Deepseek, l'impudique

Deepseek a osé le nu : open source. Choquant les prudes ChatGPT et Gemini : logiciel propriétaire.

L’impudique plateforme chinoise a levé sa jupe d’Isis, dévoilant son code à la communauté en rut. On parle de logiciel Open source. Jusqu’à présent, les robots conversationnels faisant autorité imposaient la soutane, le code érigé en tabou. On parle de logiciels propriétaires. Leur plus grande crainte, se retrouver dans la peau de Mistinguett : « il m’a vue nue, toute nue ». Deepseek a choisi l’audace, le nu sans fards ni fanfare. Au risque d’être agoni par quelques codeurs moquant ses défauts. Un pari monstrueux. Mais un pari gagnant.

Rien de bien nouveau en vérité. L’art a su très tôt ce que le nu recouvrait. Du fantasme, de l’interdit, débauche d’imaginaire,orgie de ça. Une ode subversive pour l’artiste et son œuvre.Même l’inquisition espagnole ne put contenir l’élan d’un Francisco de Goya pour produire La Maja Desduna. Maisprévariquer n’est pas suffisant, ni pour l’art ni pour l’IA. Il faut aussi braver la pudeur, ce véritable « esprit qui rougit du corps », comme nous l’enseigne le philosophe Eric Fiat. Le corps ou le code se découvre alors sans défense, vulnérable.En danger ? Non, car se produit alors un petit miracle.

La mise à nu de l’artiste, de l’œuvre, du code, prend en otage le spectateur. C’est la thèse du philosophe Emmanuel Lévinas,« le sujet est un hôte », sa mise à disposition oblige autrui. Ce dernier cherche alors à recouvrir le nu en quelque sorte, pour le protéger. Dans le cas de Deepseek, la mise à disposition du code en Open source invite la communauté d’experts à encorriger le moindre défaut, comme animé d’une forme d’élan digital. Une stratégie qui s’avère finalement particulièrement efficace. « Avec suffisamment d'yeux, tous les bugs sont superficiels ». Telle est la Loi de Linus, en référence à Linus Torvalds créateur de Linux aujourd’hui devenu le plus vaste projet Open source au monde. Une formule popularisée par lehackeur Eric Steven Raymond, qui en proposera une autre plus célèbre encore…

La cathédrale et le bazar

Les logiciels propriétaires seraient plutôt de type cathédrale, la caractère cultuel connotant davantage encore avec l’idée du mystère et de l’interdit. Mais il y a un prix à payer. Le temps long. Il faut du temps pour concevoir une cathédrale, en imaginer les contours, les effets, enfin la construire. Et gare à la malfaçon, car on ne reviendra pas facilement en arrière pouren corriger les défauts. A l’inverse, le bazar serait plutôt de type Open source. Le temps n’est plus une contrainte, il s’agit de s’exposer le plus rapidement possible afin de pouvoir corriger les bugs au fil de l’eau. L’imperfection est une donnée de départ. Avec le bazar, rien n’est gravé dans le marbre, le code évolue, se trompe, corrige, et progresse.

La bonne stratégie serait donc « le tas plutôt que le tout », Régis Debray. « La jungle plutôt que le zoo », Milos Forman. « Le bazar plutôt que la cathédrale », Eric Steven Raymond.L’Open source plutôt que le logiciel propriétaire.

D’un point de vue économique, la métaphore du bazar et de la cathédrale nous propose une relecture stimulante du concept de frontière technologique. Cette dernière établit d’ordinaire la distance qui sépare les pays en retard technologique par rapport aux Etats – Unis notamment. Sauf que cette frontière ressemblait jusqu’alors davantage à un mur qu’à une frontière, compte tenu du faible nombre d’acteurs majeurs et de leur préférence pour un logiciel propriétaire. Or, avec l’arrivée de Deepseek, la frontière retrouve sa véritable essence, « Le mur interdit le passage, la frontière le régule. Dire d'une frontière qu'elle est une passoire c'est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer », encore Régis Debray.

Certes, peut être que le bazar fait moins rêver que la cathédrale. Moins chargé, moins stimulant, moins intimidant. De plus, nous fantasmons davantage l’interdit que l’inconnu. L’interdit c’est la cathédrale, la confesse, les pêchés. L’inconnu c’est ce que l’on peut trouver dans le bazar, imprévisible, parfois invendable. Enfin, l’interdit est corruptible, on peut espérer passer au travers à l’aide de quelques trafics d’indulgence, logiciels malveillants ou hackeurs insistants. Alors que l’inconnu est incorruptible, puisque il n’y a rien à corrompre. Pour savoir, il suffit de chercher dans le bazar.

Mais, il semble bien que le bazar, l’Open source, soit quand même considéré comme la voie royale, reconnu et plébiscité, les réserves en termes de sécurité s’effaçant devant l’efficacité du paradigme. D’ailleurs, il s’agirait du principal atout de Deepseek plutôt que sa ridicule consommation en énergie,comme le souligne Yann LeCun maitre à pensées artificiellesde Meta. Tout le monde regarde Deepseek l’économe, comme l’idiot regarde le doigt du sage. Alors que ce dernier montre Deepseek l’impudique, comme il faudrait regardait la lune : l’Open source.