TRIBUNE 
PAR CHRISTOPHE DESHAYES
Infogérance globale : quand l'exception culturelle bancaire confirme la règle
D'aucuns annoncent l'inéluctabilité d'un mouvement d'externalisation globale, mais les faits observés dans la Banque semblent résister à cette analyse prospective.  (21/10/2004)
 
Président de Documental (Observatoire des Technologies de l'Information)
 
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Documental

Existe-t-il une exception culturelle bancaire en matière d’externalisation informatique ? Tandis que d’aucuns annoncent l’inéluctabilité d’un mouvement d’externalisation globale, les faits observés dans le secteur semblent résister à cette analyse prospective. A moins que la Banque, loin d’être retardataire dans cette évolution présentée comme nécessaire, n’ait au contraire quelques longueurs d’avance en pratiquant une politique de sous-traitance raisonnée ?

A la veille de nouveaux choix stratégiques, un point sur cette question s’impose pour alimenter la réflexion entre tous les acteurs concernés. L’annonce de JP Morgan d’annuler le contrat d’externalisation globale de son informatique (infogérance) chez IBM pour un montant de 5 milliards de dollars conduit la banque américaine à rapatrier les 4000 collaborateurs transférés chez Big Blue, il y a moins de dix-huit mois.

Ce revirement, qui n’est pas le premier de l’histoire de l’externalisation, est d’une telle importance qu’il ne passe pas inaperçu. Cette opération va-t-elle relancer un débat plus profond sur l’externalisation ? Conduire la pensée unique pro-outsourcing à se faire moins pressante, au profit d’une étude plus approfondie de ce mode de gestion présenté par d’aucuns comme la panacée ?

Fin de l’exception culturelle ?
Fin 2002, les journaux économiques annonçaient la fin de l’exception bancaire en matière d’outsourcing. Après des années de « résistance » le secteur bancaire succombait à son tour aux charmes de l’infogérance globale. Preuve de ce renoncement programmé ? Trois banques de premier plan (JP Morgan, ABN AMRO, Deutsche Bank) venaient de signer de grands contrats globaux (ces «mega-deals » de milliards de dollars sur une dizaine d’années concernant toute l’informatique de l’entreprise).

Il fallait donc s’attendre, écrivait-on alors, à ce que de nombreuses banques finissent par externaliser la totalité de leur informatique. Tel était le sens de l’Histoire ! Tout n’était plus qu’une question de temps.

EDS ouvre le bal
Le premier, un communiqué de presse d’EDS du 12 mai 2003 sembla confirmer l’arrivée du phénomène en France. Sous le titre « premier contrat d’infogérance globale dans le domaine bancaire en France », ce communiqué annonçait la sous-traitance par la SSII américaine de toute l’informatique de la banque Hervet, depuis peu filiale du CCF. Six mois plus tard, une autre filiale du CCF, le CCSO, confiait à son tour l’ensemble de son informatique globale, cette fois à T-Systems (filiale de Deutsch Telecom). Quinze jours plus tard, l’annonce de la création d’une co-entreprise entre IBM et BNP Paribas fermait le ban. Ainsi, sans plus de doute, la messe était-elle dite : banque bien gérée rimerait désormais avec banque totalement « infogérée » !

A l’ouest quoi de nouveau ?
Beaucoup de bruit pour rien, serait-on tenté d’affirmer ! En effet, même en France, les contrats d’infogérance globale n’ont rien de très nouveau dans le secteur bancaire. Plusieurs banques y ont eu recours depuis le début des années 90, à cette réserve près qu’il s’est toujours agi d’acteurs de taille modeste, établissements autonomes ou filiales de groupes.

Finalement, parmi ces opérations d’infogérance globale largement médiatisées; combien de « méga-deals », combien de contrats se chiffrant en milliards ? Aucun en fait. Et à ce titre l’opération de la banque Hervet, loin de constituer une rupture, une première en France, semble au contraire marquer la poursuite d’un scénario déjà bien maîtrisé. A tel point que le groupe CCF réalise l’opération CCSO six mois plus tard. Mais il convient ici de remarquer que la banque confie cette sous-traitance à un autre spécialiste de l’infogérance. Preuve que cela ne résulte pas pour le CCF d’une politique globale, mais bien plutôt de choix locaux parfaitement circonscrits à des sous-ensembles modestes qui se devaient d’intégrer un schéma organisationnel plus général depuis le rachat du CCF par HSBC.

