Werner Vogels (Amazon) "Les clients d'AWS sont submergés par le nombre de modèles d'IA qui arrivent chaque semaine"

Le CTO d'Amazon revient sur sa stratégie en matière d'intelligence artificielle. Il décrypte l'impact de cette technologie sur la relation client et les développements applicatifs du groupe.

JDN. Comment l'IA s'intègre-t-elle à vision long terme d'Amazon, au-delà du cloud AWS ?

Werner Vogels est le CTO d’Amazon. © Amazon

Werner Vogels. Avec 300 millions de produits, plus de 200 millions de membres Prime et 9 milliards de colis livrés quotidiennement, nous avons dû automatiser un maximum de processus. Il y a ce qui se voit du point de vue du client. C'est le cas de Rufus, un outil auquel vous pouvez demander par exemple : "Ma fille de neuf ans fête son anniversaire la semaine prochaine, nous sommes en France, il fait beau, que devrais-je apporter comme cadeau ?" Et l'outil vous proposera des recommandations de produits adaptées. Nous utilisons également l'IA pour identifier les contrefaçons. L'année dernière, nous avons détecté environ 15 millions d'annonces que des vendeurs voulaient écouler sur notre marketplace mais qui se sont avérées être liées à des produits contrefaits.

Et au-delà de l'expérience client ?

C'est dans la chaîne d'approvisionnement que la plupart de nos technologies d'IA sont utilisées. Cela concerne quatre domaines : les prévisions d'approvisionnement, l'identification des fournisseurs, l'optimisation de l'écoulement des produits, et tout le travail nécessaire pour tenir nos promesses, notamment en matière de livraison. Les prévisions à grande échelle sont toujours un défi. Par exemple, lors de la commercialisation de la nouvelle version d'un téléviseur, le fournisseur va probablement baisser le prix du modèle précédent. Il y a l'élasticité des prix, certains produits se vendent plus vite que d'autres, certains articles sont régionaux, il y a la saisonnalité... L'IA doit prendre en compte tous ces éléments pour déterminer quels produits nous devrions avoir en stock.

Ensuite, il faut décider dans lequel de nos 175 entrepôts livrer ces produits. La préparation, le tri et le transport sont largement automatisés grâce à la robotique. Nous avons 750 000 robots à la manœuvre dans nos centres de distribution.

Vous utilisez donc beaucoup la robotique ?

Oui, nous avons récemment présenté l'un de nos nouveaux robots qui possède un sens du toucher, ce qui lui permet d'effectuer des tâches complexes et sensibles. Il est principalement utilisé pour améliorer la sécurité dans nos entrepôts. Nous avons vu le nombre d'incidents diminuer d'environ 35% d'une année sur l'autre grâce à l'utilisation accrue de robots.

Nous utilisons également l'IA pour décider du meilleur emballage pour chaque produit. Nous avons créé un moteur de décision d'emballage qui combine différents types d'IA pour minimiser la quantité d'emballage. Nous scannons également chaque produit avant qu'il ne sorte de nos entrepôts pour vérifier les dates d'expiration ou les dommages éventuels, tout cela de manière automatisée.

Et concernant la livraison ?

Quand j'ai commencé chez Amazon, la livraison s'étalait sur 5 jours pour un prix de 25 dollars. Maintenant, nous livrons en 15 minutes, en une heure ou en un jour selon les pays. Aux Pays-Bas ou encore en France, vous recevez les colis sous 24 heures, à Dubaï en deux heures. L'optimisation intelligente des itinéraires est cruciale car la livraison du dernier kilomètre peut représenter plus de 50% des coûts totaux de distribution.

Nous avons également développé l'inspection automatisée des véhicules. C'est comme lorsque vous louez une voiture à l'aéroport et que vous en faites le tour pour prendre des photos au départ, sauf que notre système peut prendre 500 images en 10 secondes et identifier exactement les différences entre l'entrée et la sortie du véhicule.

L'IA est donc omniprésente chez Amazon ?

L'IA est partout. Je n'ai même pas parlé de la numérisation Amazon One pour les caisses automatisées, ou d'Amazon Scribe qui peut transformer une écriture manuscrite en texte précis, ou encore de la recherche intelligente dans Amazon Prime Video.

Avec la croissance rapide des grands modèles, comment Amazon gère-t-il la consommation d'énergie et l'impact environnemental de l'IA ?

Nous nous étions engagés à utiliser 100% d'énergie renouvelable d'ici 2025. Nous avons atteint cet objectif dès 2023. Amazon est le plus grand groupe sur le plan de la consommation d'énergie renouvelable au monde. Nous comptons plus de 600 projets d'énergie éolienne, géothermique et solaire pour garantir que l'électricité que nous utilisons est renouvelable.

Ensuite, nous cherchons à réduire le coût de chaque opération. Nous investissons depuis longtemps dans nos propres puces, comme les Graviton qui sont 30 à 40% plus efficaces énergétiquement que les processeurs généralistes comparables. Pour l'IA, nous avons développé deux puces différentes : Trainium pour l'entraînement et Inferentia pour l'inférence, qui réduisent considérablement la consommation d'énergie.

Comment optimisez-vous le coût des modèles d'IA sur votre cloud ?

Sur AWS, où vous payez pour chaque ressource et sa durée d'utilisation, le coût est un bon indicateur de durabilité. Nous observons la même chose avec l'IA. Les entreprises utilisent souvent les plus grands modèles, mais il est extrêmement important que nos clients expérimentent et déterminent quel modèle convient à leurs besoins, car un modèle unique ne convient pas à tous les cas d'usage.

Certains modèles ont 700 milliards de paramètres, d'autres 7 milliards. Le coût de certains peut être d'un centime par milliard de tokens, tandis que d'autres peuvent coûter plusieurs dollars pour le même nombre. C'est pourquoi Bedrock (l'environnement d'IA disponible sur le cloud d'Amazon, ndlr), propose une grande variété de modèles pour permettre aux clients d'expérimenter et d'évaluer le rapport qualité-prix en mode serverless.

C'est là l'un de vos principaux différenciateurs par rapport à vos concurrents, n'est-ce pas ?

Il y a deux façons d'aborder la question : si vous vous concentrez sur vos concurrents, vous n'accompagnez pas vos clients. Or, vous devez vous concentrer sur vos clients.

Les clients sont submergés par le nombre de modèles qui arrivent chaque semaine, ils cherchent donc un partenaire de confiance. Nous souhaitons les aider à naviguer au sein de cette offre, les nouvelles versions, plus grandes ou plus petites, les différentes langues supportées, culturellement adaptées ou non. C'est l'objectif de Bedrock, et cela reflète notre approche centrée sur le client dans un domaine où l'on ne sait pas exactement comment la technologie va évoluer.

Nous collaborons avec de nombreux partenaires, y compris des partenaires français comme Hugging Face, Mistral et d'autres. Via Bedrock, vous pouvez comparer DeepSeek à Mistral, ou encore comparer les capacités de codage de Claude à celles d'autres outils.

Werner Vogels est directeur technologique (chief technology officer) chez Amazon. Il est l'un des pionniers de l'approche d'Amazon en matière de cloud computing. Avant de rejoindre Amazon en 2004, Werner Vogels était chercheur en systèmes distribués à l'université Cornell. Il est titulaire d'un doctorat de la Vrije Universiteit d'Amsterdam et est l'auteur de nombreux articles sur les technologies de systèmes distribués pour l'informatique d'entreprise.