RATP : des exosquelettes pour protéger la santé des techniciens

RATP : des exosquelettes pour protéger la santé des techniciens D'ici la fin de l'année, la RATP veut équiper 300 techniciens de maintenance d'exosquelettes. Son objectif : diminuer les troubles musculosquelettiques. Une décision prise après deux ans de tests.

Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont la cause de 87% des maladies professionnelles mais comment savoir si un exosquelette apporte suffisamment de valeur pour être déployé à grande échelle en entreprise ? "De nombreux clients testent divers exosquelettes en POC mais peinent à répondre à cette question. L'un d'eux en à testé 10 sans parvenir à statuer", constate Paul Essig, associé et chief data officer chez Moten Technologies, start-up IoT française. La RATP en faisait partie.

Soucieux d'améliorer la qualité de vie au travail de ses employés, le groupe ferroviaire s'est intéressé à la technologie il y a maintenant deux ans et en a confié l'étude à l'équipe chargée du programme d'innovations, dirigée par Nicolas Stuyvers. Après avoir échangé avec plusieurs grands groupes comme Airbus pour savoir comment implémenter un exosquelette, l'équipe s'est rendue compte qu'il lui fallait des indicateurs de performance. "La mesure est synonyme de prise de décision", affirme Nicolas Stuyvers, qui a fait appel à Moten en août 2022 pour évaluer les résultats.

"Pour évaluer un exosquelette, nous avons établi des critères biomécaniques et subjectifs"

Moten conçoit en effet des capteurs corporels non invasifs, à fixer sur la peau, évaluant la vibration produite par les muscles pendant l'effort et les enregistrent avant de les traduire en indicateurs d'effort et de fatigue via une intelligence artificielle embarquée. Ces indicateurs permettent de documenter de manière fiable leurs efforts et postures. "Pour évaluer un exosquelette, nous avons établi des critères biomécaniques et subjectifs. L'intérêt avec les données biomécaniques est de s'assurer que les problèmes musculaires ne soient pas déportés dans une autre partie du corps au cours de l'utilisation. Le questionnaire de satisfaction nous confirme pour sa part si la solution est acceptée par les utilisateurs et ne sera pas mise de côté une fois le premier engouement passé", précise Nicolas Stuyvers.

La RATP a mené plusieurs phases de test. Une première, après avoir identifié les besoins, avec une poignée de volontaires pour effectuer des mesures avec et sans exosquelette, afin de pouvoir comparer et dresser de premières tendances. "Une période d'habituation de trois semaines est indispensable", confie le responsable du programme d'innovation. Un deuxième test s'est déroulé avec une quinzaine de volontaires sur huit sites, avant que ne soit étudiée une industrialisation à plus grande échelle. Un retour d'expérience complet prend en moyenne trois ans à la RATP. Cette méthodologie rigoureuse a permis à la RATP de savoir si un exosquelette est adapté à un poste de travail donné. Ainsi, l'utilisation d'un gant bionique s'est révélée pertinente pour des opérations de peinture sur le matériel roulant mais pas dans la fabrication de sabots, pour lequel le test a été clôturé. De même, pour la maintenance des portes du RER A, les retours étaient positifs mais l'expérimentation avec Moten a permis d'identifier une gêne, ce qui a conduit à une modification de l'équipement. Le groupe teste l'usage d'exosquelettes pour près d'une vingtaine d'usages différents.

Plus de 424 heures de mesures

L'expérimentation a également permis aux deux partenaires de dégager plusieurs points d'attention à ne pas négliger. Le plus important pour les équipes de la RATP est d'avoir, quand on teste une nouvelle technologie, le point de vue de plusieurs acteurs. "Nous avons associé la médecine du travail au processus pour avoir un avis supplémentaire et s'assurer qu'un volontaire ne présente pas de contre-indication au port d'exosquelette", précise Johanna Dian, ergonome et chef de projet innovation au sein de la RATP. Pour Moten, le principal enseignement concerne l'analyse des données dont il ne faut pas négliger la charge. "Les capteurs surveillent le fléchissement des avant-bras, le mouvement des épaules, de la zone lombaire, des abdominaux, etc. Cela a représenté 424 heures de mesures, ce qui est considérable", souligne Marie-Anne Grangeret, COO et ergonome de Moten Technologies.

"Nous attendons de la technologie qu'elle s'adapte encore davantage à nos métiers en itinérance"

L'expérimentation a permis à Moten de développer une deuxième version de ses capteurs. Ces derniers ont été miniaturisés, avec une réduction de leur diamètre de 20%. Et leurs fonctionnalités ont été enrichies pour distinguer les mouvements du corps indiquant si la personne se penche par exemple. La première version distinguait déjà les vibrations dans le corps de celles issues d'engins pour en indiquer les conséquences sur le corps. Moten prévoit par ailleurs de coupler ses capteurs avec une caméra connectée pour offrir une meilleure visualisation des efforts prodigués avec un code couleur sur l'image du technicien.

La priorité ces prochains mois pour les équipes de la RATP est d'assurer la pérennité de la solution en faisant en sorte que les métiers s'en emparent de manière autonome et que le projet ne soit plus porté par le programme d'innovation. L'objectif : l'adoption par près de 300 techniciens de maintenance fin 2023. Car les tests ont prouvé une réduction de 30% des contraintes dans les épaules. "Pour la suite, nous attendons de la technologie qu'elle s'adapte encore davantage à nos métiers en itinérance", confie Johanna Dian. Le potentiel des exosquelettes serait alors conséquent : plus de 5 000 personnes à la RATP sont chargées d'effectuer des réparations sur les voies et les exosquelettes amélioreraient leurs conditions de travail, un vœu martelé au sein de la RATP.