Larry Page : l'histoire inédite du vrai fondateur de Google
Vous connaissez le parcours de Steve Jobs et de Mark Zuckerberg. Mais, connaissez-vous celui de Larry Page, le créateur de Google ?
Un jour de juillet 2001, Larry Page décida de virer tous les chefs du projet Google. Tous. Cela faisait cinq ans que Larry Page, alors étudiant de 22 ans diplômé de Stanford, avait eu une idée au beau milieu de la nuit. Il avait réussi à télécharger tout le Web et, en examinant les liens entre les pages, il avait vu l'information mondiale sous un angle complètement différent.
Ce que Larry Page écrivit cette nuit-là devint la base d'un algorithme qu'il appela PageRank et qu'il utilisa pour alimenter un nouveau moteur de recherche Web appelé BackRub. Le nom n'a pas perduré.
En juillet 2001, BackRub fut renommé en Google. Il avait déjà des millions d'utilisateurs, une liste impressionnante d'investisseurs et 400 employés, y compris environ une demi-douzaine de chefs de projet.
Comme dans la plupart des start-up, les fondateurs de Google géraient en direct les ingénieurs. Alors que l'entreprise se développait, une couche de managers s'ajouta entre eux : les chefs de projets. A l'époque, Larry Page a 28 ans et il déteste ça. Comme Google n'embauchait que les ingénieurs les plus talentueux, il pensait qu'un niveau supplémentaire d'encadrement était non seulement inutile mais représentait également une entrave. Il soupçonnait également les chefs de projet de Google d'éloigner les ingénieurs des tâches auxquelles il était personnellement attaché. Par exemple, il avait exposé les grandes lignes d'un projet pour numériser tous les livres existants dans le monde et les rendre accessible en ligne, mais personne n'y travaillait. Il rejeta la faute sur les chefs de projet.
Il décida que des changements étaient nécessaires. Au lieu de rendre compte aux chefs de projet, l'ensemble des ingénieurs de Google devaient maintenant s'adresser à une seule personne, un vice-président de l'ingénierie nouvellement embauché, Wayne Rosing, qui rendrait compte directement à Larry Page.
D'après "I'm Feeling Lucky", témoignage de Douglas Edwards sur les premières années de Google, la directrice des ressources humaines, Stacey Sullivan, une femme austère qui porte la frange, pensait que le plan de Larry Page était dingue. Stacey Sullivan lui en fit part : "On ne peut pas s'organiser soi-même ! Les gens ont besoin de quelqu'un vers qui se tourner quand ils ont des problèmes !".
Larry Page ignora ses conseils. Stacey Sullivan confia ses inquiétudes à Eric Schmidt. Au mois de mars, il était devenu président de Google. Tout le monde pensait qu'il serait PDG dès qu'il aurait la possibilité de quitter son emploi à plein temps en tant que PDG de Novell.
Eric Schmidt était d'accord avec Stacey Sullivan ainsi que l'entraîneur exécutif de Larry Page, Bill Campbell, que tout le monde appelait "coach" car il avait été autrefois l'entraîneur de l'équipe de football de l'université de Columbia. Il marchait et parlait encore comme s'il arpentait la ligne de touche.
Comme l'a exposé en détails Steven Levy sur sa propre histoire chez Google qui a fait du bruit, "In the Plex", un jour Bill Campbell s'est disputé avec Larry Page concernant son projet. Pour soutenir son point de vue, Bill Campbell fit défiler les ingénieurs dans le bureau de Larry Page pour qu'ils donnent leur point de vue. L'un après l'autre, ils racontèrent à Larry Page qu'en fait ils préféraient avoir un chef, quelqu'un qui pourrait mettre fin aux désaccords et donner des directives aux équipes.
Mais Larry Page était obstiné.
Il fallut peu de temps à Eric Schmidt pour s'opposer au plan de Larry Page. Nous étions en juillet 2001 et Eric Schmidt n'était pas devenu officiellement PDG. Donc, Larry Page continua. Il délégua Wayne Rosing pour annoncer la nouvelle.
Cet après-midi-là, les quelques 130 ingénieurs et une demi-douzaine de chefs de projet firent leur apparition. Ils restèrent devant le bureau de Larry Page parmi les cabines et les canapés dépareillés de Google qui, comme tout le reste des meubles de bureau de l'entreprise, avaient été achetés à bon prix à des startup qui avaient mis la clé sous la porte.
Au bout du compte, Wayne Rosing, un chauve qui porte des lunettes, commença à prendre la parole en expliquant que l'ingénierie se réorganisait : tous les ingénieurs lui rendraient maintenant compte, les chefs de projet n'avaient plus de travail.
La nouvelle fut mal prise, les chefs de projet étaient abasourdis, on ne leur avait rien dit. Ils venaient de se faire virer devant tous leurs collègues.
Les ingénieurs exigèrent une explication. Alors, Larry Page leur en donna une. Sans grande émotion apparente, prenant la parole d'un ton habituellement plat et mécanique, il expliqua qu'il n'aimait pas que des personnes qui ne sont pas ingénieurs encadrent celles qui le sont. Les ingénieurs ne devraient pas être encadrés par des managers ayant une connaissance technique limitée. Finalement, il ajouta que les chefs de projet de Google ne faisaient simplement pas du bon travail.
Tout en parlant, Larry Page détournait le regard. Il ne regardait pas les gens en face. Bien qu'il ait du charisme avec une taille au-dessus de la moyenne et des cheveux presque blancs, il était maladroit.
La nouvelle fut reçue dans un chœur de grognements. Enfin, un des ingénieurs présents dans la salle, Ron Dolin, commença à hurler vers Larry Page. Il affirma qu'une réunion de tout le personnel n'était pas un endroit pour effectuer une évaluation des performances. Ce que faisait Larry Page était "complètement ridicule", avoua-t-il et "totalement non professionnel".
"C'était nul" confessa plus tard un des chefs de projet qui était là. "Je me suis senti humilié. Larry Page disait devant tout le monde qu'on n'avait pas besoin de managers et il disait pourquoi il ne nous aimait pas. Il a dit des choses qui ont fait du mal à beaucoup de gens".
En définitive, les licenciements n'eurent pas lieu. Au lieu de ça, les chefs de projet que Larry Page avait eu l'intention de virer ce jour-là furent intégrés dans l'organisation des opérations de Google en plein essor sous la direction d'Urs Hözle.
La réorganisation de Larry Page ne dura pas non plus longtemps. Les problèmes apparurent rapidement. Les projets qui avaient besoin de ressources ne les obtinrent pas. Les doublons devinrent un problème. Les ingénieurs voulaient des retours et se demandaient quel sens prenait leur carrière professionnelle.
Finalement, Google commença à réembaucher des chefs de projet.
"J'ai fait de mon mieux pour signaler qu'il y a une véritable valeur dans le management", rappelle Stacey Sullivan dans "I'm Feeling Lucky". "Ce fut une leçon pour Larry Page".
En août 2001, Eric Schmidt s'était entièrement libéré de ses responsabilités chez Novell. Il devint PDG de Google. Et Larry Page fut très mécontent pendant longtemps.
Tout le monde connaît l'histoire de Steve Jobs, la façon dont il fut renvoyé de l'entreprise qu'il avait créée, Apple, et il rentra d'exil des décennies après pour sauver l'entreprise.
Ce que l'on comprend moins bien c'est que le conseil d'administration d'Apple et les investisseurs ont eu absolument raison de renvoyer Steve Jobs. Au début de sa carrière, il était grognon, méchant et destructeur. C'est seulement en quittant Apple, en devenant humble et en rencontrant le succès une deuxième fois (avec Pixar) qu'il fut capable de mûrir en devenant un leader qui revint chez Apple et en fit l'entreprise la plus précieuse au monde.
Larry Page, c'est le Steve Jobs de Google.
Comme Steve Jobs, Larry Page a un cofondateur, Sergey Brin, mais Larry Page a toujours été le véritable visionnaire et la force motrice de son entreprise.
Et, tout comme les investisseurs d'Apple qui mirent Steve Jobs à la porte, les investisseurs de Google firent fi des souhaits de Larry Page et le forcèrent à embaucher un PDG pour jouer le rôle d'encadrement adulte.
Tous les deux connurent une longue traversée du désert. L'exil de Steve Jobs fut plus dur, mais Larry Page passa également des années à l'écart du quotidien de Google. Comme pour Steve Jobs, ce fut seulement à travers ce long exil que Larry Page pu mûrir en prenant conscience de ses forces et de ses faiblesses.
