L'annonce de Trump de 500 milliards d'investissement en IA : un tournant majeur pour l'économie et la technologie américaine

L'annonce par Donald Trump d'un investissement sans précédent en infrastructures d'intelligence artificielle de 500 milliards $ représente un tournant majeur pour les États-Unis et pour le monde.

En effet, cette « promesse » du « plus grand projet d’infrastructure d’IA dans l’histoire »[1] sera financée avec le concours de trois des plus grandes entreprises technologiques américaines ; OpenAI, SoftBank et Oracle dans une co-entreprise nommée « Stargate ». Microsoft pour le Cloud et Nvidia pour les puces se joindront à cette nouvelle galaxie. Cette co-entreprise construira des centres de données à travers le pays pour « alimenter la prochaine génération d’IA ».

Cette décision entrainera dans son sillage tout l’écosystème des technologies numériques avec des impacts géostratégiques et économiques majeurs. Passons en revue les premiers effets et conséquences de cet investissement massif.

Une innovation technologique plus dynamique

Que ce soit l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle ou les réseaux de nouvelle génération qui imprègnent déjà nos vies au quotidien et notre économie, cet investissement permettra de libérer encore plus l’innovation dans ces domaines et stimulera la recherche et le développement. Les entreprises technologiques, les universités et les centres de recherche auront accès à des ressources accrues pour explorer de nouvelles frontières dans l'IA, voire des applications à l'IA quantique qui n'en est qu'à ses débuts mais reste très prometteuse.

Cet investissement, s’il est réalisé, encouragera la création de nouvelles start-ups spécialisées en IA, renforçant le dynamisme de l'écosystème technologique américain déjà bien constitué avec 49 startups américaines spécialisées dans l'IA qui ont franchi le seuil symbolique des 100 millions de dollars levés en 2024[2].

L’association entre l'informatique quantique et l'IA sera amplifiée pour aider à résoudre des problèmes trop complexes et mal appréhendés par l'IA traditionnelle, à traiter des données massives et contribuer à transformer des secteurs comme la santé, la finance ou la logistique.

En effet, l’investissent IA à venir, devrait avoir un impact important sur plusieurs secteurs clés de l'économie américaine. En particulier dans la santé, l’amélioration des diagnostics de certaines maladies et la reconnaissance automatique d’images associée à la puissance des algorithmes contribueront à des progrès spectaculaires en la matière. Autre exemple, dans le domaine de la cybersécurité, ces investissements renforceront la capacité des entreprises et du gouvernement à se protéger contre les cyberattaques et protéger l’économie et les citoyens. D’autres secteurs comme le transport ou l’agriculture sont en bonne position pour profiter de ce dynamisme.

 100.000 emplois créés malgré une pénurie des compétences

Le chiffre annoncé des 100.000 nouveaux emplois qui seront générés grâce à cet investissement dans l'IA tant dans la recherche que dans la mise en œuvre des technologies IA n’est qu’indicatif. Il recouvre des compétences diverses comme les ingénieurs, développeurs, data scientists, data analytics et architectes et d'autres nouveaux spécialistes de l'IA comme les cogniticiens ou les éthiciens. En contradiction avec une politique migratoire américaine qui devrait se durcir, les différents secteurs économiques américains ont besoin de recruter environ 400.000 nouveaux ingénieurs par an. Un paradoxe pour les Etats-Unis qui doivent concilier des promesses politiques de durcissement de l’immigration avec des besoins pressants en compétences dans un pays où la moitié des licornes, ces start-up valorisées à plus de 1 milliard de dollars, ont été fondées par des immigrés[3] !

La pénurie d’ingénieurs pour les dix prochaines années concernera essentiellement des postes en informatique, en génies industriel, civil et électrique, soit 186 000 postes vacants d'ici 2031[4].

Par ailleurs, des programmes de formation, de spécialisation et de reconversion professionnelle devront mis en place selon un dispositif pluriannuel afin de préparer de nouvelles générations de main-d'œuvre et répondre aux besoins de l’économie numérique. A moyen terme, le développement de parcours et cursus spécialisés en IA dès le niveau secondaire, malgré une certaine réticence d’une patrie de la classe politique américaine, est déjà en expérimentation pour préparer les jeunes aux prochaines mutations du marché du travail[5].

Rester le leader mondial de l’IA et de loin devant la Chine

OpenAI est déjà valorisée à 157 milliards de $[6] soit autant que LVMH et plus que TotalEnergies[7]. En investissant massivement dans l'IA, les États-Unis renforceront encore plus leur position en tant que leader mondial de la technologie ainsi que leur compétitivité industrielle. La secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo l’a annoncé sans aucune ambigüité ; "les États-Unis sont désormais leaders en matière d’IA, à la fois en matière de développement et de conception de puces, et il est essentiel que cela reste ainsi". En parallèle de ce plan d’investissement colossal, le gouvernement a dévoilé de nouvelles mesures pour restreindre les exportations de puces utilisées dans des applications d’IA. Il exige notamment des entreprises qu'elles obtiennent son autorisation pour exporter certaines informations sensibles sur leurs modèles d'IA ou pour mettre en place des installations informatiques dédiées à l'IA à l'étranger notamment en Chine. L’objectif est clair à savoir, éviter les adversaires ait accès aux dernières innovations en IA. Cela n’a pas empêché le chinois DeepSeek de mettre en place un grand modèle de langage (LLM) en open source et capable de raisonnement complexe comprenant 671 milliards de paramètres et revendiquant des performances supérieures à « o1 » d'OpenAI sur certains critères[8].

