Microsoft vs OpenAI : la querelle qui ébranle le monde de l'IA
Ce n'est pas encore la guerre ouverte, mais on s'en rapproche. Alors que Microsoft et OpenAI négocient un accord susceptible d'ouvrir la voie vers une entrée en bourse pour la société mère de ChatGPT, Satya Nadella serait à deux doigts de claquer la porte, agacé par le manque de progrès, comme l'ont rapporté plusieurs media américains.
Face au refus de Microsoft de lui faire des concessions, OpenAI envisagerait de son côté de dégainer l'artillerie lourde : déposer une plainte auprès des autorités fédérales contre Microsoft pour violation des lois antimonopole. Une solution de dernier recours qui conduirait à la guerre ouverte entre les deux associés, qui ont longtemps travaillé de concert pour s'imposer dans le monde de l'IA générative.
Réorientation commerciale d'OpenAI
La pomme de discorde se situe autour de la volonté d'OpenAI de changer ses statuts juridiques, pour préparer son entrée en bourse et honorer les engagements qu'elle a pris auprès de Softbank, devenu le premier argentier d'OpenAI avec un investissement colossal de 30 milliards de dollars dans l'entreprise en mars 2025. La société de Sam Altman s'est en effet engagée auprès du conglomérat japonais à abandonner son statut d'entreprise à but non lucratif d'ici fin 2025 pour devenir une entreprise à profit à part entière, faute de quoi Softbank réduirait son investissement de 30 à 20 milliards de dollars.
Le statut juridique d'OpenAI est complexe, puisque l'entreprise est contrôlée par une organisation à but non lucratif (OpenAI Nonprofit), mais dispose aussi d'une branche commerciale (celle qui développe et commercialise ChatGPT)... qui a toutefois le statut de "public benefit corporation" (société d'intérêt public). Ce modèle, qui prend en compte les parties prenantes et la mission sociale, a également été adopté par d'autres acteurs de l'IA comme Anthropic ou xAI. Une complexité juridique qui reflète l'histoire d'OpenAI, née comme une organisation à but non lucratif œuvrant pour que l'intelligence artificielle générale bénéficie à l'ensemble de l'humanité.
Depuis le succès fulgurant de ChatGPT, elle a connu une progressive réorientation commerciale et lutte pour articuler sa mission originelle avec ses ambitions d'entreprises commerciale. Une lutte qui a parfois donné lieu à des conflits internes, comme lorsque Sam Altman a brièvement été évincé de son poste en novembre 2023 suite à un putsch d'une partie des cadres, avant d'être réinstallé sous pressions de Satya Nadella.
Microsoft veut sa part du gâteau
OpenAI entend désormais achever sa mue en entreprise à profit et s'émanciper de son grand argentier. Le cœur du désaccord se situe sur la part d'OpenAI qui serait détenue par Microsoft après la conversion en une entreprise à profit, en échange des 13 milliards que le géant de l'informatique a déjà investi dans l'entreprise. Satya Nadella souhaite une portion plus importante que celle que Sam Altman est prêt à lui céder, sans que l'on connaisse les chiffres exacts. Le géant de Redmond, qui a très tôt investi massivement dans l'entreprise de Sam Altman, récupère actuellement 20% de son chiffre d'affaires.
Un autre point de désaccord réside dans l'accès total dont bénéficie Microsoft sur la technologie d'OpenAI. Cette dernière souhaite dorénavant limiter cet accès, alors que les entreprises sont de plus en plus en concurrence. L'entreprise de Sam Altman souhaite notamment conserver pour elle la propriété intellectuelle de la jeune pousse Windsurf, qui utilise l'IA pour aider les programmeurs, rachetée en mai pour trois milliards de dollars. Ce qui est compréhensible quand on sait que Microsoft propose sa propre solution d'assistance aux programmeurs via l'IA, GitHub Copilot…
Longtemps très liée à Microsoft, notamment du fait de sa dépendance à l'usage du cloud Azure, OpenAI a commencé à s'en émanciper au cours de l'année écoulée. En juin 2024, l'entreprise a signé un accord avec Oracle pour l'usage de son cloud via celui de Microsoft, une première ouverture au détriment d'Azure (qu'OpenAI continue toutefois d'utiliser). Depuis la participation d'OpenAI au projet Stargate, annoncé fin janvier, Microsoft n'est en outre plus le fournisseur cloud exclusif d'OpenAI, qui est désormais libre de recourir au multicloud pour satisfaire ses besoins insatiables en puissance informatique. Début juin, OpenAI a également signé un accord avec Google Cloud.
La stratégie de Microsoft sur l'IA en danger
Sur le papier, la menace d'OpenAI d'appeler à la rescousse les autorités antitrust contre Microsoft a de quoi inquiéter Satya Nadella. Malgré le changement d'administration, l'antitrust américain demeure fortement déterminé à lutter contre la domination des big tech. Sam Altman a en outre intelligemment préparé le terrain en courtisant Donald Trump. Jadis très critique vis-à-vis du président, il a, comme de nombreux leaders de la Silicon Valley, opéré un virage à 180 degrés, s'associant au projet vitrine Stargate du président, affirmant avoir "changé de perspective" sur lui et estimant qu'il pourrait s'avérer "excellent pour le pays".
Toutefois, en mars, le gendarme britannique de la concurrence, la Competition and Markets Authority (CMA) a de son côté affirmé que le partenariat entre OpenAI et Microsoft ne constituait pas une entrave à la concurrence, ce qui est mauvais signe pour la plainte d'OpenAI. Si la FTC américaine n'est naturellement pas tenue d'arriver aux mêmes conclusions que son homologue britannique, celle-ci est réputée pour être particulièrement sévère, y compris par rapport au régulateur américain...
Microsoft voit, de son côté, se retourner contre elle la stratégie qu'elle a mise en œuvre dans l'IA générative. Début avril, Mustafa Suleyman, débauché de la start-up Inflection AI pour diriger la division Microsoft AI suite à une acquisition déguisée, déroulait les grandes lignes de cette vision. " Notre stratégie est d'être un proche second, étant donné combien ces modèles sont intensifs en capital. " En clair : laisser OpenAI investir des fortunes (grâce à l'argent de Microsoft, mais pas seulement) pour entraîner les meilleurs modèles d'IA générative, et en récupérer les bénéfices grâce à l'accès dont bénéficie Microsoft sur la propriété intellectuelle d'OpenAI. Un modèle désormais mis en danger par la volonté de la start-up de s'émanciper de son encombrant bienfaiteur.
Et si elle a commencé à prendre ses précautions pour réduire sa dépendance à OpenAI, notamment en débauchant Mustafa Suleyman et d'autres ingénieurs de premier plan, Microsoft demeure encore dépendante de l'entreprise de Sam Altman, à l'heure où Amazon construit un centre de données géant pour son partenaire Anthropic et où Mark Zuckerberg signe des chèques de cent millions de dollars pour recruter les meilleurs talents de l'IA. Pas étonnant, dans ce contexte, que Microsoft n'entende guère laisser partir sa poule aux œufs d'or sans combattre.