Chargé
d'enseignements à l'Université de Paris V - René
Descartes
Membre du Comité éditorial de Juriscom.net |
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Le 21 juin 2004 était promulguée la loi pour la confiance
dans l'économie numérique (LCEN). Attendu depuis 2001,
ce texte opérait la transposition de la directive "commerce
électronique" du 8 juin 2000 en abordant les thématiques
de responsabilité des intermédiaires ou d'encadrement
du commerce électronique. Deux ans après, on peut tirer
un premier bilan de sa mise en uvre pratique, de l'intervention
des décrets d'application et de son application par
les juges. La LCEN a notamment modifié le régime
législatif applicable au Web et à la responsabilité
des intermédiaires techniques.
La scission
entre l'Internet et la communication audiovisuelle
Souhaitant faire échapper l'Internet au contrôle du
Conseil supérieur de l'audiovisuel, la LCEN avait décidé
de créer deux ensembles bien distincts : la communication
audiovisuelle (intégrant les services de radio et de
télévision), et la communication au public en ligne
qui correspondait à tous les usages publics de l'Internet.
Cette distinction n'était pas que sémantique. Elle a
eu pour conséquence d'exclure l'Internet de toute la
législation s'appliquant explicitement aux seuls services
de communication audiovisuelle. L'exemple classique
est le contrôle exercé par le CSA sur le temps de parole
des candidats à une élection. Tirant les conséquences
de la distinction posée par la LCEN, un membre du CSA
affirmait en février 2006 que "les interventions
des candidats à l'élection présidentielle de 2007 qui
seraient véhiculées par d'autres types de services sur
Internet, comme des services de podcasting, ne sauraient
être prises en compte par le CSA au titre de leur temps
de parole".
Néanmoins, cette distinction juridique est encore mal
connue, et comprise surtout au regard de l'intervention
de certaines décisions de justice rendues sous l'empire
de la loi ancienne. Ainsi, si la Cour de cassation a
pu réaffirmer dans un arrêt du 10 mai 2005 que l'Internet
était un élément de la communication audiovisuelle,
une telle solution n'aurait plus lieu d'être aujourd'hui.
L'encadrement
de l'activité des prestataires techniques et des éditeurs
de site
Un débat a suscité de nombreuses discussions
lors de l'élaboration de la LCEN : le régime de
responsabilité des intermédiaires techniques. D'un point
de vue pratique, on assiste à une mise en uvre très
particulière. En effet, la LCEN rappelle que les prestataires
peuvent voir leur responsabilité civile ou pénale être
engagée si, ayant eu connaissance du caractère "manifestement
illicite" (selon l'interprétation donnée par le
Conseil constitutionnel) d'un contenu, ils n'ont pas
procédé à sa suppression ou à sa suspension.
La première affaire a été engagée dès l'entrée en vigueur
de la LCEN par le Comité de défense de la cause arménienne.
Il demandait à Wanadoo de suspendre l'accès au site
du consulat général de Turquie au motif qu'y étaient
publiés des propos négationnistes. Dans un jugement
du 15 novembre 2004, le Tribunal de grande instance
de Paris refusait de faire droit à cette demande. A
ses yeux, en l'absence de criminalisation du négationnisme
du génocide arménien, le contenu diffusé n'était pas
illicite. En conséquence, Wanadoo n'était pas tenu,
en application de la LCEN, de procéder à la suspension
ou suppression dudit contenu. Cette décision est aujourd'hui
frappée d'appel.
A côté de ce seul exemple judiciaire, plusieurs
autorités administratives commencent à avoir des interprétations
différentes de la notion de "manifestement illicite".
Alors que classiquement, ce concept regroupait les contenus
racistes, antisémites, négationnistes, révisionnistes
ou pédo-pornographiques, la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)
notifie aux hébergeurs que les "offres d'emploi diffusées
sur Internet mentionnant un critère d'âge, en des termes
dénués d'ambiguïté dont l'usage suffit à caractériser
l'intention de discriminer, (
) sont constitutives du
délit de discrimination prévu aux articles 225-1 et
225-2 du code pénal".
De la même manière, le ministre de l'Equipement a indiqué
récemment que la vente de pièces permettant le débridage
pourrait être considérée comme une activité "manifestement
illicite" au sens de l'article 6 de la LCEN.
Cette profusion d'interprétations diverses implique
également des difficultés dans l'application de la loi
par les prestataires eux-mêmes, certains hébergeurs
- notamment de blogs - n'hésitant pas à recourir
à la suspension d'un contenu pour des propos pouvant
être jugés diffamatoires mais prescrits au moment de
la demande adressée au prestataire.
Autre point de la LCEN concernant les prestataires techniques
: l'article 6.I.8. Ce texte permet à un juge d'ordonner
à un hébergeur, et le cas échéant à un fournisseur d'accès
à l'Internet, de cesser de permettre l'accès à un contenu
qui serait jugé illicite. Ce texte a été mis en uvre
par deux fois.
Tout d'abord, le 15 juin 2005, le Tribunal de grande
instance de Paris a ordonné à plusieurs fournisseurs
d'accès de bloquer l'accès à un site révisionniste hébergé
sur le territoire américain (AAARGH). Cette décision
était justifiée par le fait que les démarches opérées
tant vis-à-vis des auteurs que vis-à-vis des hébergeurs
américains n'avaient pas permis de faire cesser cette
activité illicite.
Dans un autre secteur, cet article a également été utilisé
par le Pari mutuel urbain (PMU) afin de lutter contre
un site de paris sportifs visant le public français
mais hébergés dans un premier temps au Royaume-Uni et
dans un second temps à Malte. Après une première ordonnance
rendue le 8 juillet 2005 et considérant que l'activité
opérée par le site Zeturf était manifestement illicite
au regard du droit français, les juges français rendaient
une nouvelle ordonnance le 2 novembre 2005 sur le fondement
de l'article 6.I.8, ordonnant aux hébergeurs maltais
de suspendre l'accès audit site. Cette mesure a été
confirmée le 14 juin 2006 par la Cour d'appel de Paris.
Enfin, le dernier point demeure l'obligation pour les
éditeurs de site d'accepter un droit de réponse, toute
personne nommée ou désignée dans un service de communication
au public en ligne disposant d'un tel droit, sans préjudice
des demandes de correction ou de suppression du message
qu'elle peut adresser au site. Ce régime devait faire
l'objet d'un décret d'application. Néanmoins et sans
l'attendre, les juges ont d'ores et déjà appliqué cette
disposition. Ainsi, le Tribunal de grande instance de
Nanterre condamnait en juin 2005 un éditeur de site
à 800 euros d'amende sur le fondement de l'article de
l'article 6.IV pour avoir refusé d'insérer un droit
de réponse, les juges rappelant que "les conditions
d'insertion de la réponse sont celles prévues par l'article
13 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée".
La semaine prochaine : le bilan de la LCEN en matière
de commerce électronique et de publicité en ligne.
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