JURIDIQUE 
PAR BENOÎT TABAKA
LCEN : quel bilan deux ans après ? (2)
Définition de l'e-commerçant, conclusion du contrat dfgfgdfgsdfgsd, décrets d'application manquants... Deuxième partie du bilan dressé par Benoît Tabaka, deux ans après le vote de la LCEN.  (26/07/2006)
 
Chargé d'enseignements à l'Université de Paris V - René Descartes

Membre du Comité éditorial de Juriscom.net
 
   Le site
Juriscom.net
Ecrire à Benoît Tabaka

Le 21 juin 2004 était promulguée la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), dont une partie des dispositions abordent la question de l'encadrement des activités de commerce électronique. Deux ans après, un premier bilan peut être tiré de son application par les juges voire par les acteurs.

La définition du commerçant électronique
Aux termes de l'article 14 de la LCEN, "le commerce électronique est l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services". La définition ainsi adoptée est très large. Entrent ainsi dans le champ du commerce électronique "les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent".

Ainsi, sera qualifié de commerçant électronique le moteur de recherche proposant des espaces publicitaires permettant d'accueillir des liens sponsorisés. Ce point a été confirmé par le Tribunal de grande instance de Nice le 7 février 2006. Il s'appuyait sur cette qualification pour exclure l'application du régime de responsabilité des prestataires techniques. Les juges indiquaient que "les sociétés Google ne peuvent à bon droit être considérées, dans le cadre de leur programme AdWords, comme de simples prestataires techniques, puisqu'elles assurent par ce service la fourniture de biens ou de services, à savoir une prestation publicitaire payante, de sorte que les articles 14 et suivants de la loi susvisée lui sont bien applicables, de même que l'ensemble des règles de droit commun sanctionnant les pratiques de concurrence déloyale". Une telle séparation des qualifications de commerçant électronique et de prestataire technique pourrait avoir des conséquences fortes sur un bon nombre d'acteurs de l'Internet qui sont justement des "fournisseurs de services Internet" mixant prestations techniques et prestations commerciales.

La conclusion du contrat sur Internet
En matière de conclusion des contrats par voie électronique, la LCEN a fixé le principe d'une dématérialisation croissante de toute la phase pré et post-contractuelle. Ainsi, par une ordonnance du 16 juin 2005, prise suite à une autorisation donnée par la LCEN, il est indiqué que "la voie électronique peut être utilisée pour mettre à disposition les conditions contractuelle" ou pour l'information sur les biens ou services. De même, "les informations qui sont demandées en vue de la conclusion d'un contrat ou celles qui sont adressées au cours de son exécution peuvent être transmises par courrier électronique si leur destinataire a accepté l'usage de ce moyen". Point également important de ce texte, le régime juridique de la lettre électronique recommandée se construit progressivement.

Ainsi, le recours à un mode électronique pour l'envoi d'une lettre recommandée électronique sera possible dès lors qu'un procédé électronique, dont la fiabilité sera présumée s'il satisfait à des exigences qui seront fixées par un décret en Conseil d'Etat, garantit la datation de l'envoi. De même, concernant la réception par voie électronique d'une telle lettre recommandée, le procédé utilisé par l'expéditeur devra permettre de l'identifier, de garantir l'identité du destinataire et établir que la lettre a été remise ou non à ce dernier. La date d'expédition, voire celle de réception, pourront également être présumées si le procédé auquel a eu recours l'expéditeur répond aux conditions qui seront fixées par un décret en Conseil d'Etat.

Outre cette dématérialisation, la LCEN avait fixé un principe fort : celui de l'archivage du contrat conclu en ligne. Un décret du 17 février 2005 est venu indiquer que cette obligation vise tous les contrats d'un montant supérieur à 120 euros. Le cybermarchand devra conserver tous les éléments du contrat pendant 10 années à compter de la conclusion du contrat "lorsque la livraison du bien ou l'exécution de la prestation est immédiate". Si la livraison n'est pas immédiate, "le délai court à compter de la conclusion du contrat jusqu'à la date de livraison du bien ou de l'exécution de la prestation et pendant une durée de dix ans à compter de celle-ci". Reste que cette obligation demeure encore imprécise : comment apprécier le seuil de 120 euros dans le cadre d'un contrat à exécution successive ? De même, que recouvre exactement la notion de contrat : s'agit-il uniquement des conditions générales de vente ? Englobe-t-on tous les éléments de nature contractuelle (fiche produit, détail de la commande, photographies, éléments relatifs à la date de la livraison, etc.) ? Un groupe de travail créé récemment par le Forum des droits sur l'Internet devrait sans doute apporter des précisions utiles sur l'application de cette disposition.

La responsabilité de plein droit des acteurs du commerce électronique
La LCEN a fixé un régime de responsabilité spécifique au cybermarchand. Ainsi, "toute personne physique ou morale exerçant l'activité [de commerce électronique] est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci". La loi prévoit trois exonérations : le fait de l'acheteur (qu'il faudra démontrer), la force majeure ou le fait imprévisible et irrésistible d'un tiers.

