INTERVIEW 
 
Benoît Tabaka
Juriste
Forum des droits de l'Internet
Benoît Tabaka
"Il s'agit de protéger le consommateur face à un autre consommateur"
Suite au développement des places de marché CtoC, le Forum des Droits de l'Internet a mis en place un groupe de travail sur les relations commerciales entre particuliers. Droit applicable, évolution du Code de la consommation, identification des vendeurs professionnels… Son rapporteur, Benoît Tabaka, fait le point sur les travaux et les réflexions du groupe.
(08/07/2005)
 
JDN. Pourquoi le Forum des Droits a-t-il jugé utile de réunir en juin 2004 un groupe de travail sur les relations commerciales entre particuliers ?
  Le site
Foruminternet.org
Benoît Tabaka. Premièrement, parce que le secteur est en pleine explosion. Près de 5 millions d'internautes utiliseraient les plates-formes comme eBay, Priceminister, Amazon, Alapage, 2xmoinscher ou Aucland. Cela commence à représenter une part importante du commerce électronique, dans la mesure où les acheteurs en ligne sont au nombre de 11 millions. Ensuite, on assiste au même phénomène un peu partout en Europe. En Allemagne, ces plates-formes représentent 25 % du e-commerce en volume de biens échangés. Près de 75 % des acheteurs en ligne les utilisent. Enfin, elles offrent un nouvel outil pour le commerce de biens, et permettent à des particuliers d'être considérés comme des professionnels de la vente à distance. Le groupe de travail se donne pour mission d'étudier tous ces points.

A partir de quel moment un utilisateur de ces plates-formes est-il considéré comme un professionnel ?
Aujourd'hui, il n'existe pas de critère. Le droit ne définit pas la notion de professionnel. Il ne s'est jamais penché là-dessus. Il s'est plutôt penché sur la définition du consommateur. Prendre comme critère un seuil de valeur serait artificiel. La notion de professionnel doit porter sur un ensemble d'éléments.

Quel est le cadre juridique applicable aux transactions qui s'effectuent sur ces places de marché ?
En fait, un particulier qui va liquider ses collections de timbres relève du droit commun, et à ce titre est soumis aux règles habituelles du contrat. Il n'a donc pas besoin de proposer un droit de rétractation, par exemple. A partir du moment où il commence à avoir une activité plus importante, il est soumis à beaucoup plus d'obligations. Le droit de la vente à distance impose notamment le droit de rétractation, ainsi que des obligations fiscales et sociales. Il doit déclarer ses bénéfices.

S'il ne le fait pas, son activité est assimilable à du commerce au noir ?
C'est un problème qui commence à se développer. Au travers de ces plates-formes, des professionnels peuvent concurrencer d'autres professionnels. Ils n'ont pas besoin d'investir pour développer et sécuriser un site, et disposent instantanément d'un marché immense, alors qu'un cybermarchand doit faire des dépenses marketing énormes pour cela. Mais au plan légal cette concurrence n'est pas déloyale. Là où cela devient une pratique frauduleuse, c'est lorsqu'un professionnel va se dissimuler sous l'identité d'un particulier pour en tirer des avantages. Cette pratique, c'est de la fraude fiscale. Il s'agit d'un problème quasiment impossible à régler.

Dissimulation sous l'identité d'un particulier, revente à perte : les pros risquent gros"
Un professionnel qui agit de la sorte ne fraude pas seulement l'Etat, il concurrence aussi de manière déloyale les autres professionnels en ne s'acquittant pas de la TVA ?
Un professionnel qui vend par ce canal doit déclarer la TVA à partir de 76.300 euros de chiffre d'affaires hors taxe par an. On pourrait dire que ce seuil sert à déterminer qui est professionnel et qui ne l'est pas, mais à 5.000 euros par mois, une activité commence déjà à devenir importante... Tous ces critères de seuil ne sont pas faciles manipuler.

Les plates-formes informent-elles leurs utilisateurs de ces obligations ?
Les grandes ont mis en place des pages d'information, les plus petites ne le font pas.

Ces plates-formes permettent également la revente à perte. Encore un autre problème de contournement des règles commerciales...
Ces sites peuvent en effet permettre la revente à perte. L'interdiction en la matière ne s'applique qu'aux professionnels. Juridiquement, ils risquent une sanction pénale. Un concurrent ou la répression des fraudes peuvent leur tomber dessus pour concurrence déloyale.

Les transactions internationales permises par certaines de ces plates-formes posent-elles problème ?
Nous ne nous penchons pas spécialement là-dessus. Cela fait resurgir beaucoup de problèmes : de langue, de taxes douanières… Aujourd'hui, les principaux problèmes des ventes transnationales sont la surfacturation et le règlement des contentieux. Ceci est une question récurrente pour le commerce électronique, c'est même le sujet phare. Mais sur la plupart des plates-formes, la quasi-totalité des transactions sont nationales.

Nous examinons la possibilité de faire évoluer le droit de la consommation."
Existe-t-il d'autres problématiques sur lesquelles se penche le groupe de travail que vous coordonnez ?
Nous réfléchissons à l'application de la loi. Qui doit l'appliquer ? La plate-forme ou les utilisateurs ? Nous allons réaliser une sorte de guide pratique pour répondre à toutes ces questions. Nous examinons par ailleurs la possibilité de faire évoluer le droit de la consommation. Sur ces plates-formes, nous sommes en situation de vente à distance, ce n'est pas la même chose que sur les petites annonces, pour lesquelles il y a en général une situation de rencontre physique entre les parties. Or, le droit de la vente à distance protège uniquement le consommateur face au professionnel. Se pose donc la question de protéger le consommateur face à un autre consommateur. Le point central de cette question tient dans l'instauration d'un droit de rétractation applicable aux particuliers.

Comment se passent les auditions des plates-formes consultées par le groupe de travail ?
Les acteurs n'hésitent pas à livrer de nombreux éléments, sauf des secrets de fabrique pour des raisons de concurrence. Ces auditions ont porté leurs fruits, elles nous ont permis de mieux comprendre leur mode de fonctionnement. Ils se sont vraiment impliqués. Ils en ont tout intérêt, car cela peut avoir des répercussions sur leur activité.

Quand comptez-vous publier les résultats de vos travaux ?
A la rentrée, nous allons sortir nos recommandations, qui se présenteront sous la forme d'un rapport avec beaucoup d'éléments pratiques, permettant d'identifier les règles de droit applicables.
 
 
Propos recueillis par Raphaële KARAYAN, JDN

PARCOURS
 
 
Benoît Tabaka, juriste spécialisé dans le droit des technologies de l'information et de la communication, a rejoint le Forum des droits sur l'Internet en octobre 2002. Il y assure l'animation de certains groupes de travail (ventes d'oeuvres d'art, commerce électronique, etc.) et coordonne les travaux de son Observatoire permanent de la cyber-consommation.

Auparavant, il a été notamment collaborateur au sein du cabinet d'avocats Landwell & Partners, cabinet correspondant de PricewaterhouseCoopers.

   
 
 
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