TRIBUNE 
PAR OLIVIER ITEANU
La gouvernance, principe révolutionnaire ?
Le principe de la gouvernance de l'Internet, débattu lors du Sommet Mondial sur la Société de l'Information, remet en question la valeur de la Loi et ses rapports avec la société civile. Olivier Iteanu revient sur les enjeux de ce débat.  (20/12/2005)
 
Avocat à la Cour et
Président d'honneur de l'Internet Society France
 
   Le site
Internet Society France
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Les débats récents de Tunis à l'occasion du Sommet Mondial sur la Société de l'Information ont été l'occasion de porter à la connaissance du grand public la question de la gouvernance de l'Internet, question souvent présentée de manière réductrice comme une simple lutte de pouvoir entre les Etats-Unis et l'Europe. Mais sait on vraiment ce que signifie la gouvernance et quels sont les véritables enjeux du débat ?

Le concept de gouvernance…
Au sens moderne du terme, le concept de gouvernance apparaît très tard, en 1975, et dans un lieu bien précis, l'entreprise. Il est pour la première fois utilisé par un Professeur d'Economie, Oliver E. Williamson (" Markets and hierarchies. Analysis and antitrust implications, New York, Free Press, 1975). C'est alors une théorie élaborée des coûts de transaction auxquels une entreprise doit faire entre internalisation et externalisation, un pont en quelque sorte jeté entre économie et organisation. C'est donc clairement à l'origine une notion issue d'une société à tradition libérale, totalement étrangère aux sociétés à tradition étatique ou étatiste, comme le sont la plupart des sociétés européennes. Le concept moderne de gouvernance va rapidement évoluer pour aboutir à une définition plus large. La gouvernance devient alors l'ensemble des processus par lesquels des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées. En clair, la gouvernance signifie que la loi n'a pas le monopole pour régir un espace. Pour la société de l'information, elle se trouve désormais en concurrence avec a moins trois autres normes.

…place la Loi en concurrence avec trois normes
La première de ces normes est la norme comportementale, la manière d'être, ce que les sociologues appellent les faits morphologiques. La société de l'information fait la part belle à l'individu. L'écran est tout à la fois sa fenêtre sur le monde et sa protection contre le monde. L'individu se trouve dès lors avoir une prise directe sur la sphère publique, tout en agissant directement de sa sphère privée. Compte tenu de cette configuration nouvelle, l'individu se trouve à "mi-chemin" entre la voie publique et la sphère privée. La Loi a alors la plus grande difficulté à modeler les comportements induits. Le peer to peer et ses excès sont l'exemple de cette difficulté. Des millions d'individus échangent des fichiers parfois "non originaux" de poste à poste à partir de leur sphère privée. La Loi est bousculée et bafouille.

La seconde norme en concurrence avec la Loi est celle du marché, le pouvoir économique. C'est une banalité de le dire mais il faut ici rappeler que le réseau est un lieu où la plupart des standards appartiennent à des entreprises du secteur privé qui ont sans surprise une logique de profit et de conquête. Le droit se doit dès lors de composer dans un environnement "public privé" que les autorités publiques ne maîtrisent pas. Ainsi, tant qu'il n'en coûtera que quelques dizaines de dollars à un acteur économique pour "balancer" quelques centaines de milliers voire de millions d'emails non sollicités, on peut parier que la lutte contre le spam sera une course perdue d'avance par la Loi.

Enfin, la troisième norme en concurrence avec la Loi est la technique. Dans la société dite de l'information, l'homme est un des éléments du système technique et de l'architecture mise en place. Si l'homme veut interagir avec le système, il doit se soumettre à la structure du système qui lui est imposée. Vie privée et données à caractère personnel sont un problème résultant de cette soumission.

Les enjeux pour l'Etat de droit
Pour l'étudiant en droit de première année d'une Université européenne, l'objet de la Loi est de rendre possible la vie en société. Dans un Etat dit de droit moderne, le même étudiant considère que la loi est prédominante, voire quasi monopolistique et qu'elle est le résultat d'un processus démocratique. La gouvernance signifie tout simplement la révolution de ces paradigmes. La gouvernance signifie que la Loi se trouve désormais en concurrence avec d'autres normes non juridiques et non démocratiques du point de vue de leur élaboration.

Les débats sur la gouvernance à l'occasion de la dernière réunion de Tunis ont un double objectif. D'une part, harmoniser normes juridiques et non juridiques pour rendre les premières efficaces, d'autre part, réintroduire le processus démocratique dans la boucle. Le réseau de télécommunications n'est qu'une représentation d'une nouvelle organisation de la société. Oui, mais quelle société, un Etat de droit ?

 
 

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