Ainsi, plutôt qu’à des contrats d’infogérance globale, les contrats banque Hervet et CCSO ressemblent-ils davantage à des tentatives assez habiles de pérennisation de centres informatiques voués sinon à l’extinction, avec l’arrivée à échéance 2008-2010 d’une nouvelle plateforme commune au groupe HSBC.

La co-entreprise. Une affaire ?
Reste l’affaire de la co-entreprise entre IBM et BNP Paribas. Ce cas de figure semble très éloigné de l’image d’Epinal des grands contrats à l’américaine censés intégrer la sous-traitance de toute l’informatique d’une grande banque, voire d’une banque de taille mondiale.

L’affaire ne concernerait en effet « que » 400 personnes, à savoir une partie très minoritaire de l’effectif informatique de la banque sur le périmètre de l’exploitation des infrastructures techniques. De plus, n’oublions pas que, dans cette affaire, BNP Paribas conserve un certain contrôle opérationnel.

Là encore ce n’est pas la première fois que BNP Paribas devient actionnaire significatif d’une entreprise en partenariat avec un grand de l’infogérance. BNP Paribas contrôle en effet partiellement une co-entreprise (Atos TéléPilotage Informatique) possédée en commun avec Atos Origin, spécialiste de l’infogérance, à qui elle sous-traite le télépilotage de ses infrastructures (300 personnes).

La seule vraie différence apparente entre les deux co-entreprises réside dans l’origine des salariés. Dans le partenariat avec Atos, le personnel provient très majoritairement du sous-traitant alors que dans celui avec IBM, l’essentiel des effectifs provient de la banque. Le volet « social » de cette affaire explique naturellement son traitement très médiatique par rapport à l’autre affaire finalement passée inaperçue.

Quand l’exception confirme la règle
Si l’on veut bien reconnaître que les exemples français ne démontrent pas avec pertinence l’existence d’une lame de fond emportant tout sur son passage, ne doit-on pas logiquement s’interroger aussi sur le caractère supposé exemplaire des trois grands contrats internationaux cités précédemment ?

A l’annonce de ces contrats, presque aucun commentaire n’a, à l’époque, pris le soin de souligner plusieurs caractéristiques communes à ces trois banques . On peut le regretter dans la mesure où ce recoupement aurait pu fournir un éclairage différent sur les raisons profondes de la signature de ces grands contrats…

Pourquoi d’abord ne pas avoir relevé que, simultanément à la signature de leurs contrat d’infogérance globale, ces banques annonçaient toutes trois des pertes trimestrielles substantielles (plusieurs centaines millions de dollars chacune) et des licenciements par milliers ? Pourquoi ne pas avoir noté également la convergence de leurs pertes respectives dans la faillite Worldcom ?

JP Morgan était la première banque américaine créancière du géant de la nouvelle économie, Deutsche Bank et ABN AMRO en étaient respectivement les premier et deuxième créanciers non américains. Ces opérations ne ressemblent-elles pas autant à des cessions d’actifs qu’à une stratégie informatique longuement réfléchie ?

Une opération d’ingénierie financière
On en revient en fait à un des fondements de l’infogérance globale : un contrat de ce type représente toujours une opération de cession d’actifs (machines, logiciels, hommes, pseudo fonds de commerce…) qui se solde par un chèque pour le cédant, en l’occurrence la banque. L’ingénierie financière constitue une dimension indéniable des grands contrats d’infogérance, même si elle n’est pas la seule.

Faut-il alors s’étonner que des périodes de conjoncture économique particulièrement difficile soient plus propices que d’autres à ce type d’opérations ? Ainsi, les pluies de grands contrats dans un secteur donné sont-elles au moins autant le symptôme d’une conjoncture sectorielle difficile que l’indicateur avancé d’une tendance bientôt suivie par tout le monde.

