Les défenseurs d'Uber ont-ils un cerveau ?

Les évangélistes Uber sont très braves, mais ils racontent souvent n'importe quoi. Certes, ils travaillent gratuitement, mais quand même. Voici un bon exemple, avec trois points précis.


C’est la question que je me pose depuis cette affaire de taxis incendiaires. À la radio ou sur Twitter, ils sont partout : “vive Uber c’est trop bien, c’est la disruption”. 

Le summum est atteint avec une chronique d’un entrepreneur grisonnant au regard revolver, publiée sur Frenchweb. Le titre est emblématique : “Airbnb, Uber… La France mérite la disruption”

On dirait un slogan L’Oréal remanié : "parce que toi aussi tu le vaux bien". Le bonhomme débite un charabia empâté, une collection de boniments imbitables. Du pire que tout, dégoulinant.

Cette soupe est écrite dans le style d’un enfant de 8 ans, à qui on aurait demandé de composer un éloge de la libre entreprise. 

Juste pour situer, citons une phrase culte à propos des bienfaits d’Uber (si on peut appeler ça une phrase) : “ce sont des centaines, des milliers de personnes sous-qualifiées, souvent immigrés de seconde génération, qui trouvent ainsi un espoir d’ascension sociale, de reconnaissance, d’intégration, et qui serve avec gentillesse et attention des clients, plus habitués à une radio qui hurle, un avis personnel non sollicité sur la classe politique, des discussions de café du commerce passionnantes, dans des véhicules qui rivalisent avec les conducteurs de rallye.”  

Au-delà du style et du sens peu compréhensible, où est le problème ? 

Au moins 3 mensonges (ou idioties) récurrents

IDIOTIE 1 : “ni l’arrivée de Airbnb, ni celle des VTC, n’a volé de marché aux taxis ou aux hôtels.” 

Il faut être sacrément déconnecté du monde des affaires pour écrire cela. Dans une certaine mesure, et c’est le propre de l’innovation, ces sociétés ont créé de nouveaux marchés. Certes.

Le nouvel usage sert alors d’accroche pour attaquer le marché existant. OK. Mais les fondateurs d’Airbnb n’auraient jamais levé un centime s’ils ne visaient pas de conquérir le marché hôtelier. 

Fred Wilson, un VC américain emblématique, avait expliqué avoir raté cet investissement. Dans un email de 2009 publié par Paul Graham, il motivait son refus de financer : “I am not sure they can take on the hotel market. I could be wrong.” Oui, il avait tort et il l’a dit. 

Donc dire que Airbnb ne touche pas au marché des hotels n’est même pas un mensonge, c’est une débilité totale.

Idem pour Uber, qui s’attaque à tout le marché du transport, qu’il s’agisse de personnes ou de paninis. Pensez-vous qu’Uber vaudrait $50 milliards s’ils se contentaient de créer 2-3 nouveaux marchés de niche, du genre “Mylène qui sort de boite et trouve pas de taxi à 2 plombes du mat” ? Évidemment que non. 

IDIOTIE 2 : “la disruption ça va créer des emplois” 

La litanie classique, déroulée dans la phrase que je citais plus haut : “Uber ils sont trop gentils, ils permettent aux immigrés de s’intégrer.” Etc. 

Attention, scoop : le numérique détruit plus d’emplois qu’il n’en crée. Pourquoi ? Parce que les systèmes d’information du genre “internets” nous permettent d’être plus efficaces. 

Si ta productivité augmente, tu peux maintenir le rendement de ton capital, tout en virant les gens. Magique. C’est pour cela que notre secteur numérique est en pleine croissance, alors que tout stagne ou se crash. 

Uber le sait, et c’est pour cette raison que d’ici 10 à 20 ans, ils effaceront leurs chauffeurs

Même si ces derniers auront décroché un contrat de travail entretemps (comme en Californie par exemple, cet horrible état communiste), ça coutera toujours moins cher de les mettre dehors. 

