IA et souveraineté numérique : entre le "tout migrer ou ne rien faire", une troisième voie existe !

L'irruption de l'Intelligence Artificielle générative a rebattu les cartes de la puissance numérique. Aujourd'hui, son déploiement s'appuie sur une infrastructure invisible : le Cloud.

Tant que celui-ci reste aux mains des GAFAM, toute ambition de souveraineté restera un vœu pieux.

L’IA ne consomme pas le Cloud : elle le transforme

Longtemps considéré comme une commodité technique, le cloud est devenu, avec l’IA, une extension directe des cerveaux humains et des systèmes économiques. L’intelligence Artificielle ne se contente pas d’être un logiciel exécuté dans le « nuage » ; elle est construite, entraînée et exécutée à travers lui. Là où les précédentes générations d’outils numériques se contentaient d’accéder ponctuellement à des bases de données hébergées, les modèles actuels nécessitent une scalabilité massive, une capacité de calcul soutenue, une orchestration fluide de la data mais, surtout, un environnement d'exécution sécurisé et contrôlable.

Avec les nouveaux usages IA, les exigences de confidentialité, de transparence, de traçabilité atteignent un niveau inédit. L’inférence privée, par exemple, oblige à exécuter des modèles sur des données sans jamais les exposer, ni au fournisseur de service, ni au modèle lui-même. Cela suppose des mécanismes cryptographiques avancés, des environnements d’exécution protégés, une gouvernance claire sur l’accès aux données. C’est un bouleversement technique mais, surtout, une rupture politique : le Cloud n’est plus un simple lieu, il doit devenir un espace de confiance.

Une dépendance verrouillée qui bride l’innovation européenne

Dans ce contexte, la situation actuelle est préoccupante. L’Europe est structurellement dépendante des hyperscalers américains qui ne relèvent ni de ses lois, ni de ses intérêts stratégiques. Ce n’est pas une posture défensive mais un constat lucide. Tandis que les géants américains verrouillaient le marché avec des offres tarifaires très agressives, des contrats difficilement réversibles et une intégration logicielle quasi-totale, l’Europe, elle tardait à bâtir ses propres alternatives souveraines à l’échelle.

Aujourd’hui, cette inertie a un prix : la plupart des modèles d’IA entraînés en Europe le sont sur des infrastructures non-européennes, alors même que celles-ci existent et sont tout aussi performantes. Les données les plus sensibles de santé, de défense, d’industrie transitent dans des environnements sur lesquelles nous n’avons aucune prise. Cette dépendance pèse sur la compétitivité de nos entreprises, sur la conformité juridique et la maîtrise stratégique des actifs immatériels.

Pire encore : migrer ses modèles IA d’un Cloud à un autre demande un effort souvent dissuasif. Les plates-formes américaines ont été pensées pour capter les données et les garder. Dans un contexte où l’IA devient un actif stratégique pour chaque filière, cette captation fragilise l’écosystème européen de la donnée, et bride les logiques d'innovation ouverte.

Vers une souveraineté progressive, ancrée dans les usages

La bonne nouvelle, c’est que cette dépendance n’est pas irréversible. À condition d’accepter une réalité simple : nous n’avons pas besoin d’un big bang technologique, mais d’un basculement progressif. La transition vers un Cloud IA souverain ne doit pas reposer sur une injonction absolue à migrer tout son existant. Elle peut et doit commencer par les nouveaux cas d’usage, projet par projet, qui peuvent ainsi être conçus nativement dans un environnement de confiance.

Ces premiers basculements, s’ils sont pensés avec les bons standards de sécurité, de conformité et de transparence, pourront être généralisés, répliqués et étendus. On construit ainsi, par capillarité, un socle technique et culturel propice à la souveraineté. Et on limite les risques, en évitant l’effet tunnel du “tout migrer ou ne rien faire”.

Cela suppose néanmoins un changement d’état d’esprit. Tant que la souveraineté sera vue comme une contrainte, elle restera marginale. Il faut qu’elle devienne un levier de différenciation, une garantie pour les clients, la preuve de leur responsabilité et de leur engagement. Cela exige que les entreprises rehaussent leur niveau d’exigence, qu’elles considèrent leur infrastructure IA comme un choix stratégique plus seulement comme une ligne de coût. C’est un pari sur l’indépendance technologique, sur la conformité réglementaire et la robustesse à long terme. Et, c’est aussi un acte politique : celui de refuser que l’Intelligence Artificielle qui structurera nos économies, nos services publics et notre différence, soit pilotée à distance.