TRIBUNE 
PAR LIONEL THOUMYRE
Droits d'auteur et peer-to-peer : lex, mensonges et idéaux
Licence globale optionnelle : ce dispositif est aujourd'hui au coeur de tous les débats autour du projet de loi sur les droits d'auteur. Lionel Thoumyre, coordinateur de l'Alliance Public-Artistes revient sur ses fondements et sur son périmètre d'application.  (31/01/2006)
 
Coordinateur de l'Alliance Public-Artistes,
responsable nouvelles techniques à la Spedidam
 
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Alliance Public-Artistes
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Etonnement général dans la nuit du 22 décembre 2005 : l'amendement autorisant le téléchargement des œuvres sur les réseaux peer-to-peer a été adopté à l'Assemblée nationale par 30 voix contre 28. Il s'agit du premier volet de la licence globale optionnelle.

Cette licence autorise, contre une rémunération versée aux ayants droit, les échanges de musiques et d'images effectués entre particuliers sur Internet. Le fait était-il si inattendu ?

Oui, car la licence globale n'avait reçu le soutien ni du Ministre de la Culture, qui présentait son projet de loi sur le droit d'auteur, ni du rapporteur de ce projet, ni du groupe UMP, majoritaire sur les bancs de l'Assemblée. Oui encore, car le projet de loi du Ministre avait été présenté à l'Assemblée nationale à la veille de Noël dans le cadre d'une procédure d'urgence. Les députés dissidents étaient supposés finir la déco du sapin, et non pas orner le projet du Ministre de cette fameuse licence…

Une crise annoncée
On pouvait néanmoins s'attendre à ce que cette solution soit âprement défendue. Soutenue par plus de quinze organismes qui composent l'Alliance public-artistes (dont la Spedidam, l'Adami, la SAIF, l'UFC Que-Choisir, l'UNAF et la CLCV), elle avait trouvé plusieurs partisans parmi des députés de droite et de gauche. Elle s'est ainsi imposée comme une solution réaliste pour régler le problème du peer-to-peer, sans endommager les libertés publiques.

Des cris d'alarme se sont ensuite élevés, parfois de façon surréaliste, au lendemain du vote de l'Assemblée. Riches vedettes et producteurs se sont emportés : "voler devient un droit", "mort du droit d'auteur", "plus d'argent pour la création" ... autant de bons mots assassins fondés sur des idées fausses. Une pratique qui relève de la caricature et confine à la désinformation.

La licence globale ne se substitue pas aux ventes commerciales
On fait comme si la rémunération issue de la licence globale allait se substituer à celles en provenance de la vente de CD, de musique en ligne et de places de concerts. Et bien non, les échanges d'œuvres entre particuliers ne se substituent pas aux ventes commerciales. Pourquoi ?

Parce que les sites payants offrent de véritables avantages par rapport aux échanges sur peer-to-peer : facilité d'utilisation, service fourni, sécurité informatique, rapidité du téléchargement et exactitude des informations (étude Médiamétrie/Spedidam, octobre 2005).

Parce que les plus gros copieurs sont aussi les plus gros acheteurs (étude Université Paris-Sud 11/Que-Choisir). Parce que les plus gros téléchargeurs sont aussi les plus fervents amateurs de spectacles vivants (étude Médiamétrie/Ministère de la Culture, juin 2005). Et pour preuve, à l'heure où les échanges non commerciaux sur Internet continuent de progresser, les chiffres de ventes des plates-formes payantes évoluent de manière exponentielle et celui de l'industrie du disque est de nouveau en hausse sur les 9 premiers mois de l'année 2005…

Cela, 13.482 artistes l'ont bien compris. Ils ont signé la pétition de la Spedidam par laquelle ils se sont prononcés contre la répression des internautes qui téléchargent et pour une solution de licence globale. Plus de cent Jazzmen, dont plusieurs sont membres de la SACEM, ont également co-signé une lettre ouverte allant dans ce sens. Mais pourquoi, alors, les "têtes de gondole" ne sont-elles pas d'accord ?

Tout d'abord parce que certains artistes ne connaissent pas les arcanes de ce débat, plutôt complexe. Ensuite, parce que les stars ne jouissent pas d'une réelle indépendance vis-à-vis des majors et analysent la solution de la licence globale à travers le prisme tendu par leurs producteurs, cristallisés sur une position aussi dangereuse qu'utopique : contrôler la diffusion culturelle sur Internet.

Un amendement aux conséquences modestes et protecteur des droits d'auteurs
Par ailleurs, les conséquences de l'amendement adopté ce fameux soir sont bien plus modestes que ce que l'on a voulu faire croire. Ce texte ne fait que confirmer la jurisprudence des derniers mois en matière de téléchargement sur les réseaux peer-to-peer (TGI de Bayonne, du Havre, de Rodez, de Toulon, de Meaux ou encore de la Cour d'appel de Montpellier…). En outre, il est plus protecteur des droits d'auteur que le droit positif puisqu'il fait en sorte que les artistes puissent être rémunérés pour un usage pratiqué depuis plusieurs années dans la quasi-gratuité.

La solution offerte par cet amendement ne mériterait l'opprobre que si les artistes et les producteurs avaient la possibilité avérée d'interdire la copie et la diffusion de leurs œuvres sur les réseaux peer-to-peer. Mais deux obstacles majeurs s'y opposent. Le premier obstacle est juridique, il concerne l'acte de copie : l'exception pour copie privée "interdit d'interdire" les reproductions qui sont effectuées à usage privée. Le second obstacle est matériel, il concerne tant l'acte de copie que l'acte de diffusion : depuis le milieu des années 90, de nombreux ayants droit ont vu leurs œuvres diffusées sur Internet sans que leurs interdictions, à coup de procès et de mesures techniques de protection, aient jamais été suivies d'effets.

Plutôt que d'interdire, mieux vaut accompagner les nouveaux usages
La solution n'est donc pas d'interdire des utilisations de masse. Elle est d'autoriser dans un cadre juridique fiable. C'est ce que propose la licence globale optionnelle. Cette autorisation permet d'obtenir, en contrepartie, une rémunération qui sera perçue par les fournisseurs d'accès et reversées aux ayants droit en fonction de leur audience, déterminée par l'observation de la circulation des œuvres sur les serveurs intermédiaires de stockage et/ou de larges panels représentatifs. L'autorisation est toutefois assortie de limites : elle ne vaut que pour les échanges effectués à des fins non commerciales entre particuliers.

Quelle est donc l'alternative que nous offre aujourd'hui les opposants à cette licence ? La "réponse graduée". Dans sa nouvelle version édulcorée, cette "réponse" est destinée à distribuer des amendes de 38 euros aux petits téléchargeurs.

Elle impliquerait ainsi une surveillance généralisée du réseau pour identifier les téléchargements portant sur des œuvres protégées. S'est-on seulement soucié de savoir si ce texte serait conforme à notre loi "informatique et libertés", aux directives européennes sur la protection des données personnelles ou à la Constitution française ? Les services du Premier Ministre ne se sont penchés sur le problème que très récemment.

A l'écart des solutions obstinément répressives, la licence globale optionnelle répond aussi à un idéal : l'accès du plus grand nombre à la diversité culturelle, sans contrôle des multinationales.

 
 

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