INTERVIEW 
 
Alban Martin
Auteur du livre "The entertainment industry is cracked. Here is the patch !" (éd. Publibook)
Alban Martin
"Les majors devraient reconnaître la valeur du peer-to-peer"
Ancien assistant trader et consultant en stratégie, diplômé d'HEC, Alban Martin a publié l'an passé un livre, où il propose un nouveau modèle économique pour la musique en ligne. Il y explique non seulement que le peer-to-peer n'est pas une menace pour l'industrie du disque, mais que celle-ci pourrait même en profiter.
(10/02/2005)
 
JDN. Le jugement a été rendu dans le premier procès d'un particulier téléchargeant de la musique sur Internet : 10.200 euros de dommages et intérêts aux parties civiles. Qu'en pensez-vous ?
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Alban Martin. Le jugement est peut-être fondé d'un point de vue légal. Mais d'un point de vue économique, les procès sont difficiles à soutenir. Nous sommes dans une situation où les majors pourraient contrôler et utiliser le peer-to-peer à leur avantage. Et elles auraient tout intérêt à l'utiliser. Or, elles tentent de l'arrêter, en prenant le risque de le rendre encore plus obscur et incontrôlable. Bientôt, va se développer le peer-to-mail. Avec des webmails aux capacités de stockage de plus en plus grandes, comme Gmail, l'échange de fichiers pourra se faire via le mail : le système sera alors protégé et légalement, il n'y aura plus aucun moyen de l'empêcher. L'attitude de l'industrie du disque est donc tout simplement contre-productive.

L'image des maisons de disque ne risque-t-elle pas d'en souffrir ?
C'est déjà le cas. Attaquer ses clients devant la justice, ce n'est pas le comportement normal d'une entreprise qui souhaite réaliser des profits ! De plus, actuellement, la critique se déplace sur d'autres terrains. L'attitude des majors ouvre la brèche à d'autres critiques, par exemple la manière dont sont sélectionnés les artistes.

La profession semble d'ailleurs divisée, avec l'appel lancé par le Nouvel Observateur et signé par plusieurs artistes. Le débat est-il en train de changer de nature ?
Il y a un manque évident de cohérence entre le discours des artistes ouverts au peer-to-peer et celui tenu par ceux qui ont réalisé la campagne d'affichage pour le téléchargement légal. Mais c'est aussi un signe que les majors ne rallient pas les foules. L'an passé, 20 % des contrats des artistes n'ont pas été renouvelés. Cela a peut-être été le détonateur. Les artistes voient là un moyen de s'affranchir des maisons de disque. Il faut savoir que les musiciens et chanteurs gagnent beaucoup moins d'argent par la vente de disques que par les bénéfices des concerts et des produits dérivés. Or, le modèle économique des majors est fondé sur la vente de disques. On pourrait ainsi assister à une remise en cause du modèle.

Dès lors, quelle sont les alternatives possibles à ce modèle économique ?
En janvier, une étude de la Harvard Law School a distingué quatre modèles possibles pour l'avenir. Le premier, qui a la préférence des majors, est un système où l'offre serait monopolisée par les kiosques légaux, avec des DRM qui restreindraient l'usage dans le temps des fichiers. Le second, celui que l'on connaît actuellement, est une coexistence de ces kiosques avec le peer-to-peer. Le troisième reviendrait à accepter le peer-to-peer en prélevant les droits à la source, en instaurant par exemple une taxe chez les FAI, puis en redistribuant les sommes aux ayant-droits. Enfin, une quatrième possibilité existe, celle de considérer la musique comme un produit d'appel et d'utiliser le peer-to-peer. La conclusion est qu'il est trop tôt pour dire vers quel modèle le marché va s'orienter. Et donc, quoi qu'il en soit, le législateur a tort de se prononcer en faveur de l'un des modèles.

Quel modèle préconisez-vous ?
Le quatrième est évidemment celui qui possède le plus gros potentiel. C'est ce que j'ai appelé, dans mon ouvrage, le modèle de co-création de valeur. Il faut replacer le consommateur au coeur de la stratégie et reconnaître que l'entreprise n'a pas le monopole de la création de valeur.

Les entreprises doivent écouter les hackers."
Dans ce livre, publié l'an dernier, vous affirmez que les pirates et les hackers créent plus de valeur qu'ils n'en détruisent. Comment cela est-il possible ?
Prenons le cas des hackers : ils transforment le produit en utilisant ses failles, selon leurs propres besoins. En observant ces besoins, ces attentes, l'entreprise peut anticiper les besoins du marché. Elle bénéficie d'une création de valeur extraordinaire. Les hackers sont des précurseurs car ils disposent du savoir technologique. En cela ils devancent les attentes des consommateurs. Si les entreprises savent les écouter et les comprendre, elles en retireront tous les bénéfices. Cela a déjà été le cas par le passé. Ainsi, si le peer-to-peer n'avait pas existé, qui sait si les majors auraient eu l'idée de proposer des kiosques légaux ?