Alors, comme Steve Jobs, Larry Page revint avec de folles ambitions et de nouvelles déterminations.
Lawrence Edward Page
Par la claire et froide nuit du 7 janvier 1943, Nikola Tesla dormait tranquillement dans sa suite de l'hôtel New Yorker, 33 étages au-dessus des rues de Manhattan. Tout à coup, sa poitrine éclata de douleur, puis son cœur s'arrêta.
Le lendemain, une femme de chambre de l'hôtel décida d'ignorer le panneau "ne pas déranger" qui pendait à la porte de Nikola Tesla. Elle trouva son corps. Le grand inventeur était mort.
Immigrant serbe né en 1856, Nikola Tesla a inventé la manière dont la quasi-totalité de l'électricité dans le monde d'aujourd'hui est produite. Il a également conçu et créé les communications sans fil. Mais, il est mort après avoir passé la meilleure partie de ses dix dernières années à vivre de sa pension de retraite et à nourrir les pigeons, incapable de persuader de nouveaux investisseurs de financer ses folles idées les plus récentes. Il est mort en pensant qu'il pourrait inventer une arme qui mettrait fin à toutes les guerres, un moyen pour que l'électricité voyage sans fil à travers les océans et qu'il pourrait envisager d'exploiter l'énergie provenant de l'espace. Il est mort seul et endetté.
Nikola Tesla était un homme brillant. Il parlait huit langues et avait une mémoire absolue. Les inventions apparaissaient dans son esprit complètement formées. Mais il était nul en affaires.
En 1889, il déclara à son patron, Thomas Edison, qu'il pourrait améliorer ses moteurs et ses groupes électrogènes. Thomas Edison lui répliqua : "Si tu peux le faire, tu auras 50 000 dollars". Nikola Tesla tint parole et en retour Thomas Edison lui donna une augmentation de 10 dollars.
Nikola Tesla démissionna. Il créa sa propre entreprise, Tesla Electric Light & Manufacturing. Mais, il se trouva rapidement en désaccord avec ses investisseurs concernant la direction des affaires. Ils le renvoyèrent et il en vit de toutes les couleurs pendant un an.
En 1900, il convainquit JP Morgan d'investir 150 000 dollars dans une autre entreprise. En 1901, il n'y avait plus rien. Nikola Tesla passa le reste de sa vie à demander à John Pierpont Morgan plus d'argent. Il n'obtint jamais rien de plus.
L'année suivant la mort de Nikola Tesla, en 1944, le journaliste John Joseph O'Neill du New York Herald Tribune écrivit sa biographie. Nikola Tesla avait été son ami.
"Pendant les dernières trois décennies de sa vie, il est probable que personne sur les dizaines de milliers de gens qui l'ont vu savait qui il était", conclu la biographie "Prodigal Genius : The Life of Nikola Tesla".
"Même si les journaux, une fois par an, faisaient la une sur Nikola Tesla et ses dernières prédictions concernant les merveilles scientifiques à venir, personne n'associait ce nom à l'homme excessivement grand et très mince qui portait des vêtements d'une époque révolue et qui nourrissait presque tous les jours ses amis à plumes".
"Il faisait simplement partie de ces étranges individus de types très divers qui forment l'ensemble de la population d'une grande métropole".
Quarante et un ans après la publication de ces mots, en 1985, un enfant de 12 ans dans le Michigan finit la lecture de la biographie de Nikola Tesla et pleura.
C'était Larry Page.
Enfant d'un couple de professeurs en informatique de l'université de l'Etat du Michigan, Larry Page grandit dans une maison en désordre. Il y avait des ordinateurs, des gadgets et des magazines de technologie partout. Cette ambiance et des parents vigilants nourrirent sa créativité et son inventivité.
A ce moment-là, Larry Page réalisa qu'il ne suffisait pas d'imaginer un avenir technologique innovant. Il ne suffit pas d'avoir de grandes idées. Elles ont besoin d'être commercialisées. Si Larry Page voulait être inventeur, il devait également démarrer une entreprise qui marche.
L'histoire de Nikola Tesla a également appris à Larry Page à faire attention aux Thomas Edison que l'on rencontre de par le monde, des gens qui se serviront de vous et mettrons vos rêves au service de leurs propres finalités cyniques.
Les règles de management de Larry Page
Google s'est constitué en société le 4 septembre 1998, deux ans après le rêve de Larry Page sur son idée de classer les liens des pages Web en fonction du moment où ils apparaissent. Il s'est autoproclamé PDG et son meilleur ami Sergey Brin a été nommé cofondateur.
Souvent, l'histoire oublie les cofondateurs. Chez Apple, Steve Jobs en avait deux. Chez Facebook, Mark Zuckerberg en avait quatre.
Pour Larry Page, Sergey Brin était un acolyte de toute autre nature. Ils s'étaient rencontrés à Stanford, Sergey Brin était extraverti et dynamique, connu parmi ses professeurs pour son habitude à faire irruption dans leurs bureaux sans frapper.
Pour la startup de Larry Page qui est devenue une entreprise de technologie mondiale, Sergey Brin apportait le côté extraverti dont avait grandement besoin Larry Page et qui lui manquait. Serge Brin était excellent en stratégie, en image de marque et au niveau du développement des relations entre Google et les autres entreprises. Pour Larry Page, c'était un partenaire, ou en définitive un assistant.
Alors que l'on songe souvent à Google comme l'invention de deux jeunes caïds en informatique, Sergey et Larry, Larry et Sergey, la vérité c'est que Google est une création de Larry Page facilitée par Sergey Brin.
Larry Page et Sergey Brin avaient rassemblé 1 million de dollars parmi les amis et la famille pour lancer leur startup. Ils quittèrent le campus de Stanford et louèrent un garage.
En février 1999, la startup avait grandi plus vite que le garage. Elle emménagea dans un bureau au-dessus d'un magasin de vélos à Palo Alto en Californie. Sept mois plus tard, Google emménagea dans un bâtiment quelconque, dans un parc de bureaux à quelques kilomètres de l'autoroute près de Mountain View.
A l'extérieur de ce bâtiment, sur un parking asphalté, du ruban jaune de police délimitait une zone où Larry Page, Sergey Brin et le reste des employés de Google, les Googlers comme ils se nommaient eux-mêmes, jouaient au hockey sur patins à roulettes. C'était du corps à corps. Les employés portaient des protections et, après avoir joué, rentraient au bureau couverts de sueur et parfois de bleus ou de sang. "Personne ne se retenait pour combattre les fondateurs quand il s'agissait d'attraper le palet. Plus vous jouiez d'arrache-pied, plus vous étiez respecté", écrit Douglas Edwards.
A l'intérieur de l'immeuble de bureaux beige, le jeu était deux fois plus difficile. Oui, la nourriture était gratuite pour tous les employés et il y avait un massothérapeute sur le site. Et, avec ses ballons d'exercice et ses canapés aux couleurs vives partout, l'endroit ressemblait à un jardin d'enfants allié à un dortoir d'étudiants.
Mais, pour les employés de Larry Page, travailler chez Google ressemblait plus à une soutenance de thèse sans fin. Partout où l'on regardait, il y avait des je-sais-tout qui s'attaquaient à vous avec joie. Au départ, Larry Page et Sergey Brin avaient garanti une journée de débats virulents et c'est comme ça que les liens se renforcèrent. Leurs discussions ne consistaient pas en des prises de bec. D'un côté, il y avait une série d'affirmations brutales qui allaient droit au but et de l'autre des insultes. Larry Page disait qu'une des idées de Sergey Brin était stupide, Sergey Brin disait que l'idée de Larry Page était simplette. Ils se traitaient l'un l'autre d'ordures.
Après ces disputes, Larry Page ne ressentait jamais d'altération dans son amitié avec Sergey Brin. Donc, il formait son interaction avec les autres employés de Google de la même manière, sans fard. Un jour, Larry Page proclama devant une salle remplie d'employés de la première campagne marketing que leur métier était basé sur l'aptitude au mensonge.
Larry Page avait tendance à communiquer à travers un langage corporel emphatique. Il haussait un sourcil de manière à vous faire comprendre qu'il pensait que votre idée était stupide. Si vous disiez quelque chose qui le mettait en colère ou mal à l'aise, il répondait sur un ton plus calme et ne pouvait pas vous regarder en même temps.
