EXPERTISE 
PAR THIBAULT VERBIEST
Peer-to-peer : ce qui est légal et ce qui ne l'est pas
Téléchargement, partage de fichiers, logiciels de P2P... Maître Thibault Verbiest identifie les pratiques légales et illégales en matière de peer-to-peer et revient sur les premières condamnations en France intervenues la semaine dernière.  (05/05/2004)
 
Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, chargé d'enseignement à l'Université Paris I (Sorbonne)
 
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Peer-to-peer : premières condamnations en France

Le peer-to-peer , système d'échange direct de fichiers entre internautes, popularisé par Napster, puis par Kazaa, connaît un développement sans précédent depuis deux ans. En France, l'on estime à 8 millions le nombre d'utilisateurs occasionnels et à 750.000 les utilisateurs réguliers de logiciels peer-to-peer. Mais le système est aussi populaire que controversé : s'agit-il d'une révolution de la communication ou d'un vaste réseau de contrefaçons sauvages ?

Des téléchargements en principe illégaux
En droit, le téléchargement de fichiers audio ou vidéo conduit à une nouvelle exploitation de l'œuvre, sans autorisation des ayants droit (auteurs, interprètes, maisons de disques etc.). Il est parfois fait référence à l'exception de copie privée pour tenter de justifier la légalité des échanges de fichiers - protégés par le droit d'auteur - via des logiciels peer-to-peer (ou filesharing).

Cette disposition autorise que l'on fasse des copies pour des œuvres sonores et audiovisuelles si la copie - d'une œuvre obtenue de façon licite - est faite uniquement pour l'usage personnel du copiste (article L.122-5-5° CPI). Or, au sein d'un réseau peer-to-peer, dans de nombreux cas, la copie privée est prise d'un original qui n'a pas été publié licitement...

Par conséquent, en théorie, toute personne qui utilise des programmes de filesharing pour télécharger des fichiers musicaux protégés par le droit d'auteur - sans l'autorisation des titulaires de droits - est coupable de contrefaçon et s'expose à des sanctions pénales.

A cet égard, depuis, la loi Perben II du 9 mars 2004 "portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité", les sanctions réprimant le piratage informatique ont été renforcées. L'article L335-2 du code de la propriété intellectuelle sanctionne désormais la contrefaçon d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende, au lieu de deux ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende (articles L. 335-2 , L. 335-4 , L. 343-1, L. 521-4, L. 615-14 et L. 716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle). Toutefois, dans le cadre de "délits commis en bande organisée, ces peines sont portées à cinq ans et à 500.000 euros d'amende ".

La jurisprudence : sus à l'ennemi !
Le 29 avril 2004, le Tribunal correctionnel de Vannes a condamné six internautes français à des peines de prison avec sursis et à des amendes de plusieurs milliers d'euros, pour avoir téléchargé des films sur Internet. En décembre 2003, les gendarmes avaient surpris un collectionneur de films en flagrant délit en effectuant une capture informatique de son écran d'ordinateur, en cours de téléchargement d'un film via le logiciel Kazaa. Lors de cette intervention, 198 CD-Rom gravés après téléchargement via ledit logiciel ont été découverts.

Les six utilisateurs du logiciel "peer-to-peer" étaient accusés de piratage, distribution et/ou échange des contenus culturels. Les parties civiles étaient des producteurs de films (Warner Bros, 20th Century Fox, Walt Disney), la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), le Syndicat de l'édition vidéo et la Fédération nationale des distributeurs de films. Cette affaire s'inscrit dans une véritable croisade judiciaire engagée par l'industrie du disque, qui commence déjà à porter ses fruits.

Ainsi, en février 2004, le Tribunal correctionnel de Versailles a condamné un particulier qui proposait sur un newsgroup la vente et l'échange de copies de CD audio et de compilations de fichiers MP3. En mars 2004, la Brigade centrale de répression des contrefaçons industrielles et artistiques de la Police judiciaire a interpellé le responsable de Wisighoteam, un forum sur lequel les adeptes des réseaux peer-to-peer échangeaient conseils et films pirates.

Le statut juridique des logiciels de P2P : controverse
Poursuivre les auteurs des contrefaçons en ligne est une chose, obtenir la condamnation des auteurs des logiciels peer-to-peer en est une autre. De tels logiciels sont-ils légaux ?

La question est fortement controversée, comme le montrent les décisions judiciaires rendues jusqu'à présent, principalement aux Etats-Unis(Napster) et aux Pays-bas (Kazaa). L'incertitude quant au statut légal des logiciels de filesharing est liée à leur objectif : l'échange d'information (y compris la musique) n'est certainement pas interdite dans tous les cas, et les créateurs de ces logiciels invoquent dès lors le fait qu'ils ne peuvent être tenus responsables pour l'utilisation ou l'abus que des personnes font de leurs logiciels. Les organisations de gestion des droits d'auteur de leur côté insistent sur le fait que, nonobstant les bonnes ou moins bonnes intentions des créateurs, les logiciels de filesharing sont de facto surtout employés à des fins illégales…

Des solutions autres que judiciaires ?
L'industrie du disque commence à mettre en oeuvre des mesures techniques de protection des œuvres (CD…) afin de tenter de juguler la copie non autorisée de celles-ci et leur diffusion massive sur l'internet. Ces mesures sont protégées par la directive européenne de mai 2001 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dont la transposition est en cours en France.

L'ADAMI (société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes) a toutefois exprimé ses doutes sur l'efficacité de ces mesures techniques de protection des œuvres, du reste parfois contestées par les associations de consommateurs. Elle a en conséquence émis la proposition suivante : faire payer une redevance (une "licence légale") aux fournisseurs d'accès Internet qui serait ensuite redistribuée aux ayants droit.

Selon l'ADAMI, le téléchargement de fichiers musicaux pourrait être toléré à condition qu'une redevance de licence légale soit acquittée par les FAI. Les fournisseurs d'accès, de leur côté, contestent, l'on s'en doute, le bien-fondé de pareille mesure, notamment au motif que, dans le cas d'autres systèmes de licence légale (en matière radiophonique par exemple), c'est le diffuseur qui paie et non la personne qui lui fournit les moyens de diffuser. Or, le fournisseur d'accès ne diffuse rien, seul l'internaute réalise la diffusion… 

 
 

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