Quels sont les autres bénéfices que pourraient retirer les entreprises d'une exploitation du peer-to-peer?
En plus de l'avantage comparatif tiré d'une meilleure connaissance du marché, le peer-to-peer contribuerait à réduire les coûts, notamment marketing, des entreprises. Le partage de fichiers est aussi un formidable outil de distribution. L'internaute doit alors être considéré comme un distributeur : celui qui fait connaître un morceau à quatre autres millions d'internautes a encore plus de valeur qu'un magasin comme la Fnac. On peut aussi utiliser le peer-to-peer comme étude de marché : en se penchant sur les chiffres de téléchargement, on aura une idée du buzz autour d'un artiste, des goûts du public. Le P2P peut également faciliter la recherche de nouveaux talents. Un exemple : un DJ, Danger Mouse, avait fait un remix des Beatles, appelé le Gray Album, sans autorisation. En le diffusant sur les réseaux de peer-to-peer, le succès a été immédiat. L'album a été l'un des plus téléchargés. EMI a fait saisir tout le matériel et interdit la diffusion. Pourquoi, en voyant le succès du remix, n'ont-ils pas signé avec son auteur ? Cela aurait été bien plus bénéfique pour eux.

Dès lors, pourquoi les majors sont-elles hostiles au modèle de co-création ?
Peut-être est-ce dû à des réticences culturelles, qui empêchent les règles du marché de fonctionner normalement. Ou bien est-ce une méconnaissance marketing. Peut-être aussi la peur d'une stratégie à long terme, qui exigerait des sacrifices dans un premier temps.

Enterrer le peer-to-peer signifie la fin de tout échange."

Les majors et les utilisateurs du peer-to-peer semblent camper sur leurs positions. Quelle solution proposer dans la situation actuelle ?
Tout d'abord, rétablir le dialogue, être à l'écoute des consommateurs. Dans le cas de la musique, c'est comprendre que le CD protégé peut ne pas fournir une bonne expérience pour la personne qui souhaite l'écouter sur un autoradio non compatible. Ou bien qu'un DRM peut ne pas fournir une bonne expérience si elle empêche le consommateur d'écouter le morceau sur un lecteur MP3 non compatible. Ensuite, rendre les produits et l'information accessibles aux clients, pour que ceux-ci puissent les tester et les adapter à leurs besoins. Puis bien manager le risque. Les risques financiers doivent être appréhendés différement, ils deviennent partagés avec les consommateurs. Par exemple limiter les dépenses marketing et les risques de ventes à perte en instrumentalisant le bouche à oreille et les communautés de fans chargés de faire le buzz. Enfin, retrouver de la transparence : la co-création de valeur repose sur l'échange avec les consommateurs. Enterrer le P2P signifie la fin de tout échange. En fait, le P2P est un faux problème, c'est la relation qu'ont les majors avec leurs clients qui est mise au grand jour avec les procès. Le P2P devrait être considéré comme un signal du marché, à utiliser pour co-créer de la valeur et fournir l'avantage compétitif ultime : une expérience parfaite avec les produits de l'industrie culturelle, c'est à dire une expérience co-créée répondant à toutes les attentes du consommateur.

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Quelles initiatives concrètes pourraient être mises en place facilement ?
Il ne s'agit pas forcément d'un profond bouleversement. Il suffit de reconnaître la valeur du peer-to-peer, de s'en servir, et peut-être d'abandonner la vieille conception de propriété intellectuelle. Quelques idées sont intéressantes. Celle, par exemple, de disposer gratuitement d'un fichier pendant un ou deux mois afin de tester le produit et de découvrir un artiste, puis de payer une certaine somme pour avoir le fichier à vie. Des pistes sont aussi explorées dans la personnalisation de la relation client : pour les internautes qui disposeraient de plusieurs fichiers d'un même artiste, celui-ci pourrait leur proposer des contenus exclusifs : réduction sur une place de concert, édition limitée, etc. Et ainsi générer de nouvelles sources de revenus.

 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Alban Martin, 25 ans, est l'auteur du livre « The Entertainment Industry is cracked, Here is the Patch ! », aux éditions Publibook, lauréat du prix de la fondation HEC du meilleur mémoire élève 2004.

Il a également réalisé un échange MBA à l'université du Michigan aux Etats-Unis, dont il s'est inspiré pour l'écriture de son livre sur la co-création de valeur.

Ancien ancien assistant trader à Londres et consultant en stratégie, il travaille actuellement dans les nouvelles technologies. Une version française de son livre est en cours.

   
 
 
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