Qui maîtrise mieux qu’un banquier les opérations de cession d’actifs de type « lease back » propres aux contrats d’infogérance ? L’arbitrage court terme contre long terme qui caractérise les opérations d’ingénierie financière peut-il vraiment échapper à une Direction Générale de banque ? S’il peut être vital d’augmenter le montant du chèque de cession quitte à augmenter d’autant les loyers sur les dix ou quinze ans du contrat, est-il envisageable qu’un banquier puisse être dupe ? N’est-ce pas justement parce que les banques savent très bien ce qu’elles peuvent attendre de ces grands contrats d’externalisation qu’elles leur préfèrent des actions plus délimitées ou qu’elles les réservent plutôt à des situations très particulières, qu’il vaudrait mieux espérer peu fréquentes ?

Le secteur bancaire immature…
De toute éternité, il s’est trouvé des cabinets d’études, de nombreux vendeurs et quelques consultants pour prédire que l’informatique a vocation à connaître le sort de l’électricité, à savoir devenir une facilité dont l’entreprise confierait la maîtrise à une société spécialisée extérieure. Si tout doit être sous-traité à terme, l’infogérance globale constitue donc une panacée universelle qui s’appliquera à tous, tôt ou tard.

Par voie de conséquence, tout individu, toute entreprise, tout secteur résistant encore aux charmes de l’outsourcing global fait preuve d’immaturité. Un article particulièrement mordant, qui fit grand bruit lors de sa parution dans la Harvard Business Review datée de mai 2003, symbolise cette doctrine. Son titre en forme de jeu de mot annonçait déjà la couleur : « IT Doesn’t Matter* ».

Cette doctrine a sans doute largement inspiré le discours de la généralisation inéluctable de l’infogérance globale. Appliquée au secteur bancaire traditionnellement récalcitrant à cette approche fourre-tout, elle se traduit par une affirmation fréquente de la part de ses fournisseurs et consultants : « le secteur bancaire n’était pas mûr pour l’externalisation », du moins jusqu’à l’annonce des trois contrats géants de la fin 2002, voulant au contraire donner le signal du départ tant attendu par certains...

Et si une telle analyse relevait du pur contresens ? Et si la Banque rechignait à l’infogérance globale, non par obscurantisme, par aveuglement ou par simple conservatisme, mais au contraire, en raison de sa très (trop) grande maturité sur le sujet ?

…ou trop mature ?
Faut-il que certains spécialistes aient un raisonnement particulièrement singulier pour qualifier d’immature le secteur bancaire, précisément celui qui, depuis l’origine de l’informatique, externalise le plus !

Des chiffres à étudier de près
Alors que la banque est incontestablement un des secteurs qui dépense le plus en informatique par rapport à son chiffre d’affaires, c’est surtout un des secteurs qui externalise le plus ses fournitures de services informatiques (32%), devant l’Industrie (29,5%) et très loin devant le Secteur Public (17%) et le Commerce (16%).

Ces chiffres fournis par Pierre Audoin Consultants pourront être avantageusement complétés par la lecture de la récente étude détaillée sur le marché du logiciel et du service dans la Banque. Les prestations de services y sont analysées dans toute leur diversité.

Dans toutes les banques aujourd’hui, les activités externalisées sont si nombreuses qu’un contrat d’infogérance, même globale, ne concentre finalement jamais toutes les fonctions informatiques ou à base d’informatique. Le traitement des chèques, la gestion des DAB, la conservation de titres, les traitements monétiques, la réception de certains appels téléphoniques, sont par exemple toujours exclus de tels contrats car confiés à d’autres.

Dans ce contexte, complété par la maîtrise de l’ingénierie financière examiné plus haut, l’infogérance globale ne serait donc pas inéluctable pour le secteur mais seulement une solution parmi d’autres, réservée à certaines situations : ainsi la Banque aurait une approche « industrielle » de la sous-traitance, en sachant à la fois définir des périmètres, faire jouer la concurrence, ne pas s’engager sur de trop longues périodes, récompenser les relations de long terme, bref ne pas « mettre tous ses œufs dans le même panier »… ce qui, rappelons-le, était considéré jusqu’à il a peu comme le b-a ba des affaires.

Externalisations tous azimuts
Pour autant qu’il ne succombe pas en masse (dans un avenir prévisible) à l’infogérance globale, le secteur bancaire est-il récalcitrant à toute idée d’externalisation ? Assurément non. Nous l’avons vu, il est celui qui traditionnellement externalise le plus et sans doute continuera-t-il de le faire toujours davantage, mais de manière ciblée.

