Comment Adecco veut faire travailler ensemble agents IA et collaborateurs humains
Les employés d'Amazon sont prévenus. Dans une lettre rendue publique, leur PDG, Andy Jassy n'a pas manié la langue de bois. Les plus de mille services et applications d'IA générative déployés ou en cours de construction ne représentent "qu'une petite fraction" de ce que le géant de l'e-commerce prévoit de mettre en place. A ses yeux, la montée en puissance de l'IA agentique placera l'automatisation des tâches dans une autre dimension. "Cela devrait changer la façon dont notre travail est effectué", se réjouit Andy Jassy. "Nous aurons besoin de moins de personnes pour faire certains travaux et de plus de personnes pour d'autres types d'emplois." Au final, le patron d'Amazon s'attend à réduire sa main d'œuvre grâce aux gains de productivité obtenus.
Au-delà du cas particulier que représente Amazon, la montée en puissance de l'IA agentique concernera un grand nombre d'entreprises, petites et grandes, avec un impact certain sur leur organisation du travail. Si les chatbots de l'IA générative se contentent de répondre aux demandes des utilisateurs, par prompts interposés, les agents IA eux agissent. Dans la limite d'un périmètre prédéfini, ils prennent des décisions et exécutent des actions en toute autonomie avec une supervision humaine la plus limitée possible. Dans le cas d'une campagne marketing, une armée d'agents virtuels peut se coordonner pour générer automatiquement des leads, rédiger des contenus percutants, envoyer les bons messages sur les bons canaux, ajuster en temps réel l'offre et le ciblage en fonction des premières remontées du terrain puis réévaluer le scoring des prospects.
Une savante répartition du travail
Pour Caroline Monfrais, global managing partner, strategy & transformation chez Wipro Consulting, un agent AI n'est pas un outil mais un collègue virtuel qui occupe un rôle. "En fonction du processus éligible à l'automatisation, il s'agit de définir ces rôles puis de décider de les confier à des collaborateurs humains, à des agents ou à des équipes hybrides", argue-t-elle. Dans une savante répartition du travail, les agents se verront confier les tâches où ils sont les plus pertinents comme l'analyse de grandes quantités de données ou l'automatisation de processus récurrents et chronophages. Les humains se concentreront, eux, sur les missions faisant appel à la créativité, l'empathie ou la prise de décision complexe et stratégique.
Dans un récent communiqué, Workday file la métaphore. "Alors que les agents d'IA deviennent des acteurs à part entière", il s'agit de "les recruter, les intégrer, leur assigner des responsabilités et suivre leurs résultats – exactement comme pour les collaborateurs humains", indique le spécialiste du workflow automation. L'objectif est "de définir leurs rôles, de contrôler leur accès aux données, de gérer leurs actions et d'évaluer leur performance, afin d'aligner chaque actif - humain ou non - sur les objectifs de l'entreprise".
Adecco, utilisateur et prescripteur
Pour Pierre Matuchet, SVP IT & digital transformation du spécialiste de l'intérim Adecco (qui a fait le choix de la plateforme Agenforce de Salesforce), l'IA agentique renvoie à une notion d'augmentation et non de substitution. "Elle peut augmenter les collaborateurs et les décharger des tâches répétitives afin qu'ils puissent se consacrer à l'essentiel, à savoir le dialogue avec les candidats et les recruteurs", indique-t-il. Le premier déploiement d'agents chez Adecco porte sur la phase de pré-screening, c'est-à-dire de préqualification des candidats éligibles à un poste donné. "Avant d'aller plus loin, il faut s'assurer de leur disponibilité et de leur mobilité", poursuit Pierre Matuchet. "L'IA agentique va générer un jeu de questions que le recruteur valide avant d'être envoyé aux candidats." Actuellement en phase pilote au Royaume-Uni, le projet va être testé en France.
Entreprise cliente de Salesforce, le groupe de services en ressources humaines a été plus loin dans son partenariat avec le leader du CRM en créant fin mars une coentreprise. Baptisée r.Potential, celle-ci se donne pour mission, selon Denis Machuel, PDG du groupe basé en Suisse, "d'aider les dirigeants d'entreprise à améliorer leurs stratégies de main-d'œuvre dans un nouveau paradigme où les agents humains et numériques collaborent côte à côte".