Il devint tristement célèbre pour son manque de bonnes manières. Si lors de la démonstration d'un produit une application mettait du temps à se charger, ça l'incitait à commencer à compter à voix haute.
"Mille, une fois".
"Mille, deux fois".
Larry Page encourageait ses cadres supérieurs à se battre à sa manière et à celle de Segey Brin. Lors de réunions avec des nouveaux employés, un des deux cofondateurs provoquait souvent une dispute relative à une décision commerciale ou un produit. Puis, ils se rasseyaient tous les deux et observaient calmement pendant que leurs seconds s'étripaient verbalement. Dès qu'un débat commençait à tourner en boucle, Larry Page disait : "Je ne veux plus en parler. Allez-y".
Ce n'est pas qu'il était un tyran, c'est juste qu'il se focalisait sur les idées des gens, pas sur leurs sentiments.
La première directrice des ressources humaines de chez Google, Heather Cairns, se souvient avoir pris Larry Page sur le vif en train de discuter attentivement avec le concierge de Google après les heures de travail.
Par la suite, elle demanda à Larry Page de quoi ils parlaient de manière aussi grave.
"Je veux savoir comment les gens travaillent", répondit-il avec un exposé détaillé de la méthode utilisée par le concierge pour mettre des sacs vides au fond de chaque poubelle afin de pouvoir les remplacer facilement.
"C'est très efficace, a approuvé Larry Page, il gagne du temps et j'en ai tiré une leçon".
Lorsqu'on lui a demandé quelle était son approche de la direction de l'entreprise, Larry Page a raconté un jour à un employé de Google que sa méthode pour résoudre des problèmes complexes était de les réduire à du binaire, puis de simplement choisir la meilleure option, quels que soient les inconvénients auxquels il envisageait de se résoudre en terme de dommage collatéral.
Lorsque Larry Page est allé à Stanford après avoir obtenu sa licence en informatique de l'université du Michigan, il s'attendait à devoir faire un choix entre devenir un universitaire ou créer une entreprise. Choisir la première option signifierait renoncer à l'opportunité de devenir l'inventeur d'applications largement utilisées. Mais, créer une entreprise l'obligerait à faire face à des gens d'une manière qui ne lui convenait pas. Pendant les premières années de Google, il a pu avoir le meilleur des deux : il fabriquait un produit que des millions de gens utilisaient et il créait une culture interpersonnelle intensément tournée vers des idées et des résultats plutôt que vers des subtilités émotionnelles.
Pendant des années, Google s'est développé sous ce type de management.
Pour beaucoup d'employés, le climat combatif était un prix raisonnable à payer pour travailler dans cette entreprise. Même dans les cas où l'ambiance laissait des blessures, les idées solides étaient gagnantes. Dans "In The Plex", Steven Levy raconte l'histoire de la manière dont Google a embauché Wesley Chan en 2000. Chef de produit associé, il était chargé de créer ce que l'on appelle Google Toolbar, un moyen pour les utilisateurs d'effectuer une recherche sans avoir à ouvrir Microsoft Explorer. Wesley Chan s'imaginait que personne ne l'utiliserait parce qu'il n'était d'aucune utilité particulière. Il décida que l'outil pourrait aussi faire bloqueur de fenêtre publicitaires.
Il proposa l'idée à Larry Page lors d'une réunion.
"C'est la chose la plus bête que j'ai jamais entendue. D'où tu sors ?", protesta Larry Page.Toutefois, Wesley Chan était quelqu'un de courageux. Peu après, il installa en secret la barre d'outils améliorée sur l'ordinateur de Larry Page. Lorsque celui-ci signala plus tard devant une salle pleine qu'il avait moins de fenêtres publicitaires, Wesley Chan lui en donna la raison. La barre d'outils était lancée.
Finalement, Larry Page mit par écrit les règles relatives à l'encadrement :
· Ne pas déléguer. Faites tout ce que vous pouvez faire vous-même pour que ça aille plus vite.
· N'interférez pas si vous n'apportez rien. En fait, laissez les gens qui travaillent parler entre eux pendant que vous faites autre chose.
· Ne soyez pas un bureaucrate.
· Les idées sont plus importantes que l'âge. Ce n'est pas parce qu'on est jeune que l'on ne mérite pas le respect et la collaboration.
· La pire des choses que vous pouvez faire, c'est empêcher quelqu'un de faire quelque chose en disant : "Non. Un point c'est tout". Si vous dites "Non", vous devez l'aider à trouver un meilleur moyen d'y arriver.
Les subtilités d'interaction sociale n'étaient pas les seules règles que Larry Page se faisait un plaisir de violer.
En 1999, par exemple, la méthode utilisée par des grandes entreprises du Web telles qu'eBay, Yahoo et Google pour ajouter de l'espace à l'hébergement des serveurs était devenue une pratique assez routinière. Elles achetaient des serveurs et les mettaient dans des cages qu'elles installaient dans des entrepôts géants appartenant à des fournisseurs indépendants. Les sociétés d'entreposage s'acquittaient des frais liés à l'alimentation en électricité qui faisait fonctionner les serveurs et à l'air conditionné qui les gardait au frais. Les propriétaires des sites Web payaient l'emplacement au mètre carré. Larry Page pensait que si Google allait payer au mètre carré, il allait mettre autant de serveurs qu'il pouvait. Il a démonté les serveurs et a commencé à chercher des moyens de réduire leur taille. La première chose à faire ? Trouver tous les boutons "arrêt".
Il paraît qu'il a demandé pourquoi quelqu'un voudrait éteindre un serveur.
Débarrassé d'éléments inutiles et équipé de panneaux en liège pour empêcher les câbles de s'entremêler, Google développa des nouveaux serveurs ultraminces. Ils étaient horribles. Mais, à moyen terme, Google et son précoce concurrent Inktomi finiraient par payer le même prix pour l'hébergement des serveurs (1 500 serveurs pour Google et 50 pour Inktomi). Par conséquent, la recherche sur Google était beaucoup plus rapide et Inktomi, tout comme beaucoup d'autres concurrents de recherche de Google, s'est laissé distancer.
Malgré le succès éclatant de la gestion de Google pendant ses deux premières années (ou peut-être à cause de lui), Larry Page s'apprêtait à perdre son travail.
Dans la nature
Pendant la première moitié de 1999, Google connut un élan de popularité incroyable. Ce succès nécessita de nouveaux capitaux pour investir dans des nouveaux serveurs et dans du personnel en nombre grandissant. Mais Google ne faisait pas encore de bénéfices.
Alors que Larry Page et Sergey Brin commençaient à chercher de nouveaux investisseurs, Larry Page avait une exigence qui primait sur les autres : lui et Sergey Brin garderaient une majorité de droits de vote dans l'entreprise et le contrôle principal de Google.
D'abord, les investisseurs en capital-risque de la Silicon Valley se moquèrent du concept.
Google continua à croître et les rires s'estompèrent. Les deux entreprises en capital-risque les plus importantes de la Silicon Valley, Kleiner Perkins et Sequoia Capital, ne mirent pas longtemps avant d'investir pour un total de 25 millions de dollars aux conditions fixées par Larry Page.
Mais, les investisseurs avaient leurs propres exigences. En échange d'avoir permis à Larry Page et Sergey Brin de garder une participation majoritaire dans Google, ils voulaient que Larry Page, qui avait alors 26 ans, démissionne de son poste de PDG. Ils voulaient un encadrement adulte.
Comme Steven Levy l'a signalé, John Doerr, l'associé de Kleiner Perkins, assura à Larry Page qu'un PDG de niveau mondial ferait un "bien meilleur travail dans la création d'une équipe de management de niveau mondial".
Larry Page accepta. Google avait besoin d'argent.
Toutefois, quelque mois après la conclusion de l'accord, alors que les investisseurs ne pouvaient plus reculer, Larry Page appela John Doerr et confia à l'investisseur en capital-risque que lui et Sergey Brin avaient changé d'avis.
"En fait, nous pensons que nous pouvons tous les deux diriger l'entreprise", ajouta-t-il.
Larry Page a toujours voulu tout contrôler. Un ami d'université confia à Steven Levy que même à l'époque où ils étaient à l'université du Michigan, Larry Page "voulait avoir le contrôle et était paranoïaque" parce qu'il "voulait s'assurer que tout était fait comme il fallait".
