Le Parlement vient de commencer l'étude du projet
de loi pour "la confiance dans l'économie
numérique". Le projet a été
adopté le 26 février dernier en première
lecture par l'Assemblée Nationale. Il sera examiné
en juin par le Sénat. Ce texte vise notamment à
transposer en droit français la directive européenne
du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Il
modifie de nombreuses règles applicables aux acteurs
de l'Internet et s'intéresse notamment aux contrats
conclus "en ligne".
Le projet de loi crée,
en effet, un nouveau chapitre VII intitulé "Des
contrats sous forme électronique" dans la
partie du Code civil relative au droit commun des contrats.
C'est une modification importante puisque jamais depuis
1804 ces dispositions n'avaient connu une telle mise
à jour. Au regard de l'événement,
on peut penser que des nécessités importantes
justifiaient que l'on ajoute ainsi à nos principes
fondateurs du droit des contrats. Certains modes de
contractualisation à distance, notamment la "VPC"
traditionnelle, se sont pourtant développés
sans que le législateur n'éprouve le besoin
de modifier le Code civil. L'intervention législative
était-elle nécessaire pour le commerce
"électronique" ? Les attentes seront
déçues. La "confiance" dans
l'économie proclamée au frontispice de
la loi se délite lorsqu'on en examine le contenu.
Le projet de loi introduit
dans le Code civil des dispositions réglementant
l'offre de contrat électronique. Ces nouvelles
dispositions imposent principalement quatre obligations
au professionnel qui propose la vente de biens ou la
fourniture de services sur Internet :
1ère obligation
: l'offre de contrat électronique doit être
matérialisée sous forme qui lui confère
une certaine "durabilité"
Le futur article
1369-1 du Code civil dispose que tout professionnel
qui propose par voie électronique la fourniture
de biens ou de services doit transmettre les conditions
contractuelles applicables "d'une manière
qui permette leur conservation et leur reproduction".
Le législateur se refuse malheureusement à
aller plus avant dans le détail.
La formulation soulève
pourtant plusieurs difficultés : de quelle "manière"
les conditions contractuelles devront-elles être
formulées pour être conformes à
cette nouvelle disposition légale ? L'exploitant
d'un site de commerce électronique devra-t-il
expliquer à son cocontractant comment imprimer
la page qui contient ses conditions de vente ou de service
? Mais nul n'est censé posséder une imprimante
Faudra-t-il inciter le cocontractant à télécharger
une version électronique de ces mêmes conditions
? Les lui adresser par e-mail ? En l'état, le
projet de loi n'apporte pas de réponse.
Plus fondamentalement,
on s'interroge sur l'intérêt d'une telle
disposition. Les moyens actuellement à la disposition
des internautes ne leur permettent pas de conserver
un document électronique qu'ils puissent efficacement
opposer à leur cocontractant : le contenu d'une
page web téléchargée ou imprimée
est facilement contestable par celui à qui on
prétend l'opposer. Il n'en serait autrement que
si l'offrant adressait à son cocontractant un
document sous forme numérique signé électroniquement
de façon sécurisée. Mais l'usage
de ces techniques est aujourd'hui loin d'être
répandu dans le grand public.
S'il s'agissait pour le
législateur, dans une inspiration consumériste,
de protéger la partie faible au contrat, il aurait
fallu assortir cette obligation d'un pouvoir de contrôle
par les agents de la DGCCRF et indiquer les formes obligatoires
de conservation des contrats. Le législateur
semble ne pas être allé au terme de sa
logique.
2ème obligation
: l'offre doit être valable tant qu'elle reste
accessible par voie électronique
Le projet d'article
1369-1 prévoit également que "l'auteur
de l'offre est tenu par sa proposition tant qu'elle
reste accessible par voie électronique de son
fait".
Ainsi, toute entreprise
disposant d'un site web marchand devra veiller à
la mise à jour de ses pages web et ne pourra
pas se retrancher derrière un défaut de
mise à jour de celles-ci pour refuser d'honorer
une offre commerciale présente sur son site web.
La disposition n'a rien
de révolutionnaire et les solutions dégagées
par la jurisprudence sont d'ores et déjà
en ce sens.
La formulation soulève
néanmoins une question à laquelle le texte
n'apporte pas de réponse : est-il encore possible
de prévoir explicitement qu'une offre de produits
ou de services est faite pour une durée déterminée
et expirera tel jour à telle heure ? Cette pratique,
qui nous paraît protectrice des intérêts
des consommateurs, ne devrait pas disparaître
en dépit de la formulation de l'article 1369-1.