En s'appuyant sur les données de l'entreprise cliente, r.Potential la conseillera sur la meilleure répartition des tâches entre travailleurs et agents digitaux. Il s'agit à la fois de gérer les ressources en temps réel mais aussi de simuler des modèles de travail hybrides dans le cas de pics de demande, de fusions-acquisitions ou de plans de transformation. "C'est une vraie rupture technologique et organisationnelle, nous l'abordons avec beaucoup d'humilité", reconnaît Pierre Matuchet.
Une nouvelle cohabitation homme-machine
Cette nouvelle organisation du travail homme-machine ne va pas sans créer des questionnements chez les personnes concernées. Comme les ouvriers qui ont appris à cohabiter avec des robots en usine, les cols blancs devront faire l'apprentissage du travail partagé avec des robots logiciels. Dans un premier temps, ils peuvent légitimement se sentir menacés dans leur emploi ou tout du moins dans leur périmètre fonctionnel et leur liberté d'action.
Dans le cadre d'un programme d'accompagnement au changement, Caroline Monfrais conseille de faire preuve de pédagogie en expliquant les atouts et les limites de l'IA agentique. "Il faut démystifier l'IA agentique en oubliant le jargon technique. Quand je montre ce que j'utilise sur mon ordinateur, mon interlocuteur est rassuré. Il s'agit juste d'une interface conversationnelle qui permet très simplement de programmer des agents en langage naturel", argue-t-elle.
Pour la consultante, tous les salariés ne partent pas avec le même niveau de maturité. "Sur un projet, 15 à 20% des collaborateurs, déjà rompus aux prompts, sont enthousiastes. Ils perçoivent concrètement les bénéfices de l'automatisation" note-t-elle. Xavier Cimino, senior managing director Strategy chez Publicis Sapient, confirme : "Les salariés qui utilisent Copilot depuis plusieurs mois ont une meilleure compréhension de l'apport de l'IA."
"Les employés doivent percevoir la valeur qu'ils ont à gagner à l'usage des agents. Et ce pas seulement pour leur organisation, mais aussi pour eux", poursuit Caroline Monfrais. "Les agents d'IA vont réaliser toutes ces tâches que l'on voudrait faire mais que l'on reporte faute de temps. Un collaborateur qui passe sa journée à faire des copier-coller sur un fichier Excel va voir son quotidien bouleversé. Finalement, il devrait être plus épanoui et motivé."
Une IA éthique et transparente
Un projet d'IA agentique nécessite quelques prérequis. Il doit faire appel à une IA de confiance et répondre à un cadre éthique et légal, se conformant à l'AI Act, au droit du Travail et au code de conduite interne de l'entreprise. Comme un nombre croissant d'entreprises, Adecco a mis en place un comité d'éthique dédié à l'IA. La transparence est de mise. Les salariés sont systématiquement informés qu'ils travaillent avec des machines. Pour éviter l'effet boîte noire, le mode de fonctionnement des agents d'IA doit, par ailleurs, être traçable et explicable.
Impliquée dès la phase amont, la fonction RH joue un rôle crucial dans l'implémentation des agents d'IA, notamment en termes d'organisation du travail et d'information en vers les instances représentatives du personnel. Elle doit évaluer les impacts sociaux d'un tel projet structurant et les anticiper en mettant en place des actions de formation voire de reconversion pour les postes les plus automatisables.
La DRH doit d'autant plus se positionner sur le sujet quelle est l'une des directions, avec le marketing, à bénéficier à plein des apports de IA agentique. Les cas d'usage les plus courants portent sur la gestion des processus de recrutement ou l'évaluation des performances. Dans la cadre d'un parcours d'intégration personnalisé, des agents pourront se coordonner pour générer puis valider les différentes tâches que doit accomplir le nouveau collaborateur lors de son entrée en fonction. Des éditeurs comme Workday ou Cornerstone proposent déjà des plateformes répondant à ces problématiques.