En 1998, Larry Page et Sergey Brin décidèrent d'amener les huit employés de Google en sortie collective de ski au lac Tahoe. Au moment de louer une camionnette, ils s'aperçurent qu'ils pouvaient économiser 2,50 dollars par jour s'ils choisissaient un seul chauffeur. Larry Page se désigna. Il conduisit tout le temps pendant que les autres à l'arrière jouaient aux maths.
Pour Douglas Edwards, c'était un fait : "Larry Page n'allait pas mettre sa vie entre les mains de quelqu'un d'autre".
La vérité, c'est que Larry Page pensait qu'il n'avait besoin d'aucune aide pour diriger Google, du moins pas au-delà de l'aide que lui apportait Sergey Brin, et c'est ce qu'il soutint à son nouvel investisseur.
John Doerr s'énerva. Pour lui, il était évident que Larry Page n'était pas prêt à diriger un grand groupe et la manière dont il avait exprimé son point de vue n'était pas encourageante.
Il suggéra que Larry Page rencontre tout un tas de PDG de grandes entreprises de technologie (Steve Jobs d'Apple, Andy Grove d'Intel, Jeff Bezos d'Amazon) et leur pose des questions sur leur travail. John Doerr pensait que Larry Page serait convaincu qu'il pouvait avoir besoin d'aide.
Aussitôt, Larry Page fut d'accord.
Une fois les rencontres terminées, il appela John Doerr et lui apporta des nouvelles surprenantes. Il était convaincu qu'après tout Google pouvait avoir un PDG, mais uniquement si ce PDG était Steve Jobs.
Il était évident que cela n'arriverait jamais, mais John Doerr était content d'apprendre que Larry Page pensait qu'il y avait quelqu'un au monde qui pouvait être utile à Google. Ils commencèrent ensemble à faire passer des entretiens à d'autres candidats. John Doerr présenta Larry Page et Sergey Brin à Eric Schmidt, PDG de Novell.
Eric Schmidt convenait à Larry Page. Contrairement à la plupart des cadres, Eric Schmidt avait été programmeur. En fait, des années auparavant, il avait écrit le code d'un logiciel que Google utilisait encore. Sergey Brin aimait Eric Schmidt parce qu'il était un "brûleur", un participant du festival psychédélique annuel Burning Man dans le désert du Nevada.
Google engagea Eric Schmidt. Il rejoignit l'entreprise en tant que président en mars 2001 et devint PDG en août.
Larry Page s'en accommoda mais ça ne le satisfit pas. Il se faisait du souci pour sa position dans la nouvelle hiérarchie (son titre devait être "président aux produits") et il commença même à se demander s'il n'était pas devenu inutile à l'entreprise qu'il avait fondée.
C'est lors de cette période incertaine, en juillet 2001, que Larry Page entraîna Google à travers sa réorganisation d'ingénieurs mal conçue, prouvant immédiatement à la plupart des observateurs que John Doerr avait raison depuis le début.
Il se peut que la démarche de Larry Page provienne d'un motif différent : se débarrasser des managers qui pourraient, au final, faire un rapport à Eric Schmidt. Il se peut que cela ait laissé croire qu'il s'agissait d'un moyen pour Larry Page de garder le contrôle.
Google avait fait du chemin avec Larry Page depuis le temps où il gérait l'entreprise comme un jeu de hockey associé à une soutenance de thèse. Mais mine de rien, les employés de Google étaient ravis d'avoir maintenant à la tête des réjouissances quelqu'un au style plus habile et empathique.
C'est pour cela qu'Eric Schmidt a été embauché
Pendant les années qui ont suivi, Google s'est développé et est devenu un énorme commerce mondial.
Toujours en concertation avec Larry Page et Sergey Brin, Eric Schmidt préservait un certain équilibre. Il embaucha une équipe de cadres, construisit une force de vente et introduisit Google en Bourse.
Tout le monde chez Google considère encore Larry Page comme le grand patron. Il ratifie chaque embauche et le jour où Google est entré en Bourse le 19 août 2004, c'est sa signature qui a transformé des centaines de gens en millionnaires ainsi que Larry Page lui-même.
Mais, petit à petit, Larry Page devint un personnage plus lointain, plus isolé. Pour utiliser une métaphore des premières années de Google, Larry Page ne conduisait plus la camionnette. Il avait embauché un chauffeur et il rêvassait à l'arrière du véhicule.
Ce fut une lente retraite. Pendant les premières années, Larry Page garda une main de fer sur le développement des produits de Google.
Un des premiers efforts d'Eric Schmidt après être arrivé en tant que PDG en août 2001 fut de convaincre Larry Page qu'il était nécessaire pour Google d'embaucher un vice-président pour la gestion des produits. Larry Page pensait que le poste était superflu.
Néanmoins, Eric Schmidt le persuada d'embaucher Jonathan Rosenberg qui venait d'Excite@Home, une startup de haut niveau massivement financée qui a fait faillite à la fin des années 90.
Mais, ce n'est pas uniquement parce que Jonathan Rosenberg avait obtenu le poste et avait le titre que ça voulait dire que Larry Page allait lui faire de la place chez Google.
"J'arrivais en réunion du personnel avec mon ordre du jour structuré, la recherche de marché que nous avions besoin de faire, la feuille de route sur un et deux ans que nous avions besoin de développer et Larry Page, en gros, nous ridiculisaient", a témoigné plus tard Jonathan Rosenberg auprès d'un journaliste.
Jonathan Rosenberg avait également eu des difficultés à embaucher des chefs de produits. Il continuait d'amener les meilleurs diplômés en programmes de MBA d'Harvard et Stanford et Larry Page continuait de décliner.
Finalement, Jonathan Rosenberg interrogea Larry Page sur ce qui n'allait pas.
Larry Page lui demanda de cesser de dire aux ingénieurs ce qu'ils devaient faire et de cesser d'embaucher d'autres personnes qui n'étaient pas des ingénieurs qui leur disaient également ce qu'ils devaient faire.
Une des plus proches amies de Larry Page chez Google, Marissa Mayer, cadre prometteuse, mit finalement la puce à l'oreille de Jonathan Rosenberg, comme le raconte Steven Levy. Il devrait arrêter d'essayer d'embaucher des diplômés en MBA en tant que chefs de projet et commencer à embaucher des diplômés en informatique avec une participation dans l'entreprise.
La seule façon pour Larry Page de lâcher du lest et de permettre l'arrivée d'un palier de gestion entre lui et les ingénieurs de Google était que ce palier de gestion soit composé d'autres ingénieurs.
Jonathan Rosenberg écouta son conseil et ça marcha. Bientôt, Google eut une armée de chefs de produits. Larry Page avait fait un pas en arrière.
Ayant passé quelques années de sa carrière chez Google, Jonathan Rosenberg rencontra la mère de Larry Page. Son fils lui faisait visiter le campus.
"Que fait-il comme travail ?" demanda la mère de Larry Page à propos de Jonathan Rosenberg.
"Eh bien, au début je n'étais pas sûr, mais j'ai décidé que maintenant il est la raison pour laquelle parfois j'ai du temps libre", riposta Larry Page.
Le lent processus
Cela ne veut pas dire que Larry Page n'a jamais cessé de vérifier, approuver et contribuer aux produits de Google.
Avec Sergey Brin, Larry Page contrôlait la majorité des actions avec droits de vote de l'entreprise. Au fond, l'endroit lui appartenait et travailler sur des produits l'intéressait de la même manière que passer des contrats avec les gens ne l'intéressait pas. De plus, il était très fort pour ça.
Avant que Google lance Gmail en 2004, son créateur, Paul Buchheit, l'amena pour un compte-rendu dans le bureau ouvert en forme de cabine de Larry Page.
Alors que Paul Buchheit lançait pelait le programme sur l'ordinateur de Larry Page, le chef fit une grimace.
"C'est trop lent", souligna Larry Page.
Paul Buchheit n'était pas d'accord. Il disait que ça se chargeait bien.
"Non, insista Larry Page. Il a fallu 600 millisecondes à la page pour se charger".
"Comment pouvez-vous le savoir ?", remarqua Paul Buchheit. Mais, lorsqu'il retourna à son bureau, il regarda le journal du serveur. Il avait fallu exactement 600 millisecondes à Gmail pour se charger.