3ème obligation
: l'offre doit comporter un certain nombre de mentions
obligatoires
L'offre devra,
en outre, contenir un certain nombre de mentions informatives
obligatoires, à savoir :
- les différentes
étapes à suivre pour conclure le contrat
par voie électronique ;
- les moyens techniques permettant, avant la conclusion
du contrat, de corriger les erreurs de saisie ;
- les langues proposées pour la conclusion du
contrat ;
- le cas échéant, les modalités
d'archivage du contrat par l'auteur de l'offre et les
conditions d'accès au contrat archivé
;
- les moyens de consulter par voie électronique
les règles professionnelles et commerciales auxquelles
l'auteur de l'offre entend, le cas échéant,
se soumettre.
Le texte ne prévoit
pas cependant de sanction en cas de non respect par
le professionnel de ce formalisme informatif. Selon
la règle traditionnelle qui veut qu'il n'y ait
"pas de nullité sans texte", il faudra
donc en déduire que le non respect de cette obligation
ne sera pas sanctionné par la nullité
du contrat mais par l'allocation éventuelle de
dommages et intérêts au consommateur victime.
On outre, le "cyber-marchand"
ne devra pas omettre de faire le lien entre ce texte
et les dispositions de l'article L. 121-18 du Code de
la consommation, introduites en 2001 lors de la transposition
d'une autre directive communautaire, celle relative
à la vente à distance. Cet article prévoyait
déjà un formalisme informatif important
en matière d'offres de bien ou de services faites
par un professionnel à distance. Un décret
récent du 18 février 2003 vient d'ailleurs
d'instaurer les sanctions pénales en cas de non-respect
de cet article du Code de la consommation : il s'agit
d'une amende fixée à 1.500,00 euros par
infraction.
4ème obligation
: le contrat doit être conservé par le
professionnel
Le projet de
loi adopté par l'Assemblée Nationale prévoit,
comme dernier article de la partie consacrée
aux "obligations souscrites sous forme électronique",
d'instaurer dans le Code de la consommation une obligation
qui nous semble inédite en droit français
: l'obligation pour l'un des cocontractants - le professionnel
- d'assurer la conservation de l'écrit constatant
le contrat. Il s'agit en fait, pour une partie, d'assurer
la pré-constitution de la preuve qui sera susceptible
de lui être opposée !
Cette obligation n'apparaîtra
que lorsque le contrat sera supérieur à
une somme qui sera déterminée par décret.
Ce décret devra également prévoir
la durée de conservation du document.
Voici une nouvelle obligation
qui suscite également de nombreuses interrogations.
On peut imaginer que le professionnel, en quelque sorte
dépositaire des documents contractuels de son
client, sera tenu à une véritable obligation
de résultat en matière de conservation
de ces documents. Cela impose pour le professionnel
la mise en place des moyens techniques adéquats.
Mais quels sont ces moyens et quel devra être
le format à retenir pour la conservation du contrat
? Ce format devra nécessairement présenter
des garanties de préservation de son intégrité.
Par ailleurs, qu'en sera-t-il au terme du délai
de conservation ? Le professionnel pourra-t-il se contenter
de détruire les documents ou faudra-t-il mettre
en place une procédure permettant au consommateur
de rentrer en possession de ses contrats ? Le projet
d'article L. 134-2 nous semble d'ores et déjà
générateur de nombreuses difficultés
dont il faut espérer que le débat parlementaire
permettra la résolution.
Les nouvelles dispositions légales doivent participer
à la "confiance dans l'économie numérique".
A l'étude du projet de loi, on perçoit
cependant les difficultés de notre législateur
pour maîtriser la volatilité retorse de
l'Internet !
Le titre choisi par le
projet de loi pour le futur chapitre VII du Code civil
est symptomatique de ces difficultés. Celui-ci
est intitulé "Des contrats sous forme électronique".
La formulation n'est pas heureuse. Elle procède
d'un mélange entre fond et forme. En effet, le
caractère "électronique" du
contrat ne provient pas de sa forme, en d'autres termes
de son support, mais de son mode de passation à
savoir la mise en relation à distance par l'Internet
de deux personnes non présentes. Ainsi, paradoxalement,
un contrat "sous forme électronique"
pourrait parfaitement être constaté par
un écrit papier traditionnel, un bon de livraison
par exemple.
Mais on perçoit
bien qu'au delà du fond, c'est bien sur un problème
de forme que se heurte le législateur : comment
assurer que le consommateur soit mis en possession d'un
document fiable et durable qu'il puisse valablement
opposer au "cyber-marchand" en cas de litige
? Dans l'économie numérique, il n'est
pas simple de remplacer le papier
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