JURIDIQUE 
PAR ISABELLE RENARD
Les e-mails recommandés ont-ils valeur légale ?
Depuis l'ordonnance du 16 juin 2005, les e-mails recommandés ont la même valeur juridique qu'une lettre recommandée papier. Mais à certaines conditions. Le point avec Isabelle Renard, avocat chez August & Debouzy.  (21/03/2006)
 
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Une dépêche de l'AFP du 6 février 2006 nous apprenait que AOL et Yahoo! envisagent de proposer aux entreprises un service payant d'e-mail recommandé, basé sur un produit lancé à l'automne dernier par la société californienne Goodmail Systems. Ce service se présente comme doublement vertueux, puisque non seulement il permet à l'expéditeur de s'assurer que le destinataire a bien reçu son mail, mais il permet aussi aux destinataires, d'après les propres mots de Richard Gingras, PDG de Goodmail Systems, "d'être assurés qu'ils reçoivent des courriels sûrs de la part d'expéditeurs légitimes". Son utilisation permettrait de combattre les pratiques de phishing, qui ont fait beaucoup de dégâts parmi les établissements financiers et les organismes caritatifs.

La fourniture de courriers électroniques recommandés est déjà une réalité en France. La Poste propose un produit hybride entre l'électronique et le service postal traditionnel, mais celui-ci peut difficilement être qualifié de lettre recommandée électronique. D'autres services, comme "Lettre recommandée.com" proposent, pour une somme de l'ordre de 5 euros, la possibilité d'envoyer des lettres recommandées entièrement électroniques.

Une valeur juridique identique à la lettre recommandée papier ?
La réponse serait a priori positive puisque l'article 1369-8 inséré dans le Code Civil par l'ordonnance n° 2005-674 du 16 juin 2005 dispose que "Une lettre recommandée relative à la conclusion ou l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé permettant d'identifier le tiers, de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si la lettre a été remise ou non au destinataire".

On retrouve dans les exigences posées par le texte, de façon très logique, les fonctionnalités assurées par la lettre recommandée papier : désignation de l'expéditeur, garantie de l'identité du destinataire et de remise ou non du courrier.

S'agissant de la datation du courrier, ce même article dispose : "Lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait aux exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat".

Ce décret n'est pas encore paru, ni celui mentionné au dernier alinéa de l'article 1369-8 et qui précise : "Les modalités d'application du présent article sont fixées en Conseil d'Etat".

En l'absence de décret, aucune offre de lettre recommandée électronique n'a de valeur juridique ?
Certainement pas, car la modification du droit de la preuve opérée depuis la loi du 13 mars 2000 permet d'affirmer, au contraire, qu'un écrit électronique a la même force probante qu'un écrit papier, sous réserve que soient respectées un certain nombre de conditions posées par les articles 1316-3 et 1316-1 du Code Civil.

Ces conditions sont maintenant bien connues (identification de l'expéditeur, garantie d'intégrité de l'acte au moment de sa création et de sa conservation), et plusieurs offres du marché permettent d'émettre des documents signés électroniquement tout à fait fiables.

Pour autant, aucun des acteurs du marché ne propose la fameuse "signature sécurisée" qui bénéficie d'une présomption de fiabilité. Si un litige survient à propos de la valeur probante d'un écrit signé électroniquement, ce sera à celui dont l'écrit numérique est contesté de prouver sa fiabilité devant les experts et les juges. Il est vrai que l'opération est lourde, car elle passe quasi nécessairement par la désignation d'un expert, mais elle ne pose pas de difficulté de fond et elle sera facilitée si le dispositif utilisé a préalablement fait l'objet d'un audit technique et juridique.

S'agissant de la lettre recommandée électronique, à la question de la valeur probante de l'écrit numérique s'ajoute celle de la fiabilité du processus d'horodatage et, plus largement, de la fiabilité de l'ensemble du processus de gestion du recommandé électronique.

Tant qu'aucun décret n'est venu préciser les modalités d'application de l'article 1369-8 du Code Civil, il faudra en cas de litige fournir la preuve aux magistrats et aux experts de la fiabilité de l'ensemble du dispositif.

En attendant, attention aux raccourcis trompeurs du type : "le courrier recommandé électronique à valeur légale".
L'e-mail recommandé n'est pas dépourvu de valeur juridique, car il a force probante s'il respecte les conditions posées par les diverses dispositions du Code Civil. Mais nous avons vu qu'en cas de contestation sur son contenu, sa réception, l'identité de son expéditeur ou sa date, l'émetteur du courrier devra être en mesure d'apporter la preuve de la fiabilité du processus mis en œuvre.

Si l'échange de recommandés a lieu entre des parties qui sont déjà en relation (courrier commercial, établissement financier et son client), celles-ci peuvent conclure une convention de preuve, dont la validité a été expressément reconnue par l'article 1316-2 du Code Civil. Une telle convention permet d'éviter la remise en cause du courrier électronique par une des parties dès lors qu'elle aura accepté que l'utilisation de tel ou tel système d'e-mail recommandé assure les mêmes fonctions qu' un recommandé postal classique.

En conclusion, le courrier électronique peut avoir une valeur "légale", en ce sens qu'il n'est pas dépourvu de valeur juridique si il a été généré par un système fiable correspondant aux préconisations légales et si, de plus, une convention de preuve a été conclue entre les parties. Le tout est de le savoir...

 
 

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