JURIDIQUE 
PAR ANNE COUSIN
Droit d'auteur sur Internet : les logiciels aussi sont protégés
Le responsable d'un site Internet renvoyant vers des sites permettant la copie de dispositifs anti-piratage a été condamné à de la prison ferme pour délit de contrefaçon. Anne Cousin commente ce jugement du TGI de Bastia, qui va dans le sens des dispositions de la future loi DADVSI.  (17/03/2006)
 
Avocate, directrice du pôle Contentieux général du Cabinet Alain Bensoussan
 
   Le site
Alainbensoussan.com
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A l'heure où, en matière de droit d'auteur, l'attention du public et des juristes se porte surtout sur les enjeux du téléchargement des films et des œuvres musicales sur Internet, alors que la Cour de cassation vient de limiter les applications de l'exception de copies privées et que reprennent les discussions parlementaires sur le projet de loi DADVSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information), un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bastia le 17 janvier 2006 devrait prendre une importance toute particulière.

Les droits d'auteur violés appartenaient en l'espèce à plusieurs éditeurs de progiciels ayant constaté qu'ils étaient distribués sans autorisation par l'intermédiaire d'un site Internet renvoyant à d'autres sites ou d'autres serveurs permettant la copie de dispositifs anti-piratage et de logiciels "déplombés".

Le Tribunal de Bastia a retenu le délit de contrefaçon et, compte tenu de l'ampleur des agissements illicites, a condamné le prévenu à la peine de 24 mois d'emprisonnement dont 9 mois avec sursis, 10.000 euros d'amende et 7.500 euros de dommages et intérêts aux cinq parties civiles constituées, lesquelles recevaient en outre chacune 500 euros à valoir sur leurs frais de procédure et, pour certaines, des dommages et intérêts supplémentaires pour réparer une atteinte à leur image de marque.

Le tribunal a balayé les arguments présentés en défense par le prévenu. Celui-ci soutenait qu'il n'était pas l'auteur des actes de contrefaçon reprochés puisque son activité consistait à proposer des liens renvoyant sur d'autres sites ou d'autres serveurs, et qu'il ne détenait lui-même aucun support de logiciels contrefaits.

Le tribunal a pris à cet égard une position en trois points qui incite à la réflexion.

Le délit de contrefaçon va au-delà de l'hébergement de logiciels contrefaits
D'une part il affirme qu'il n'est pas nécessaire d'héberger les logiciels contrefaits sur son propre serveur pour se rendre coupable de l'infraction.

En créant des liens entre son propre site et les autres sites hébergeant les logiciels en cause, le prévenu a bien procédé à la mise en ligne des programmes sans autorisation, cette mise en ligne supposant la reproduction du logiciel et donc leur contrefaçon.

Il est clair que cette solution n'allait pas de soi et la thèse inverse peut même se réclamer de solides arguments. En effet, il peut être soutenu que celui qui crée le lien ne reproduit pas lui-même l'œuvre protégée puisque celle-ci l'est en fait par l'internaute qui télécharge le programme, de surcroît à partir d'un site appartenant à un tiers. L'analyse du comportement du prévenu en un acte de complicité pourrait paraître plus adéquate dans ces conditions.

Les dispositifs anti-piratage violent la propriété intellectuelle…
D'autre part, le tribunal considère que proposer aux internautes des moyens de contourner les dispositifs anti-piratage des logiciels constitue la violation de l'article L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Celui-ci réserve en effet aux seuls auteurs le droit d'effectuer et d'autoriser la reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie, par tout moyen et sous toute forme, ainsi que la traduction, l'adaptation et l'arrangement ou toute autre modification.

Pour le tribunal, l'offre de dispositifs anti-piratage constitue une atteinte injustifiée aux intérêts légitimes des auteurs de logiciels et en conséquence la contrefaçon de leurs droits.

… et leur mise à disposition est un acte de complicité de piratage
En troisième lieu, le jugement considère qu'en toute hypothèse la fourniture de ces mêmes dispositifs peut être analysée en un acte de complicité de l'internaute qui, en se connectant sur le site du prévenu, a voulu nécessairement procéder au déplombage d'un programme protégé.

Un jugement précurseur du projet de loi DADVSI
La lecture du jugement du Tribunal de grande instance de Bastia renvoie directement aux dispositions du projet de loi relatif aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, qui comprend un article 13 assimilant au délit de contrefaçon un certain nombre de pratiques.

Figure parmi celles-ci le fait de porter atteinte en connaissance de cause à une mesure technique destinée à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées d'une œuvre de l'esprit ou d'une interprétation. Les programmes d'ordinateur sont bien entendu concernés directement par cette disposition.

Même si, comme l'a retenu le jugement, l'article L. 122-6 du Code de la propriété intellectuelle permettait déjà de sanctionner ces agissements, il est clair que le texte en préparation aborde plus directement et plus précisément le phénomène et, s'agissant d'un texte pénal, devrait constituer à cet égard un gage de sécurité supplémentaire pour les éditeurs.

Le texte en préparation propose également de sanctionner au titre de la contrefaçon le fait de fabriquer ou d'importer une application technologique, un dispositif ou un composant ou de fournir un service destiné à faciliter ou à permettre les atteintes portées aux mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées d'une œuvre de l'esprit ou d'une interprétation.

Ce n'est donc plus le "craquage" de l'œuvre, par exemple du logiciel, qui se trouve ici sanctionné, mais le fait de fournir un dispositif ou un service le permettant ou le facilitant. Celui qui déplombe un programme d'ordinateur et celui qui lui en procure les moyens ne seraient donc pas auteur et complice d'une même infraction, mais auteur chacun d'une infraction distincte.

Là encore le projet de loi apportera certainement aux praticiens du droit les précisions qui leur font défaut pour garantir une prévisibilité suffisante des solutions.

Force est de reconnaître toutefois qu'en l'absence de ce texte, le tribunal est parvenu à sanctionner le prévenu pour les faits mêmes que le projet en discussion a pour objet d'interdire. Preuve supplémentaire, s'il en était besoin, de l'agilité et du pragmatisme de la jurisprudence.

 
 

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