Larry Page gardait une voix décisive lors de grosses initiatives stratégiques comme l'offre à des milliards de dollars concernant le spectre du sans fil et son acquisition à 1,65 milliards de dollars du site de partage vidéo YouTube en 2006.
Mais les gens de chez Google avaient le sentiment que Larry Page était moins impliqué dans le management quotidien de l'entreprise.
Lorsqu'Eric Schmidt avait de grandes réunions avec ceux qui lui rendaient directement compte, un groupe qui s'appelait le comité d'exploitation (Operating Committee ou OC), Larry Page faisait son apparition mais il avait en permanence un ordinateur portable ouvert devant lui. Sergey Brin faisait de même.
Aucun ne participait à la réunion jusqu'à ce qu'Eric Schmidt dise quelque chose du genre : "Eh les gars, puis-je avoir maintenant votre attention" ? Alors, Larry Page ou Sergey Brin levaient la tête et donnaient un avis tranchant sur le sujet. Typiquement, Larry Page mettait son grain de sel tout en regardant fixement dans un coin de la salle.
Parfois, Larry Page s'agitait un peu plus et Eric Schmidt l'arrêtait avec précaution en disant : "On t'a entendu, Larry, merci".
Sur certains points, l'avis de Larry Page était simplement ignoré. Par exemple, une fois Google était devenu le site publicitaire le plus prospère. Larry Page décida qu'il devait détruire l'industrie de la publicité. Selon lui, il était évident qu'il s'agissait d'un système très inefficace qui pouvait disparaître grâce à la technologie. Non seulement l'entreprise choisit de ne pas entrer dans ce combat, mais Eric Schmidt et ses cadres supérieurs de la division publicitaires, Tim Armstrong et Sheryl Sandberg, firent de leur mieux pour s'assurer qu'aucun des nombreux et importants clients d'agences publicitaires aient vent des idées de Larry Page sur le sujet.
Au fil du temps, Larry Page apprit à beaucoup apprécier les points forts d'Eric Schmidt. L'objectif de Larry Page était d'inventer quelque chose qui rendait le monde meilleur et qu'il soit commercialisé de manière correcte. Google Search avait certainement atteint le premier objectif et Eric Schmidt avait joué un rôle énorme dans la création d'une entreprise qui pouvait financièrement tirer profit de l'idée de Larry Page. Il ne ressemblait pas aux vauriens qui avaient tourmenté la vie de Nikola Tesla.
Alors qu'avec Eric Schmidt il se sentait plus à l'aise, Larry Page prenait davantage de recul.
En 2007, il décida qu'il assistait à trop de réunions. Il avait tendance à refuser ces sollicitations, mais les cadres de Google qui voulaient sa contribution avaient trouvé un moyen de contourner le problème : envoyer directement ses convocations aux réunions à ses assistants qui remplissaient scrupuleusement son agenda. Alors, Larry Page se débarrassa de ses assistants. Quiconque souhaitait le rencontrer était obligé de le traquer jusqu'à son bureau chez Google. Dans cette situation, ses carences sociales de longue date lui servaient bien. Il était fort pour renvoyer les gens avec un air d'approbation amical tout en continuant à marcher.
Il en avait aussi assez de répondre à des questions. En 2008, Larry Page annonça à l'équipe de communication de Google que cette année, ils pourraient obtenir huit heures de son temps en tout et pour tout. Pourquoi devrait-il s'adresser au monde extérieur ?
C'était le travail d'Eric Schmidt.
Peut-être pouvons-nous aller plus loin
Un jour, fin 1998, la première directrice des ressources humaines de Google, Heather Cairns, attrapa Larry Page et Serge Brin en train de jouer aux Lego dans le garage de l'entreprise.
"Mais qu'est-ce que vous faites ?", demanda-t-elle de manière effrontée mais sympathique. L'engin face à Larry Page sur la table avait des bras robotisés avec des roues en caoutchouc au bout.
"Nous essayons d'imaginer comment tourner la page d'un livre sans utiliser une main humaine, expliqua Larry Page. Un jour, nous mettrons sur Internet toutes les publications qui existent dans le monde afin que tous y aient accès".
"Certainement, répondit Heather Cairns, certainement".
Peu de temps après, Larry Page passa une journée entière dans Palo Alto à conduire avec une petite caméra de poche. Il conduisait sur quelques mètres, s'arrêtait et prenait quelques photos. Puis, il redémarrait sur quelques mètres supplémentaires et recommençait. Il rentrait à la maison et téléchargeait les photos sur son ordinateur. Ce qu'il vit le convainquit que sa dernière grande idée était réalisable. Google installa un certain nombre de caméras sur un certain nombre de voitures et photographia tout le long chaque rue dans le monde. Le résultat aboutirait à une représentation digitale et consultable de tout le monde physique (ou de ses parties les plus pertinentes), disponible en ligne.
Au cours des années Eric Schmidt, les livres et le projet photos devinrent tous deux des produits Google populaires. Google Books, lancé en 2003, a embrassé 20 millions de volumes, et il continue à progresser. Google Street fut lancé en 2007. A compter de 2014, il rendit visible chaque artère des 50 pays à partir de presque chaque navigateur Web de la planète.
Même lors des premiers jours de Google, Larry Page a toujours voulu que l'entreprise soit plus qu'un simple moteur de recherche de base. Depuis qu'il était enfant, il rêvait à des plans qui changeraient le monde. Lorsqu'il était étudiant à l'université du Michigan, il proposait que le système de bus soit remplacé par quelque chose qu'il appelait PRT (personal rapid transit system ou transport personnel automatisé), essentiellement un monorail sans chauffeur avec des wagons séparés pour chaque utilisateur. Plus tard, à Stanford, il bombarda de questions son professeur, Terry Winograd, avec des idées qui ressemblaient aux projets ultérieurs de Nikola Tesla. L'une d'entre elles concernait la construction d'une très longue corde qui partirait de la surface de la terre et serait placée en orbite, rendant la conquête spatiale moins onéreuse. Une autre proposition requérait des cerfs-volants solaires qui amèneraient l'énergie de l'espace.
Avec Google qui maintenant faisait des profits issus de la publicité et Eric Schmidt qui gérait sa croissance, Larry Page commença à réaliser que, finalement, il était dans une position lui permettant de faire de ses idées une réalité.
En 2005, une des idées de Larry Page fut d'installer des ordinateurs portables avec un accès à Google dans la poche de chaque personne sur la planète. Alors, cette année, Larry Page orienta le développement de l'entreprise Google vers l'achat d'une petite startup avec la même énorme ambition ridicule. Il s'agissait d'Android. Son PDG et cofondateur était Andy Rubin, un ancien cadre de chez Apple qui avait aussi développé un téléphone connecté à Internet autrefois célèbre mais qui a échoué, du nom de Sidekick.
L'acquisition d'Android fut une œuvre de Larry Page. Il mit Eric Schmidt au courant de la transaction (qui coûta à l'entreprise environ 50 millions de dollars) une fois celle-ci réalisée. Sergy Brin était au courant mais ça ne l'intéressait pas plus que ça.
Larry Page mit en place Android en tant qu'entité à part. Elle était uniquement une partie de Google de manière nominative et il donna à Andy Rubin la latitude complète pour la gérer sans interférence de la maison mère. Android possédait même son propre bâtiment. Le badge des employés de chez Google ne leur permettait pas d'y avoir accès. Eric Schmidt agissait essentiellement comme si Android n'existait pas, surtout parce que 50 millions de dollars sortis du paquet d'argent monstrueux que possédait Google n'était pas suffisant pour qu'il s'en inquiète s'ils avaient été bien dépensés.
En ce qui le concerne, Larry Page transforma Android en un projet passionnant. Il passa un temps énorme avec Andy Rubin, tellement que souvent il se sentait coupable de ne pas s'occuper de plus près de Google. Une fois encore, c'était du ressort d'Eric Schmidt.
Pendant les deux années qui suivirent, Andy Rubin développa un système d'exploitation mobile qu'il pensait être à la pointe de la technologie.
Ensuite, lors d'un voyage à Las Vegas en 2007, alors qu'il était dans un taxi, Andy Rubin ouvrit son ordinateur portable pour regarder Steve Jobs présenter la version d'un téléphone connecté à Internet pour Apple.
C'était l'iPhone et il était incroyable.
"Zut ! pensa-t-il. Il va falloir refaire la conception de notre téléphone".
