Si on y regarde de près, cette ordonnance n'est pas si défavorable aux FAI.
L'injonction du président Binoche est même particulièrement mesurée. Non
seulement elle n'impose aucune obligation de résultat aux fournisseurs d'accès
sur les effets du filtrage mais, plus encore, cette obligation n'est assortie
d'aucune astreinte pécuniaire. Cette situation est tout de même assez
singulière. Ce qui est imposé aux FAI, c'est une expérimentation à échelle
réelle. Après, on verra. Les FAI ont donc une dizaine de jours pour effectuer
l'exercice et, durant ce temps, ils pourront porter à la connaissance du juge
toutes les difficultés qu'ils rencontreront... C'est donc bien d'"essais" dont
il s'agit. Par conséquent, il est prématuré de prétendre que cette ordonnance
ne tient pas compte des difficultés techniques, financières ou pratiques
auxquels les fournisseurs d'accès pourraient se heurter.
Une procédure juridique innovante...
La méthode judiciaire est très différente de celle qui avait été employée par
l'ancien vice-président du TGI de Paris dans le cadre des affaires Yahoo! en
2000 et J'Accuse en 2001. Le juge Gomez avait en effet recouru à des expertises
techniques et à l'audition de "grands témoins". Même si cette méthode était
difficilement justifiable dans le cadre d'une procédure de référé (donc
d'urgence), elle avait eu le mérite de faire avancer le débat sur la
faisabilité technique et les impasses juridiques du filtrage. Mais aucune de
ces deux affaires n'avait abouti à l'expérimentation concrète d'une mesure de
filtrage. Nous n'avions que nos fantasmes pour surseoir à statuer, et on les a
savourés pendant près de 5 ans... jusqu'à ce que le juge Binoche ait souhaité
être fixé.
... mais peut-être mal taillée
En revanche, sur le plan juridique, on peut se demander si les termes de
l'article 6.I.8 de la LCEN ont bien été appliqués. Ceux-ci permettent au juge
des référés de prescrire aux FAI "toutes mesures propres à prévenir un dommage
ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de
communication au public en ligne". Les termes "Toutes mesures" signifient que
le juge doit en décrire au moins une. Or, aucune mesure précise n'a été
prescrite. On pressent que la Cour d'appel, si elle est saisie, pourrait
reprocher au TGI le caractère trop vague de son ordonnance et d'avoir, en
conséquence, méconnu les termes de l'article 6.I.8.
Une opportunité à saisir pour les FAI
Ceci étant dit, il ne serait pas à l'avantage des FAI de se voir imposer des
mesures plus concrètes. Ces derniers sont donc face à un dilemme cornélien. Que
doivent-ils choisir entre 1) faire "sauter" la présente ordonnance et risquer de
se voir imposer, plus tard, des obligations plus concrètes (car les associations
anti-racistes n'abandonneront pas la partie) et 2) appliquer cette ordonnance
qui leur laisse tout de même une certaine marge de manuvre ?
A mon avis, la seconde solution est bien plus avantageuse pour eux car elle leur
permet de démontrer concrètement l'inefficacité ou les effets pervers de toutes
mesures de filtrage. En définitive, s'ils veulent prouver leur bonne foi, c'est
le moment ou jamais
|