005, dans le domaine de l'Internet et des
TIC ?
L'avènement du rich-media dans les campagnes, de la vidéo
sur les sites, le haut débit, l'efficacité du média, Google
Earth, Skype, les blogs, la 3G, Edge, le multicanal
Et qu'attendez-vous en 2006
?
Plus de tout cela. Certainement d'autres annonces chocs
de la part de Google et dans le domaine du mobile, le
développement du podcasting, l'explosion de la VOD,
et la consécration de ce que notre planning stratégique
appelle la "Génération C" : créatrice de
contenu. |
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Propos recueillis par Raphaële KARAYAN, JDN |
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PARCOURS
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Matthieux de Lesseux a fondé sa première
société à 20 ans, spécialisée dans la création et
l'édition de logiciels. Il a ensuite créé un département
multimédia chez Gédéon (groupe Canal Plus) avant
de participer au développement de Connectworld et
d'en prendre la direction générale jusqu'en 1999.
Depuis, Matthieux de Lesseux a fondé et co-dirige
Duke avec Christine Santarelli, rencontrée lors
de son passage chez Connectworld.
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