Un défi de plus pour une Europe divisée et dépassée

Même si l’Europe a pris conscience récemment de son retard et a lancé plusieurs initiatives pour stimuler la recherche et le développement en IA, notamment le programme Horizon Europe[9] 2021 à 2027, doté de 95,5 milliards d’€, ses efforts restent largement insuffisants. L’Europe a perdu beaucoup de temps à réguler et à légiférer à outrance des normes qui deviendront caduques rapidement tout en entrant dans un bras de fer sans garantie de succès avec les géants de la tech.

Le vote de l’IA Act[10] par le Parlement européen au mois de mars ne résoudra pas toutes les zones grises auxquelles il s’est attaqué, mais risque d’accroître un peu plus les exigences normatives auxquelles sont soumises les entreprises européennes. D’autant plus que Trump a déjà abrogé le décret de Biden sur les exigences de sécurité et de transparence pour les développeurs d’IA sur l'intelligence artificielle afin de limiter l’interventionnisme pour soutenir l’innovation.

L’Europe est bien prise en étau dans cette guerre commerciale ente les Etats-Unis et la Chine autour de l’IA et de ses composantes. Tantôt, ce sont les Américains qui annoncent des restrictions à l’exportation des puces utilisés pour l’IA et le contrôle de la diffusion des paramètres des modèles d’IA générative les plus perfectionnés[11], tantôt, ce sont les Chinois qui restreignent les exportations en gallium, germanium, antimoine et autres matériaux essentiels à la fabrication de semi-conducteurs, de batteries ou de fibres optiques.

La Commission européenne peut dénoncer ces mesures, cela ne changera rien. En plus des stratégies communes, chaque pays doit porter et promouvoir ses propres stratégies nationales autour de l'IA avec des investissements significatifs dans la recherche, les infrastructures et la formation.

So what ?

Il est indéniable que cet investissement IA encouragera l'innovation, créera des emplois, renforcera la compétitivité économique américaine, mais devra aussi créer une compétition hors des frontières malgré son objectif d’écrasement de la concurrence. Les années à venir seront déterminants pour mesurer l'impact réel de cette initiative ambitieuse et surtout redessinera les équilibres industriels et géopolitiques. Si la Chine semble armée pour durer dans cette compétition, l’Europe, au-delà des aspects éthiques qui surgiront, doit trouver sa place et choisir définitivement de rester spectatrice, trouver une place dans cette compétition ou se muer en arbitre…

Le débat sur la construction des IA souveraines est une chimère ! Aucun pays au monde ne peut se targuer de maitriser toute la chaine de valeur, même les Américains et les Chinois. Le sommet pour l’action sur l'intelligence artificielle de Paris les 10 et 11 février 2025 se veut inclusif et multi-acteurs", mais chacun essaiera de tirer profiter de ses atouts, plutôt que de les mettre en commun.

Créer des champions européens de l’IA est le seul moyen pour que l’Europe soit invitée à la table des géants de la Tech. Même si Mistral s’est ouvert aux fonds américains par maque de financements en Europe, il faudra qu’elle en profite pour attaquer un marché de plus en plus mondialisé, pour grandir et pour innover encore plus. Le principal projet de l’UE qui semble prometteur reste l’entreprise commune pour le calcul à haute performance européen (EuroHPC)[12], dont l’objectif est d’accroître et d’exploiter les supercalculateurs. Il faudra encore plus d’initiatives équivalentes…et rapidement pour ne pas devenir un simple spectateur.

  • Références : 

[1] https://www.theguardian.com/us-news/2025/jan/21/trump-ai-joint-venture-openai-oracle-softbank

[2] https://innovations.fr/les-startups-dia-americaines-qui-levent-des-fonds-records-en-2024/

[3] https://www.courrierinternational.com/article/entreprises-plus-de-la-moitie-des-start-up-americaines-ont-ete-creees-par-des-immigrants

[4] https://www.bcg.com/publications/2023/addressing-the-engineering-talent-shortage

[5] https://edtechmagazine.com/k12/article/2024/09/ai-education-2024-educators-express-mixed-feelings-technologys-future-perfcon

[6] https://www.ictjournal.ch/news/2024-10-03/openai-leve-66-milliards-de-dollars-et-atteint-157-milliards-de-valorisation

[7] https://fr.statista.com/statistiques/485534/capitalisation-boursiere-total-sa/

[8] https://github.com/deepseek-ai/DeepSeek-R1/blob/main/DeepSeek_R1.pdf

[9] https://www.entreprises.gouv.fr/espace-entreprises/appels-a-projets-et-appels-a-manifestation-d-interet/programme-horizon-europe

[10] https://www.cnil.fr/fr/entree-en-vigueur-du-reglement-europeen-sur-lia-les-premieres-questions-reponses-de-la-cnil

[11] https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/pekin-denonce-les-regles-americaines-sur-les-puces-ia-une-violation-flagrante-des-regles-du-commerce-international-20250113

[12] https://eurohpc-ju.europa.eu/index_en