"Le droit à son visage" : quand les deepfakes posent la question du copyright des traits humains

L'AI Act européen impose la transparence des contenus synthétiques. Or, la définition juridique des "deepfakes" demeure encore floue. Le Danemark apporte une réponse réglementaire concrète novatrice.

Pour la première fois en Europe, le Danemark s’apprête à introduire une réforme audacieuse du droit d’auteur : le pays scandinave souhaite accorder aux individus le copyright sur leur propre visage, voix et traits physiques. L’objectif est de légiférer contre les deepfakes non consentis, en permettant aux personnes concernées d’exiger le retrait des contenus générés par intelligence artificielle et de réclamer une compensation. Les parodies et satires demeureraient toutefois exemptées. Cette initiative, portée par une coalition transpartisane, pourrait entrer en vigueur à la fin de l’année ou début 2026. Et faire florès en Europe. Le ministre de la Culture danois, Jakob Engel-Schmidt, ne cache d’ailleurs pas son ambition européenne : ces propositions seront présentées dans le cadre de la présidence danoise du Conseil de l’Union européenne.

Quels enjeux soulève cette réforme ?

Le premier enjeu est celui de la sécurité juridique face à la désirabilité sociale. Étendre le copyright à l’image physique constitue un précédent inédit : doit-on considérer ce nouveau droit comme patrimonial, susceptible de générer des revenus, ou comme un droit moral, attaché à la dignité de la personne ? Le modèle danois semble combiner les deux approches. Il confère aux individus un droit opposable devant les juridictions civiles — avec possibilité de suppression des contenus et de dommages-intérêts — sans aller jusqu’à des sanctions pénales directes. En revanche, les plateformes qui refuseraient de se conformer aux demandes d’un citoyen pourraient être confrontées à des amendes significatives. Par ailleurs, la réforme a pris soin d’exclure explicitement certaines formes d’expression jugées légitimes, comme la satire, la parodie ou le débat public. Ce choix traduit une volonté d’équilibrer la protection de l’intégrité personnelle avec le respect de la liberté d’expression.

Le deuxième enjeu tient à la complémentarité avec le cadre juridique existant. Jusqu’ici, les victimes de deepfakes pouvaient s’appuyer sur plusieurs dispositifs : le droit à l’image et le droit de la personnalité, qui permettent de s’opposer à l’utilisation non consentie de son image ; le “right of publicity”, bien connu aux Etats-Unis, qui protège contre une exploitation commerciale non autorisée ; ou encore le droit à la vie privée, qui inclut la notion de “fausse lumière” lorsqu’une image déforme la réalité au point de porter atteinte à la réputation. Ces instruments offrent une certaine protection, mais restent souvent difficiles à activer, en particulier face aux deepfakes non pornographiques ou politiquement sensibles. C’est précisément ce vide que le nouveau droit d’auteur danois ambitionne de combler.

Enfin, le troisième enjeu concerne le cadre européen et la régulation numérique. L’AI Act, récemment adopté, impose déjà aux acteurs de l’intelligence artificielle des obligations de transparence, notamment pour signaler les contenus synthétiques. Pourtant, la définition juridique même du “deepfake” reste floue, ce qui laisse des zones d’ombre dans l’application du texte. La réforme danoise vient donc offrir une réponse plus concrète et opérationnelle à cette lacune. Elle s’inscrit aussi dans le prolongement du Digital Services Act, qui impose aux grandes plateformes numériques une réaction rapide face aux contenus illégaux. Mais là encore, le projet danois va plus loin : il adapte cette logique générale au champ sensible de l’identité numérique, où le visage et la voix deviennent de nouveaux objets de droit.
À l’heure où les deepfakes commencent à proliférer, notamment dans la sphère politique, créant des risques pour la réputation, la démocratie et la vie privée, la proposition danoise représente une avancée intéressante. Elle tend à établir un droit explicite sur l’usage des traits personnels face à l’intelligence artificielle, là où les instruments classiques du droit semblent atteindre leurs limites.