JURIDIQUE 
PAR BENOÎT TABAKA
LCEN : quel bilan deux ans après ?
Régime législatif applicable, responsabilité des prestataires techniques, des hébergeurs et des éditeurs de site... Première partie du bilan dressé par Benoît Tabaka, deux ans après le vote de la LCEN.  (19/07/2006)
 
Chargé d'enseignements à l'Université de Paris V - René Descartes

Membre du Comité éditorial de Juriscom.net
 
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Le 21 juin 2004 était promulguée la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN). Attendu depuis 2001, ce texte opérait la transposition de la directive "commerce électronique" du 8 juin 2000 en abordant les thématiques de responsabilité des intermédiaires ou d'encadrement du commerce électronique. Deux ans après, on peut tirer un premier bilan de sa mise en œuvre pratique, de l'intervention des décrets d'application et de son application par les juges. La LCEN a notamment modifié le régime législatif applicable au Web et à la responsabilité des intermédiaires techniques.

La scission entre l'Internet et la communication audiovisuelle
Souhaitant faire échapper l'Internet au contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, la LCEN avait décidé de créer deux ensembles bien distincts : la communication audiovisuelle (intégrant les services de radio et de télévision), et la communication au public en ligne qui correspondait à tous les usages publics de l'Internet.

Cette distinction n'était pas que sémantique. Elle a eu pour conséquence d'exclure l'Internet de toute la législation s'appliquant explicitement aux seuls services de communication audiovisuelle. L'exemple classique est le contrôle exercé par le CSA sur le temps de parole des candidats à une élection. Tirant les conséquences de la distinction posée par la LCEN, un membre du CSA affirmait en février 2006 que "les interventions des candidats à l'élection présidentielle de 2007 qui seraient véhiculées par d'autres types de services sur Internet, comme des services de podcasting, ne sauraient être prises en compte par le CSA au titre de leur temps de parole".

Néanmoins, cette distinction juridique est encore mal connue, et comprise surtout au regard de l'intervention de certaines décisions de justice rendues sous l'empire de la loi ancienne. Ainsi, si la Cour de cassation a pu réaffirmer dans un arrêt du 10 mai 2005 que l'Internet était un élément de la communication audiovisuelle, une telle solution n'aurait plus lieu d'être aujourd'hui.

L'encadrement de l'activité des prestataires techniques et des éditeurs de site
Un débat a suscité de nombreuses discussions lors de l'élaboration de la LCEN : le régime de responsabilité des intermédiaires techniques. D'un point de vue pratique, on assiste à une mise en œuvre très particulière. En effet, la LCEN rappelle que les prestataires peuvent voir leur responsabilité civile ou pénale être engagée si, ayant eu connaissance du caractère "manifestement illicite" (selon l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel) d'un contenu, ils n'ont pas procédé à sa suppression ou à sa suspension.

La première affaire a été engagée dès l'entrée en vigueur de la LCEN par le Comité de défense de la cause arménienne. Il demandait à Wanadoo de suspendre l'accès au site du consulat général de Turquie au motif qu'y étaient publiés des propos négationnistes. Dans un jugement du 15 novembre 2004, le Tribunal de grande instance de Paris refusait de faire droit à cette demande. A ses yeux, en l'absence de criminalisation du négationnisme du génocide arménien, le contenu diffusé n'était pas illicite. En conséquence, Wanadoo n'était pas tenu, en application de la LCEN, de procéder à la suspension ou suppression dudit contenu. Cette décision est aujourd'hui frappée d'appel.

A côté de ce seul exemple judiciaire, plusieurs autorités administratives commencent à avoir des interprétations différentes de la notion de "manifestement illicite". Alors que classiquement, ce concept regroupait les contenus racistes, antisémites, négationnistes, révisionnistes ou pédo-pornographiques, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) notifie aux hébergeurs que les "offres d'emploi diffusées sur Internet mentionnant un critère d'âge, en des termes dénués d'ambiguïté dont l'usage suffit à caractériser l'intention de discriminer, (…) sont constitutives du délit de discrimination prévu aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal".

De la même manière, le ministre de l'Equipement a indiqué récemment que la vente de pièces permettant le débridage pourrait être considérée comme une activité "manifestement illicite" au sens de l'article 6 de la LCEN.

Cette profusion d'interprétations diverses implique également des difficultés dans l'application de la loi par les prestataires eux-mêmes, certains hébergeurs - notamment de blogs - n'hésitant pas à recourir à la suspension d'un contenu pour des propos pouvant être jugés diffamatoires mais prescrits au moment de la demande adressée au prestataire.

Autre point de la LCEN concernant les prestataires techniques : l'article 6.I.8. Ce texte permet à un juge d'ordonner à un hébergeur, et le cas échéant à un fournisseur d'accès à l'Internet, de cesser de permettre l'accès à un contenu qui serait jugé illicite. Ce texte a été mis en œuvre par deux fois.

Tout d'abord, le 15 juin 2005, le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné à plusieurs fournisseurs d'accès de bloquer l'accès à un site révisionniste hébergé sur le territoire américain (AAARGH). Cette décision était justifiée par le fait que les démarches opérées tant vis-à-vis des auteurs que vis-à-vis des hébergeurs américains n'avaient pas permis de faire cesser cette activité illicite.

Dans un autre secteur, cet article a également été utilisé par le Pari mutuel urbain (PMU) afin de lutter contre un site de paris sportifs visant le public français mais hébergés dans un premier temps au Royaume-Uni et dans un second temps à Malte. Après une première ordonnance rendue le 8 juillet 2005 et considérant que l'activité opérée par le site Zeturf était manifestement illicite au regard du droit français, les juges français rendaient une nouvelle ordonnance le 2 novembre 2005 sur le fondement de l'article 6.I.8, ordonnant aux hébergeurs maltais de suspendre l'accès audit site. Cette mesure a été confirmée le 14 juin 2006 par la Cour d'appel de Paris.

Enfin, le dernier point demeure l'obligation pour les éditeurs de site d'accepter un droit de réponse, toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne disposant d'un tel droit, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu'elle peut adresser au site. Ce régime devait faire l'objet d'un décret d'application. Néanmoins et sans l'attendre, les juges ont d'ores et déjà appliqué cette disposition. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Nanterre condamnait en juin 2005 un éditeur de site à 800 euros d'amende sur le fondement de l'article de l'article 6.IV pour avoir refusé d'insérer un droit de réponse, les juges rappelant que "les conditions d'insertion de la réponse sont celles prévues par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée".

La semaine prochaine : le bilan de la LCEN en matière de commerce électronique et de publicité en ligne.

 
 

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