JURIDIQUE 
Accès frauduleux dans un système : l'évolution majeure
par Olivier Iteanu
Avocat à la Cour (21 mars 2003)
         
 

"Considérant que (…) il ne peut être reproché à un internaute d'accéder ou de se maintenir dans les parties des sites qui peuvent être atteintes par la simple utilisation d'un logiciel grand public de navigation, ces parties de site (…) devant être réputées non confidentielles à défaut de toute indication contraire et de tout obstacle à l'accès …"
C'est le motif principal retenu dans un arrêt prononcé le 30 octobre 2002 par la 12ème Chambre Correctionnelle de la Cour d'Appel de Paris. La Cour relaxe ainsi l'animateur du site kiteota.com des préventions d'accès et/ou de maintien frauduleux dans un site Internet. Pour mémoire, ce délit est réprimé par l'article 323-1 du Code Pénal en des termes simples : "Le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Lorsqu'il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende."

En résumé, les faits étaient les suivants : à l'occasion de visites sur le site d'une grande société française, l'animateur du site Kitetoa avait découvert une faille de sécurité. Cette faille lui avait permis d'accéder à une base de données de 4 000 noms. Cette aventure avait été rapportée par le site Kiteota.com dans un premier temps. Le magazine New Biz avait ensuite relaté l'affaire ce qui avait déclenché une réaction de l'éditeur du site qui avait porté plainte pour accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données.

En première instance, les juges avaient considéré l'infraction réalisée. Pour prendre cette décision, les premiers juges avaient retenu l'argumentation suivante. "Attendu que le prévenu a déclaré qu'une fonction du navigateur Netscape permettait d'afficher dans le navigateur l'ensemble du contenu du serveur XXX ; qu'il a indiqué à titre de démonstration lors de son interrogatoire par les services de police avoir procédé à une copie d'écran démontrant qu'à partir de la page d'accueil du site XXX, il choisissait les fonctions "communicator," puis "outils du serveur", puis "service de la page", fonctionnalités présentes sur tous les navigateurs Netscape; que dans "services de la page", l'ensemble du contenu du serveur s'affichait sous forme d'arborescence; qu'en consultant les liens HTML, il avait trouvé notamment le listing de clients apparaissant dans le journal "Newbiz", fichier de type ".mdb"dans lequel la société XXX enregistrait le résultat de questionnaires posés aux internautes, dans lequel apparaissaient les noms, adresses et autres données personnelles des visiteurs du site ayant bien voulu répondre à des questions personnelles, fichier qui comportait selon lui environ 4000 entrées (…)qu'en accédant à plusieurs reprises au fichier litigieux et en le téléchargeant, le prévenu, qui fait d'ailleurs état dans ses déclarations de la loi qui fait obligation aux sociétés de protéger les données nominatives collectées, avait nécessairement conscience que son accès et son maintien dans le site de la société Tati étaient frauduleux; qu'il y a lieu en conséquence d'entrer en voie de condamnation à son encontre.

Considérant, l'absence de protections des pages Web auxquelles il avait été accédé, et l'absence d'agissements caractéristiques d'une volonté de nuire, le Tribunal avait alors condamné le prévenu à une somme de 1 000 euros avec sursis, ce qui constituait une condamnation très légère.
Mais, sur le plan du principe, le Parquet Général devait considérer le jugement comme non satisfaisant et interjetait appel de ce premier jugement le 28 mars 2002. Dans un communiqué de presse daté du 4 avril 2002, procédure assez peu habituelle, le Procureur Général expliquait que "cet appel a pour but de permettre à la Cour d'Appel de se prononcer sur la définition et la portée du délit d'accès et de maintien frauduleux dans un système…".

Or, l'Arrêt, qui allait être rendu, comportait effectivement une évolution majeure. Cette évolution intéresse au premier chef les responsables sécurité des systèmes d'information, les risk manager, les administrateurs de réseaux.

Jusqu'à ce jour, le délit d'accès ou de maintien frauduleux dans "tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données" était dans les faits d'une grande simplicité. Etaient coupables ceux qui pénétraient ou se maintenaient dans un système sans en respecter les règles d'accès et de maintien. Il suffisait que l'auteur de l'infraction ait eu conscience de l'irrégularité de ses actes par l'accès ou le maintien dans un système dans lequel il n'avait pas le droit de se trouver. Les juridictions avaient plusieurs fois eu l'occasion de dire que la présence ou non d'un système de sécurité était indifférent : même en cas d'absence par exemple d'un code d'accès et mot de passe, même en présence d'une faille de sécurité manifeste qui amenait un quidam à se retrouver par hasard là où il n'aurait pas du être, le délit était réalisé. Ainsi, la doctrine justifiait cette position en rappelant que "même une porte ouverte dans un domicile, ne doit pas donner droit d'accès et de maintien dans ce domicile".

Cependant, avec l'avènement d'Internet, la typologie des actes couverts par ce délit se trouvait élargie. Un site Internet peut voir se côtoyer sur une même machine et dans un environnement proche, des parties de site qui ne sont pas destinés au public et qui pourtant se trouvent, par erreur ou incompétence, en accès libre avec d'autres parties tout à fait public. Fallait-il pour autant considérer l'internaute comme le délinquant de l'article 323-1 du Code Pénal lorsqu'il accède à une partie du site non sécurisé par erreur ?

La Cour d'Appel vient de répondre par la négative et elle donne trois critères à cette nouvelle situation. Tout d'abord, l'internaute a accédé à des parties de site qui ne lui étaient pas destinées au moyen d'un simple logiciel de navigation, sans utilisation d'outils particuliers venant forcer un passage ou une entrée. Ensuite, il y a bien faille de sécurité. En quelque sorte, la Cour entend faire peser la responsabilité de cette "erreur" non sur l'internaute lui même mais sur l'éditeur du site défaillant. Enfin, rien n'indiquait que ces parties du site visité lui étaient interdites, aucune "indication contraire" ne figurait ni "aucun obstacle à l'accès". Par cette dernière condition, les juges semblent bien considérer que le défaut de sécurité au site fait perdre à son éditeur la protection par la loi.

Le droit confronté à l'Internet se précise chaque jour. Cette dernière décision de la Cour d'Appel de Paris en est une nouvelle illustration. C'est peut être la meilleure preuve que l'Internet arrive tout doucement à l'âge de raison…

 
 Rédaction
 
 

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