Andy Rubin demanda à son chauffeur de taxi de se garer afin de pouvoir regarder le reste de la présentation de Steve Jobs.
Environ un an plus tard, en septembre 2008, T-Mobile lança le G1, le premier téléphone utilisant le logiciel développé par l'équipe d'Andy Rubin. Le système d'exploitation ressemblait et fonctionnait comme une imitation de l'iPhone. Mais, il s'agissait d'une bonne imitation dont l'installation était gratuite pour les fabricants de téléphones.
Le système d'exploitation proliférait alors que les fabricants se dépêchaient de s'adapter à Apple et que les fournisseurs d'accès essayaient de rester compétitifs avec AT&T, l'unique réseau à proposer l'iPhone. Au deuxième trimestre de 2009, les téléphones fonctionnant sous Android représentaient 1,8% des ventes. Lors du même trimestre de 2010, les ventes d'Android représentaient 17,2% du marché, devant Apple qui possédait 14%. Bientôt, Android deviendrait le système d'exploitation le plus célèbre au monde.
En 2010, Larry Page avait joué un rôle clé dans la création de deux technologies omniprésentes qui avaient probablement amélioré la vie des gens de par le monde. Google, qui avait démarré son existence en tant que projet de thèse, avait aidé à faire de l'Internet un outil infiniment plus puissant pour les utilisateurs de tous les jours. Puis, sans encadrement adulte, Larry Page encourageait le développement d'Android. Maintenant, Android faisait des smartphones une denrée tellement bon marché que ce n'était qu'une question de temps jusqu'à ce que tout le monde sur la planète possède un ordinateur connecté à Internet.
La réalisation d'un tel deuxième succès retentissant, cette fois en tant que manager, donna à Larry Page une énorme confiance en ses propres capacités de gestion. Il était suffisamment conscient pour se rendre compte qu'au début de sa carrière il n'avait pas assez délégué. Il était heureux de constater qu'il avait été capable de le faire avec Andy Rubin.
Larry Page a toujours eu des problèmes pour faire confiance aux gens. Ça changeait. Peut-être était-ce parce que maintenant il avait une famille. Lors d'un discours de remise des diplômes à l'université du Michigan, il parlait de son père, de sa mère, de sa nouvelle épouse Lucy Southworth et de leur enfant. "Tout comme moi, vos familles vous ont amenés ici, et vous les avez amenées ici. Gardez-les près de vous et souvenez-vous : ce sont elles qui comptent vraiment dans la vie".
Alors qu'Android était prospère et que Larry Page avait mûri, le cœur de métier de Google construit autour de la recherche et de la publicité s'épanouit sous la direction d'Eric Schmidt. En 2010, Google avait une capitalisation boursière de 180 milliards de dollars et 24 000 employés. C'était une grosse entreprise.
Elle connaissait également les problèmes des grosses entreprises. Claire Cain Miller, journaliste au New York Times, en a détaillé plusieurs d'entre eux dans un article de novembre 2010 intitulé "Google se développe et travaille à conserver les esprits les plus imaginatifs".
Dans son récit, Claire Cain Miller cite plusieurs employés et anciens de Google qui affirment que l'entreprise était devenue trop bureaucratique et s'était trop développée. Elle écrit que Google avait pour habitude de limiter à 10 les groupes d'ingénieurs qui travaillaient sur des projets, mais ce chiffre avait récemment augmenté à 20 ou même 40. "Pire", d'après elle, "les ingénieurs disent qu'ils ont été incités à fabriquer moins de nouveaux produits et à se concentrer sur l'amélioration des produits existants".
Un chef de projet lui a raconté qu'il savait qu'il était temps de quitter Google à cause de toutes les personnes qu'il devait mettre en copie de ses e-mails. Selon lui, il existait une catégorie de personnes capable de fuir cet argent relativement facile et conséquent à cause de leur mécontentement lié à de tels procédés.
Un autre chef de projet a assuré à Claire Cain Miller qu'il pensait partir parce que travailler chez Google voulait dire travailler sur des produits qui ont une très faible exposition au public.
Claire Cain Miller a même cité Eric Schmidt disant qu'il s'inquiétait de la situation.
"Il fut une époque où trois personnes chez Google pouvaient créer un produit de classe internationale et le livrer. Cette époque est révolue", raconte Eric Schmidt dans le livre.
Lorsque l'article de Claire Cain Miller est sorti, Eric Schmidt était furieux. Un porte-parole de Google téléphona au journal et exigea qu'elle soit écartée (elle ne l'a pas été).
En 2010, en plus de la bureaucratie, le Google d'Eric Schmidt dû également faire face à un autre problème relatif à une grande entreprise : Facebook.
En 2007, un chef de projet du nom de Justin Rosenstein quitta Google pour aller chez Facebook. Il écrivit alors une note à ses anciens collègues en décrivant Facebook comme le "Google d'hier... cette entreprise qui est sur le point de changer le monde, encore assez petite où chaque employé a un impact immense sur l'organisation".
En 2010, 142 des 1 700 employés de Facebook étaient des réfugiés de Google.
Parmi les cadres supérieurs de Google, l'âge de l'entreprise était ressenti de manière différente. Eric Schmidt n'avait jamais entièrement changé la manière contradictoire et houleuse avec laquelle les décisions étaient prises au sommet pendant l'ère de Larry Page. Une décennie plus tard, les affrontements à répétition avaient transformé les cadres en des rivaux amers qui refusaient presque de travailler les uns avec les autres.
A l'automne 2010, Larry Page ressentit toutes ces faiblesses chez Google. Il flaira également un autre problème qui lui semblait bien plus inquiétant : sous la houlette d'Eric Schmidt, l'entreprise avait perdu de ses ambitions.
En 2009, Google fit des bénéfices pour un montant de 6,5 milliards de dollars et possédait 20 000 employés. Larry Page regarda ces chiffres et pensa : "Nous avons tout cet argent, nous avons tous ces gens. Pourquoi ne faisons-nous pas plus de choses ?"
Il ne put s'empêcher de penser que la seule vraie dernière chose importante que Google avait fait récemment c'était Android qui, aux yeux d'Eric Schmidt, ne présentait pas d'intérêt.
Larry Page était heureux en couple et était plus ou moins en dehors de la sphère publique. Il profitait dans les coulisses de sa vie de visionnaire leader de Google. Mais, il commençait à se demander si Eric Schmidt était la bonne personne pour mener l'entreprise vers l'avenir.
Vers la fin de cette année, Larry Page eut un entretien avec Steven Levy pour son livre "In the Plex". Le journaliste lui demanda s'il espérait redevenir PDG. Ce dernier lui donna une réponse mièvre : "J'ai vraiment aimé ce que j'ai fait, répondit-il. Je pense être capable de changer beaucoup de choses de manière positive, ce qui me fait me sentir vraiment bien, et je ne vois pas la possibilité de changer cela".
Puis, il se leva et quitta la pièce. L'entretien était terminé.
Pourtant, une minute plus tard, il revint. Il s'adressa à Steven Levy en ces termes : "J'avais le sentiment que les gens ne travaillaient pas assez sur l'efficacité". Pour lui, "Google ne se donnait pas les moyens d'y arriver".
Larry Page admettait que la recherche-publicité avec ses marges folles et sa croissance durable était exactement le genre de machine à faire de l'argent que son héros Nikola Tesla aurait utilisé pour financer ses rêves les plus fous. Aujourd'hui, il avait la chance de faire les choses différemment. Voir Google travailler sur des choses sans ambition le rendait dingue.
Lorsqu'il donna ce discours de remise des diplômes à l'université du Michigan en 2009, la frustration était perceptible dans la voie de Larry Page. Il raconta aux diplômés son voyage en Inde quelques années auparavant. Ils visitaient un village pauvre où les eaux usées dévalaient les rues. Larry Page annonça que les eaux usées étaient infectées par la polio, la même maladie qui tua son père.
"Si la polio avait persisté, il en aurait été très contrarié, même si nous avions un vaccin" affirma Larry Page. "Le monde est sur le point d'éliminer la polio, avec 328 personnes infectées jusqu'à présent cette année. Réglons cela rapidement".
