Le gaspillage invisible des données : pourquoi 80 % de l'intelligence documentaire reste encore inexploitée

Dans les entreprises, 80 % des données restent invisibles et inexploitées, limitant le déploiement de l'IA, leur performance, leur conformité et leur capacité d'innovation.

À l’heure où la dématérialisation s’est imposée comme un standard, on pourrait s’attendre à ce que les entreprises tirent pleinement parti des informations qu’elles produisent ou reçoivent au quotidien. Il n’en est rien. Selon IDC, près de 80 à 90 % des données en entreprise sont non structurées et par conséquent, non exploitables. Les e-mails, les contrats, les factures, les rapports les pièces jointes conservées dans les messageries et même les archives manuscrites, représentent pourtant une richesse non négligeable mais qui reste largement inexploitée. C’est ainsi que, selon les estimations, seuls 20 % de ces contenus sont véritablement utilisés pour prendre des décisions, automatiser des processus, alimenter des modèles d’IA ou nourrir des projets stratégiques.

Pourquoi si peu de données sont exploitées ?

L’abondance d’informations représente à la fois un levier d’efficacité et un risque croissant à mesure que les volumes augmentent. De fait, les documents s’accumulent sur des serveurs ou dans des archives numériques peu organisées, rendant leur exploitation difficile, voire impossible.

Mais le principal obstacle n’est pas tant le volume que la structure des données. Aujourd’hui, la majorité des documents stockées le sont dans des formats peu exploitables (PDF, scans, e-mails, images) et sont disséminés dans des systèmes hétérogènes, rarement interopérables. Cet état de fragmentation, combiné à l’absence d’outils d’analyse performants, freine toute valorisation.

À cette problématique technologique et organisationnelle, s’ajoute un facteur culturel : la donnée documentaire n’est encore que rarement considérée comme un actif stratégique. En réalité, il est d’usage qu’elle reste cantonnée aux domaines administratifs ou juridiques, en marge de la stratégie data de l’entreprise. Peu d’entre elles mesurent la valeur créée par l’exploitation de leurs documents ou mettent en place une gouvernance adaptée pour en assurer la gestion, la sécurité et l’exploitation.

Un coût bien plus large que le seul aspect financier

Les conséquences d’une sous-exploitation des données existantes sont loin d’être anecdotiques. Au-delà du coût financier et environnemental lié à leur stockage, on observe un impact direct sur la productivité des collaborateurs. Faute de disposer d’un accès facile à des contenus fiables, à jour et bien indexés, ces derniers perdent quotidiennement un temps considérable à chercher ou retraiter de l’information. Ce temps perdu se traduit par une perte d’efficacité et, parfois, par des erreurs génératrices de coût pour l’entreprise.

Sur le plan réglementaire, les risques également majeurs : une mauvaise gestion documentaire peut entraîner des défauts de conformité aux normes en vigueur comme le RGPD ou l’AI Act par exemple, et mettre l’entreprise en difficulté en cas d’audit ou de litige.

Mais c’est sans doute sur le plan stratégique que le coût est le plus élevé. Car sans données fiables et bien exploitées, les projets d’intelligence artificielle, d’analyse prédictive ou de transformation digitale ne peuvent pas être concrétisés. Il est impossible de valoriser une donnée invisible. Ce manque de visibilité limite donc les capacités d’innovation, de pilotage et de différenciation, freinant ainsi les ambitions des entreprises.

Inverser la tendance

Il est pourtant possible d’inverser la tendance. Cela passe d’abord par une prise de conscience et une reconnaissance claire de la valeur stratégique des documents. L’intelligence documentaire doit être intégrée à la stratégie data globale de l’entreprise, avec des objectifs mesurables et partagés.

Les données dormantes doivent ainsi faire l’objet d’un traitement automatique en continu afin d’en extraire la valeur. Les technologies existent : l’OCR intelligent, le Natural Language Processing, l’intelligence artificielle ou la Process Automation (RPA, IDP) permettent aujourd’hui d’analyser, indexer et exploiter de manière rapide, fiable et sécurisée des volumes importants de documents.

Mais la technologie seule ne suffit pas. L’accompagnement des collaborateurs par la formation et la sensibilisation à la gouvernance documentaire, ainsi que l’instauration d’une politique agile, évolutive et inclusive en la matière, est indispensable.

Alors que l’IA prend une place croissante au quotidien, les entreprises n’ont pas besoin de produire davantage de données pour nourrir les modèles de langage. Leur priorité devrait être de faire davantage avec ce qu’elles possèdent déjà mais n’exploitent pas encore. Utiliser ne serait-ce que 30 ou 40 % de leur patrimoine documentaire à ces fins pourrait avoir un impact significatif sur leur performance, leur agilité et leur conformité réglementaire. L’intelligence documentaire n’est plus un sujet de niche ni une simple promesse technologique. C’est plus que jamais un levier décisif pour construire l’entreprise résiliente, efficiente et innovante de demain.