Depuis deux ans, rares sont les décisions intervenues en la matière, les cybermarchands appliquant assez largement cette nouvelle obligation. L'un des secteurs où ce texte est fréquemment invoqué par les consommateurs demeure la fourniture d'accès à l'Internet. Dans un jugement rendu en novembre 2005, la Juridiction de proximité de Dijon estimait qu'était rapportée la preuve "du défaut de fourniture du service par un professionnel engageant sa responsabilité de plein droit" dès lors que le consommateur (à savoir l'association UFC21) n'avait plus de connexion Internet suite à l'écrasement de sa ligne téléphonique par un autre opérateur. Dans une autre décision de novembre 2005, des juges parisiens décidaient d'exonérer de responsabilité le même FAI à la suite d'une erreur de l'opérateur historique en matière d'information de l'internaute sur l'éligibilité de sa ligne téléphonique à bénéficier de l'intégralité des offres. La Cour d'appel de Paris indiquait que le fournisseur d'accès "justifie avoir effectué les diligences lui incombant" et qu'il n'a "aucune emprise sur les opérations techniques totalement dépendantes de la compétence de France Télécom qui garde la maîtrise de ses lignes". Il justifiait donc "d'une cause exonératoire de responsabilité".

La publicité en ligne
L'une des dispositions centrales demeure l'article 22 relatif au régime de la prospection directe par voir de courrier électronique. Ce texte fixe le principe de l'obtention du consentement préalable du particulier avant de faire l'objet d'un démarchage commercial par courrier électronique. Une exception demeure : la possibilité pour le cybermarchand de continuer à démarcher ses propres clients sans obtenir leur consentement sous réserve de leur adresser des publicités visant exclusivement des produits ou des services analogues à ceux déjà achetés.

A ce jour, et à notre connaissance, aucune décision n'a été rendue sur le fondement de cette nouvelle disposition en matière de courrier électronique (contrairement aux SMS). Cela est sans doute l'une des conséquences bénéfiques des codes de bonne conduite réalisés par la Fédération de la vente à distance et l'Union française du marketing direct. Cette "charte de l' e-mailing" prévoit clairement que "le consentement ne peut être supposé. Il ne doit pas non plus être dilué, par exemple en s'appuyant simplement sur une acceptation des conditions générales de vente. La personne doit avoir conscience qu'elle autorise l'utilisation de ses données. Cette autorisation peut prendre différentes formes : par exemple celui d'une case à cocher, d'un menu déroulant, d'un abonnement à une newsletter. Elle doit nécessairement impliquer un acte positif de la personne".

Reste que cette disposition laisse émerger une zone d'ombre : à quel type de prospection s'applique-t-elle ? En effet, la LCEN donne une définition de la prospection directe en estimant qu'elle recouvre toute prospection faisant la promotion directe ou indirecte de l'image ou des produits d'une personne. Ainsi, un message politique ou invitant à adhérer à un parti politique est-il une prospection directe au sens de l'article L. 34-5 du Code des postes et communications électroniques ? Les plaintes qui ont été déposées suite à une campagne d'e-mailing d'un grand parti politique permettront peut-être d'apporter une réponse. Mais, à la lecture des débats parlementaires et de l'esprit de la directive, le régime fixé par la LCEN vise exclusivement la vente de biens ou la proposition de prestations de service. La prospection politique serait exclue de ce régime particulier et ne relèverait que des dispositions de la loi modifiée du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés.

Enfin, une dernière disposition mérite une rapide analyse. Il s'agit de l'article 20 de la LCEN, souvent oublié. Ce texte prévoit que "toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisé".

Pour la première fois, la Cour d'appel de Paris a fait application de ce texte aux liens sponsorisés dans un arrêt du 28 juin 2006. Ils ont, en effet, considéré que "la mention 'liens commerciaux' sous laquelle sont regroupés les sites litigieux, est trompeuse en elle-même dès lors qu'elle laisse entendre que le site, affiché en partie gauche de l'écran, entretient des rapports commerciaux avec ceux qui apparaissent sous cette rubrique". Mais surtout, la cour d'appel indique qu'une "telle pratique est manifestement contraire aux dispositions de l'article 20 de la loi du 21 juin 2004 relative à la confiance dans l'économie numérique".

La conséquence de cette précision est importante. En ne rendant pas clairement identifiable la personne "pour le compte de laquelle la publicité est réalisée", le moteur de recherche contrevient aux dispositions de la LCEN. Les juges estiment donc, implicitement, que l'adresse du site pourtant indiquée ne constitue pas un élément permettant d'identifier la personne à l'origine de la publicité. Cette question est également susceptible de viser la pratique par laquelle des internautes ont recours à des liens sponsorisés dans le cadre de programmes d'affiliation. Si l'on applique l'article 20 de la LCEN, la publicité, même si elle fait la promotion de l'affilieur, est réalisée pour le compte de l'internaute-affilié. Ce serait donc lui qui devrait alors être identifiable dans les quelques caractères autorisés. On peut donc s'interroger sur la compatibilité de cette pratique tirée de l'affiliation avec le texte de la LCEN.

Des décrets restent à paraître
En conclusion, après deux années d'application, la loi pour la confiance dans l'économie numérique a pris sa vitesse de croisière. La majorité des dispositions sont aujourd'hui applicables et ne soulèvent que quelques difficultés d'application. Pour autant, des précisions manquent encore. Ainsi, plusieurs décrets d'application ne sont pas encore intervenus. Il s'agit notamment du décret prévu à l'article 6 de la loi prévoyant la liste des données devant être conservées par l'hébergeur des données. De même, doivent encore être pris le décret modifiant les incriminations en matière de non respect de l'obligation du recueil du consentement en matière de prospection directe, le décret adaptant les diverses obligations d'information des cybermarchand lorsqu'ils proposent leurs offres sur téléphonie mobile, ou le décret - notifié récemment à la Commission européenne - concernant la cryptologie.

 
 

Accueil | Haut de page

 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International