A l'automne 2010, les frustrations de Larry Page éclatèrent au grand jour lors d'une réunion concernant l'analyse de produits. Eric Schmidt, Sergey Brin, Larry Page et les cadres supérieurs en charge des produits chez Google étaient présents, accompagnés de leurs personnels sénior respectifs. Comme d'habitude, Larry Page s'assit tranquillement à la table en regardant son téléphone. Devant, un cadre présentait un nouveau produit pour aider les utilisateurs à trouver, hors connexion, le bon magasin pour faire leurs courses.
Le cadre était en plein discours lorsque, tout à coup, Larry Page l'interrompit : "Non, dit Larry Page avec emphase, on ne fait pas ce genre de choses".
La salle fit le silence.
"Nous fabriquons des produits qui exploitent la technologie pour résoudre de gros problèmes pour des centaines de milliers de gens".
Il continua : "Regardez Android, Gmail, Google Maps, Google Search. C'est ça que nous faisons. Nous fabriquons des produits sans lesquels il est impossible de vivre".
"Ce n'est pas fini".
Larry Page ne criait pas, il n'en avait pas besoin. Le message était haut et clair.
Ce mois de décembre-là, Larry Page, Sergey Brin et Eric Schmidt se réunirent pour parler.
Lors de la présentation des résultats de Google le 20 janvier 2011, Eric Scmidt annonça que pour lui, c'était terminé en tant que PDG. Le poste revenait à Larry Page.
Eric Schmidt, qui devint président exécutif, envoya un tweet plus tard dans la journée : "Encadrement adulte terminé".
Un Larry Page différent
Larry Page accepta le poste de PDG avec une rapide détermination.
D'abord, il réorganisa les postes de direction de l'entreprise. Il prit une poignée des divisions produits les plus importantes de l'entreprise, y compris YouTube, Ads et Search et mit un manager du style PDG au-dessus de chacune d'entre elles. Larry Page voulait reproduire la réussite qu'il avait eue avec Andy Rubin chez Android.
Alors, Larry Page et Google répondirent finalement à la menace de Facebook avec leur propre réseau social, Google+.
A la fin de ce premier été, Google avait reconçu tous ses produits en leur donnant une apparence unique et cohérente.
En 2012, Larry Page dépensa 12,5 milliards de dollars dans le rachat de Motorola, principalement pour l'acquisition de brevets destinés à protéger Android contre des procès venant d'Apple et autres.
Google se dirigea vers le matériel en dévoilant Chromebook, un ordinateur portable fonctionnant sous le système d'exploitation Android et un ordinateur futuriste connecté que les utilisateurs pourraient porter comme des lunettes, les Google Glass.
Fin 2012, Google commença à installer des câbles Internet à fibre optique à Kansas City, donnant à tout le monde un accès Internet gratuit 100 fois plus rapide que le haut débit.
Ces démarches surprirent le monde entier mais pas ceux qui connaissaient Larry Page. Depuis qu'il était enfant, il avait de grands et improbables rêves et faisait tout ce qu'il pouvait pour les rendre réels aussi vite que possible.
Toutefois, ce ne fut que plus tard que ceux qui travaillaient en proche collaboration avec Larry Page virent clairement à quel point il avait changé pendant ces années loin du cœur de l'action.
En février 2013, les cadres de Google de par le monde se rassemblèrent au Carneros Inn, un hôtel rustique dans les vignes vallonées de Napa Valley. C'était la retraite annuelle top secrète de deux jours des cadres.
Parmi les participants se trouvaient Susan Wojkicki, chargée des activités publicitaires chez Google, Andy Rubin, directeur d'Android, Salar Kamangar, PDG de YouTube, Sundar Pichai, à la tête de la division de Google Chrome et Vic Gundotra, le patron de Google+. Chacun amena les membres sénior de son personnel.
Le premier jour de la retraite, tout le monde se rassembla dans la salle de bal aux rideaux blancs de Carneros Inn pour assister à un discours de Larry Page.
De sa voix rauque, il annonça à l'assemblée que les ambitions de Google étaient incroyablement élevées mais que ses objectifs ne seraient jamais atteints si les gens présents dans la salle n'arrêtaient pas de se bagarrer. A partir de maintenant, Google aurait une "tolérance zéro pour ceux qui se bagarrent". Larry Page reconnut que l'entreprise, dans ses plus jeunes années, avait exigé de ses dirigeants d'être agressifs les uns envers les autres. Lui-même, sans doute, avait-il été le plus agressif d'entre eux.
Mais il s'agissait du temps où les problèmes de Google étaient linéaires, par exemple le besoin de développer la part de marché de tous ses produits, de zéro à la victoire. Aujourd'hui, avec Google qui se trouve mondialement en tête dans la plupart des catégories de produits pour lesquels elle est en concurrence, l'entreprise faisait face à ce que Larry Page appelle des problèmes "n au carré". Google avait besoin de se développer 10 fois plus. L'entreprise avait besoin de créer des nouveaux marchés, de résoudre des problèmes d'une manière pas encore imaginée. Pour résoudre des problèmes "n au carré", les cadres de Google allaient devoir apprendre à travailler ensemble.
Tous furent surpris par ce discours, particulièrement les plus anciens. Depuis l'époque à laquelle Larry Page et Sergey Brin qualifiaient chacune des idées qu'ils n'aimaient pas de "stupide", pour ne pas dire "mauvaise". Le combat, c'était la manière de fonctionner chez Google.
Certains d'entre eux se souvenaient de ce jour de juillet 2001 lorsque Larry Page avait insulté et renvoyé une poignée de chefs de projets devant tous leurs pairs. Mais, lorsque ce jour-là les participants dans la salle de bal de Carneros Inn regardèrent Larry Page, ils virent quelqu'un de très différent du gosse qui avait construit le premier rack de serveur dans son dortoir. Les cheveux de Larry Page étaient devenus gris. Il avait grossi, comme un homme d'âge mûr. Suite à la paralysie d'une corde vocale, sa voix était rocailleuse et fatiguée.
Comprendre chaque besoin
Le 19 mars 2014, Larry Page donna une interview lors d'une conférence TED à Vancouver au Canada. Lors de son allocution, Larry Page et son interviewer, Charlie Rose, étaient assis sur des chaises hautes sur la scène, séparés par une table.
L'interview était essentiellement préparée. Larry Page, sa conseillère en relations publiques Rachel Whetstone et sa directrive marketing Lorraine Twohill avaient passé la veille à travailler sur la présentation dans un hôtel de Vancouver.
Maintenant, Larry Page et Charlie Rose regardaient un écran géant situé derrière la scène. Sur l'écran, il y avait un match de boxe sur jeu vidéo. Un des boxeurs avait coincé l'autre dans un coin et cognait sans pitié sur son adversaire.
Le boxeur qui gagnait était dirigé par un programme d'ordinateur à intelligence artificielle créé par Google.
Larry Page expliqua à Charlie Rose qu'il s'agissait de l'avenir de Google. Larry Page souligna que toute l'intelligence artificielle de Google pouvait "voir" les mêmes pixels sur l'écran qu'un joueur humain. Elle avait appris à jouer toute seule. Larry Page s'exclama : "Regardez comme elle se débrouille bien. Imaginez si cette sorte d'intelligence était envoyée sur votre calendrier".
Charlie Rose, enthousiaste mais un peu perdu, gloussa. De même, l'assemblée n'avait aucune idée où Larry Page voulait en venir. Les répétitions n'avaient pas marché et ce n'était la faute ni de Rachel Whetstone, ni de Lorraine Twohill.
En termes de capacité à se connecter aux autres humains, Larry Page a fait du chemin depuis cette journée de maladresses en juillet 2001. Mais, il n'est toujours pas très fort lorsqu'il s'agit de s'exprimer en public. Le fond est là, mais il est enseveli sous un bric-à-brac de phrases à moitié finies et d'interminables discours. Larry Page n'est pas Steve Jobs. Il n'est même pas Mark Zuckerberg. C'est pourquoi, le public n'a fondamentalement pas conscience de ce que Google et Larry Page veulent exactement faire.
Alors que Larry Page entame sa quatrième année consécutive à la tête de Google, l'entreprise est dans une forme fantastique. Le cours est au-dessus de 700 dollars et il n'est pas difficile d'imaginer un jour où le chiffre d'affaires de Google sera de 100 milliards par an.
Et pourtant, Larry Page croit que l'entreprise est confrontée à une question existentielle : est-ce que Google peut proposer autre chose de fantastique après Google Search ?
Entre Google Search et Android, Larry Page et Google peuvent se vanter d'avoir créé deux plateformes technologiques utilisées dans le monde entier par des milliards de gens.
