Laurent Daudet (LightOn) "L'IA générative n'est pas une bulle, mais le début d'une révolution technologique profonde"

Dans un contexte de correction marquée des valeurs tech, Laurent Daudet décrypte les mécanismes d'un repli qui interroge l'avenir du leadership technologique américain et de l'IA.

JDN. Face à la correction marquée des valeurs technologiques américaines, quelles sont, selon vous, les principales causes de ce repli ?

Laurent Daudet est co-CEO et co-fondateur de LightOn. © LD

Laurent Daudet. Il ne s'agit pas uniquement d'une baisse liée à l'intelligence artificielle, comme en témoigne la chute significative de Tesla. J'y vois plutôt une correction des valeurs qui avaient connu une hausse spectaculaire ces derniers temps. Nous revenons à un niveau qui demeure élevé, malgré une correction particulièrement sévère ces derniers jours. Cette baisse s'explique selon moi par un ajustement sur des valeurs qui avaient grimpé de manière peut-être un peu irrationnelle dans certains cas.

Peut-on parler de l'éclatement d'une certaine bulle ?

Concernant l'intelligence artificielle générative, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une bulle au sens strict. Le terme "bulle" suggérerait une pure spéculation, or je crois qu'il y a quelque chose de réel. Même si certaines valorisations peuvent sembler excessives, je vois cela comme le début d'une révolution technologique profonde qui aura un impact significatif. Je la compare un peu à l'éclatement de la bulle Internet. A l'époque, il y a eu une survalorisation, mais aussi un mouvement de fond transformateur. Aujourd'hui, c'est similaire : certaines entreprises sont peut-être surévaluées, mais le mouvement fondamental de l'IA générative est bel et bien réel. Ce n'est absolument pas une bulle construite sur du vent.

Dans quelle mesure estimez-vous que les tensions commerciales, l'incertitude géopolitique et l'évolution des politiques tarifaires ont contribué à cette chute ?

Il y a eu effectivement un retour à la réalité concernant la vision utopique initiale de l'intelligence artificielle. Nous pensions l'IA complètement internationale et sans frontières, mais force est de constater que ce n'est pas le cas. La géopolitique rappelle ses droits : les biens et services peuvent être taxés ou bloqués du jour au lendemain dans un pays. Des éléments qu'on croyait acquis ne le sont plus. Les géants de la technologie font désormais face à une incertitude croissante sur leurs débouchés. Cette prise de conscience montre que l'IA, malgré son potentiel mondial, reste soumise aux réalités concrètes des relations internationales et des politiques économiques.

Un report des investisseurs sur les valeurs européennes peut-il être anticipé ?

Il faut distinguer deux dynamiques : la baisse conjoncturelle récente et un mouvement de fond plus structurel. Effectivement, on observe une prise de conscience nouvelle de l'importance des technologies souveraines. Ce phénomène a vocation à perdurer, avec la volonté de développer des alternatives. Cependant, restons réalistes. Dans des domaines comme le cloud computing, les géants américains comme AWS, Google ou Azure continueront de dominer. De même, dans le secteur des semi-conducteurs, il sera difficile pour des fondeurs européens de concurrencer NVIDIA ou AMD.

"On observe une prise de conscience nouvelle de l'importance des technologies souveraines"

Mais l'intelligence artificielle représente une opportunité différente. Il ne s'agit pas de recréer un nouveau Google, mais de développer des briques technologiques souveraines accessibles et stratégiques. Cette situation pourrait aussi ouvrir des perspectives intéressantes pour les chercheurs et ingénieurs. La France dispose déjà d'un écosystème prometteur, même si les niveaux de rémunération sont moins attractifs qu'en Californie. Des opportunités pourraient émerger pour des talents qui souhaiteraient s'éloigner du modèle américain.

Il est important de ne pas dramatiser. Certes, nous avons effacé en quelques jours les gains récents, mais nous restons à des niveaux historiquement élevés. Je demeure optimiste : les Etats-Unis conserveront leur leadership technologique. Ce que nous traversons n'est qu'un léger passage à vide qui ne remet pas fondamentalement en cause l'attractivité des valeurs technologiques. A terme, les entreprises pourraient être plus hésitantes à confier systématiquement leurs projets sensibles aux géants américains. Cette tendance pourrait s'amplifier progressivement, notamment sur des segments impliquant des données stratégiques.