Cela concernera notamment non seulement l’infrastructure informatique et télécoms (main-frame, serveurs, réseaux locaux, applications informatiques, réseaux télécom, parcs micro, supports utilisateurs…), et des fonctions bancaires automatisées ou informatisées (gestion de DAB, traitement de chèques, traitements monétiques, conservation de titres, back-office bancaire clé en main…).

En revanche, la palette de prestations sur autant de périmètres potentiels assure un tel avenir à son externalisation que la sous-traitance globale de l’informatique bancaire apparaît presque comme un non-sens.

En effet, un des problèmes clés de la Banque ne devient-t-il pas, non pas de tout sous-traiter à un seul généraliste mais de savoir combiner activités externalisées chez plusieurs spécialistes et activités internalisées ? De gérer de nombreux contrats séparés et de les faire varier dans le temps, alors que de nombreuses re-internalisations ont succédé à des externalisations ? La maîtrise de ce que l’on sous-traite est à ce prix : la Banque semble l’avoir bien compris.

Tentations et limites de l’offshore
Dans ce contexte, le thème actuellement à la mode de l’offshore pourra naturellement trouver une place, sans doute réduite. L’orientation de la pyramide des âges des collaborateurs bancaires devrait conduire les Directions à s’intéresser encore davantage à des solutions d’externalisation notamment en offshore.

Ce phénomène est particulièrement crucial dans l’informatique ou la mise à la retraite prochaine de bataillons d’informaticiens spécialisés sur des technologies et surtout sur des langages considérés comme obsolètes rend leur remplacement en nombre particulièrement délicat en dehors d'une solution d'externalisation.

Cependant, pour toutes les activités liées au développement de nouveaux projets, cette tendance à externaliser –et a fortiori à « offshoriser »- sera freinée par les difficultés rencontrées : formaliser et stabiliser des besoins changeants par nature et manager des équipes à distance évoluant dans une autre culture.

Une règle à géométrie variable
Pour bien sous-traiter, il faut bien contrôler. Or ne contrôle bien que ce qui est précisé. Une sous-traitance partielle conduit à préciser un périmètre. Le recours à plusieurs sous-traitances partielles conduit à s’interroger non seulement sur les périmètres mais nécessairement sur leurs superpositions, voire sur leur évolution dans le temps.

Depuis que la Banque a commencé à pratiquer l’externalisation, de nombreux cas d’élargissement ou de réduction de périmètres se sont faits jour. De continuelles évolutions réglementaires, concurrentielles, organisationnelles ou technologiques ont conduit les banques à faire évoluer les contrats. La Banque a aujourd’hui tellement l’habitude de la sous-traitance qu’elle maîtrise parfaitement les règles de répartitions des risques sur plusieurs fournisseurs.

Autrement dit, la Banque est tellement utilisatrice de sous-traitance extérieure, et demain encore davantage, qu’elle sait positionner le problème dans sa vraie perspective : la maîtrise à long terme. Cette exigence ne peut accepter comme réponse une sous-traitance globale à un seul et unique fournisseur généraliste.

Par delà les effets de mode
Il est très probable que la Banque continuera longtemps d’être un des secteurs moteurs en matière de sous-traitance… partielle, qu’il s’agisse d’une partie de l’infrastucture comme l’infogérance réseau ou de parc micro ou d’une partie du métier comme la conservation de titres, le traitement de chèques…

La Banque le sait mieux que quiconque, la sous-traitance est un acte de gestion comme un autre. C’est pourquoi, loin de céder à tout effet de mode, ce type de décisions nécessite une réflexion posée, afin de répondre à des problèmes réels. Les moteurs de la sous-traitance sont avant tout les fortes contraintes de services (nuits, week-end…) mais aussi les possibles gains de productivité qui conduisent aux partenariats industriels.

Certains secteurs pourraient d’ailleurs imiter la Banque. Des projets de coopération entre « confrères-concurrents » n’ont-ils pas été observés dans l’assurance, la retraite complémentaire, la vente par correspondance…

* jeu de mot sur le double sens : soit les technologies de l’information (IT) n’ont pas d’importance, soit « ça ne compte pas », « on s’en fiche »…


Christophe Deshayes
 
 

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