Mais Google offre Android gratuitement. La contribution d'Android à Google est qu'il met Google Search et Google Search Ads dans la poche de millions de gens à travers le monde. A cet égard, il ne s'agit pas du tout d'une nouvelle activité pour Google, c'est simplement une extension de l'activité principale de Google. 90% du chiffre d'affaires de Google provient encore de la publicité, 70% des revenus globaux de Google proviennent encore de Search Ads.
Le danger pour Google c'est que finalement (pas cette année, pas cette décennie, mais inévitablement) ce soit tellement énorme qu'elle s'empare de presque tout l'argent que n'importe quelle entreprise sur la planète dépense dans le marketing. Aussi fou que cela puisse paraître, c'est plausible. Le chiffre d'affaires de Google est déjà plus important que tout l'argent que les vendeurs dépensent dans la publicité des magazines et des journaux réunis. Elle possède déjà tout, sauf la plus petite partie du marché de la publicité en ligne. Google Search n'a plus de place pour se développer.
Pour Larry Page, cela veut dire que maintenant, il passe trop de temps à se demander ce que l'avenir sera et comment Google va le créer.
Il a beaucoup d'idées et, maintenant qu'il a retrouvé sa place, il a des ingénieurs qui s'y attèlent.
Il n'a jamais renoncé au système de transport qu'il avait présenté à l'université du Michigan. Actuellement, il a des ingénieurs qui travaillent sur les voitures sans chauffeur.
Puis, il y a l'intelligence artificielle. En plus de dominer les jeux vidéo, celle de Google était également capable de visionner l'ensemble du contenu de YouTube, tirer les enseignements et dessiner le portrait d'un chat.
Il y a une filiale de Google appelée Calico qui travaille sur des solutions aux problèmes du vieillissement et de la mort.
Google a une autre filiale, Google Fiber Inc., qui relie les foyers de Kansas City, d'Austin au Texas et de Provo dans l'Utah avec un Internet 100 fois plus rapide que le haut débit. Il se peut que Google Fiber s'étende à neuf autres villes, y compris Phoenix dans l'Arizona, Charlotte en Caroline du Nord et Portland dans l'Oregon.
En 2013, Larry Page déplaça Andy Rubin, qui se trouvait à la tête d'Android, vers les robots et lui demanda de commencer à y travailler. Larry Page a imaginé un monde dans lequel les robots pourraient faire des choses telles que s'occuper des personnes âgées, remplir nos voitures sans chauffeur de provisions et de produits ménagers pendant que l'on travaille. A la fin de 2013, Google acheta l'entreprise Boston Dynamics qui fabrique des humanoïdes et des robots qui ressemblent à des animaux. Certains d'entre eux destinés à l'industrie militaire.
Toujours en 2013, Larry Page rencontra l'ancien cadre d'Apple, Tony Fadell, le concepteur de l'iPod, et le persuada de vendre à Google sa nouvelle entreprise, Nest, pour 3,2 milliards de dollars. Nest fabrique des thermostats connectés à Internet. En avril 2014, Google vient d'acheter Titan Aerospace, une entreprise qui fabrique des drones.
Chez Google, ils appellent les grandes idées des "moonshots" (concepts créatifs, collaboratifs et innovants à long terme). Il y en a bien d'autres : cela va des montgolfières qui fournissent de l'accès au Web, aux projets pour produire des montres sous Android.
Larry Page admet que la diversité et le nombre d'idées rendent certains investisseurs de l'entreprise nerveux. Ils s'inquiètent : est-ce que Google peut rester concentré ou bien va-t-il s'éparpiller dans toutes les directions, poursuivant trop d'idées folles ? Car qui a réellement besoin d'un ordinateur qui peut battre un humain aux jeux vidéo ?
La réponse de Larry Page à ces inquiétudes est double. Premièrement, il pense qu'il sera plus facile pour Google de travailler sur des "moonshots" plutôt que sur des produits sans intérêt. Sa logique : moins de concurrence. Les meilleurs travailleront aussi chez Google parce que les meilleurs aiment travailler sur des projets ambitieux.
Deuxièmement, Larry Page affirme que ces projets font partie de l'offre faite au monde pour une meilleure recherche.
Au fil des années, Larry Page a proposé une large définition de ce que devrait être Google Search.
En 2012, il déclara à un journaliste que "le parfait moteur de recherches devrait comprendre vos besoins. Il devrait comprendre tout de manière approfondie et vous le rendre sous la forme exacte de vos besoins".
Lors de l'inauguration à la conférence Google de 2013, Larry Page affirma que dans le long terme "d'ici 50 ans", il espérait que le logiciel de Google soit capable de "comprendre vos connaissances, vos lacunes et comment organiser le monde de manière à ce qu'il puisse résoudre des problèmes importants".
Alors, dans l'esprit de Larry Page, si vous rentrez chez vous et que vous avez froid, votre montre bracelet Google effectuera une recherche pour comprendre pourquoi. Le résultat de la recherche fera que votre thermostat fonctionnant grâce à Google montera le chauffage.
De même, si vous êtes à cours de lait et que votre frigo Google indique à votre voiture sans chauffeur fonctionnant grâce à Google d'aller en chercher (sans aucun doute en payant avec votre porte-monnaie Google), il s'agira d'une fonction de recherche.
La clé pour comprendre la diversité des "moonshots" de Google c'est de comprendre que l'idée de Larry Page d'une "recherche parfaite" fonctionne uniquement si tous les produits avec lesquels vous interagissez sont compatibles les uns avec les autres.
Par exemple, le produit de recherche le plus avancé de Google aujourd'hui, Google Now, est capable de faire des choses telles que prévenir les utilisateurs d'Android qu'ils doivent partir tout de suite s'ils veulent éviter les bouchons et avoir leur avion à temps. Mais, cela est seulement possible grâce à son accès aux boîtes de réception des utilisateurs Android, Google Maps, Google Flight Search, Google Calendar et, bien sûr, les smartphones des utilisateurs.
Ainsi, alors qu'il semble fortuit pour Google d'entrer dans des secteurs aussi divers que les voitures, les thermostats, les robots et la production télévisuelle, il existe un objectif prédominant derrière tout ça : Larry Page envisage un monde où tout ce que nous touchons est connecté à un ordinateur artificiellement intelligent qui comprend et qui peut distinguer les schémas de nos activités et apprendre à anticiper nos besoins avant même de savoir que nous en avons. Larry Page a plusieurs fois annoncé qu'un jour, cette intelligence artificielle serait directement accrochée à notre cerveau, peut-être à travers un implant.
Si Larry Page était plus performant dans sa communication, certaines de ces idées feraient peur aux gens. Après tout, il est chaque année à la tête de milliards de dollars et peut en faire une réalité aussi vite que possible. Il a déclaré plusieurs fois que Google devrait employer 1 millions d'ingénieurs. Avec tout l'argent de Google, c'est effectivement possible.
La bonne nouvelle pour le monde c'est que, en développant une intelligence artificielle envahissante et connectée qui comprend et répond à nos besoins quotidiens, l'objectif de Larry Page n'est pas de profiter de nous.
C'est un utopiste passionné dans l'âme, quelqu'un qui croit que la technologie a rendu d'une manière écrasante la vie des humains meilleure et continuera seulement ainsi.
Lors d'une séance de questions-réponses à la conférence de Google de 2013, Larry Page a annoncé aux participants que dans l'avenir, les gens feront un retour en arrière sur la façon de vivre des gens d'aujourd'hui de la même manière que nous le faisons en ce qui concerne nos ancêtres qui passaient leur temps à chasser et à s'occuper de la ferme et qu'ils nous traiteront de "fous".
En 2014, Larry Page est en train de vivre une fin alternative à la biographie de Nikola Tesla qui l'a fait pleurer lorsqu'il avait 12 ans.
Au lieu de finir sa vie sans ressources et ignoré, Larry Page qui a seulement 41 ans, va passer la deuxième moitié de sa vie à déverser des milliards de dollars et des heures interminables dans ses rêves les plus fous.
En 2012, Larry Page a déclaré aux investisseurs de Google : "Tout ce que vous imaginez est probablement réalisable. Il vous suffit de le visualiser et d'y travailler".
Article de Nicholas Carlson. Traduction par Sylvie Ségui, JDN
Voir l'article original : The Untold Story Of Larry Page's Incredible Comeback