Conseil au passage : si tu travailles sur une startup dont le but est de créer plus d’emplois qu’elle n’en détruira, arrête tout de suite. Si tu es investisseur, j’espère que tu es déjà au courant. 

IDIOTIE 3 : “La France c'est le village d’Astérix” 

Notre pays serait un repère d’arriérés, déconnectés du réel et déphasés par rapport à la grande fête mondiale du capitalisme. 

OK. C'est pas faux dans un sens, mais une fois n'est pas coutume, je vais endosser le rôle d'avocat : 

Et à Berlin, ils font comment Uber ? Ben ils utilisent les taxis existants, basta. 

Et à Berlin, ils font comment Airbnb ? Ben les loueurs vont devoir payer des taxes, et déclarer leurs revenus. 

Et en Californie, ils font comment les chauffeurs Uber ? Ben comme évoqué plus faut, ils sont considérés comme employés, et non comme travailleurs indépendants. 

Tous les pays souverains régulent leurs marchés. La plupart du temps, la France se comporte comme un protectorat américain, ou même moins que ça. Une habitude doit-elle devenir la norme ?

Prenons un exemple frappadingue, pour rire (jaune). 

Avez-vous déjà pensé à l’enjeu stratégique d’un media comme Facebook ? Avez-vous déjà réalisé l’influence que peut avoir l’algorithme secret du flux d’actualité ? 

En période d’élections, le CSA va décompter les minutes de prise de paroles des différents candidats sur des media désormais secondaires. Mais qui va contrôler le flux d’actualité Facebook ? Qui va vérifier qu’un parti n’est pas favorisé ? 

Personne, car c’est impossible en l’état. Pourtant, l’égalité des temps de parole est un fondement de la bonne marche de notre démocratie, non ?  

Dans un monde sans NSA, on pourrait penser qu’un tel risque est minime. Et si la France avait le pouvoir d’accueillir un Snowden, pour démontrer sa souveraineté, on pourrait aussi penser que nous sommes prémunis d’un tel danger. Mais ce n’est pas le cas. 

Donc les violons “oui la France est toute fermée sur elle-même”, il faut les ranger. C’est un mythe pour bisounours.

La France est un marché énorme. Si elle le souhaite, elle pourrait imposer ses conditions aux géants du web américains, comme l’a fait la Chine, avec grand succès pour tous les partis.  

Conclusion 

J’aurais plus de respect pour les évangélistes Uber s'ils : 

- écrivaient et parlaient le français ; 
- sortaient des arguments valables (il y en a) ; 
- étaient rémunérés plutôt que benêts bénévoles. 

# P.S.

Uber, si le gars de la chronique Frenchweb travaille pour vous, virez-le : il vous nuit. 

# P.S. bis

Mon propos n’est pas : 

- un soutien aux groupes G7 ou Accor. D’ailleurs, si j’avais été un dirigeant G7 voulant prolonger mon exploitation d’une main d’oeuvre sous-payée, je n’aurais pas appelé mes chauffeurs à pourrir la vie de tout le monde. Je leur aurais demandé de transporter des clients gratuitement, pendant une journée. J’aurais appelé ça “les taxis du coeur” ou “les taxis ont un coeur”. Vu l’offre gratuite, le réseau aurait été saturé, et aussi inutilisable qu’une flotte en grève. Et en même temps, quelle excellente opération de com, que d’offrir des courses, pendant lesquelles les braves chauffeurs auraient pu s’épancher sur leur triste condition. Cela aurait transformé les passagers en évangélistes, à coup sûr.  

- anti-américain. Dieu sait si je ne suis pas anti-américain. Seulement voilà, si la France n’est pas souveraine, il faut bien le dire, et regarder la réalité en face. La tutelle américaine n’est pas entièrement mauvaise, elle a par exemple permis que l’on arrête de s’étriper avec les Allemands tous les 30 ou 40 ans.