IA Act : tremplin ou frein pour la compétitivité européenne ?

Premier cadre législatif mondial sur l'intelligence artificielle, l'IA Act ouvre une nouvelle ère. Mais entre ambitions affichées et réalités de terrain, les entreprises françaises et espagnoles révèlent à la fois les espoirs et les craintes d'une Europe en quête de compétitivité.

Par Guillaume Rostand et Jérémie Benhamou.
L'adoption de l'IA Act par l'Union Européenne marque un tournant historique dans la régulation de l'intelligence artificielle. Premier cadre législatif global au monde sur l'IA, ce règlement suscite autant d'espoirs que d'inquiétudes. Alors que sa mise en œuvre s’échelonnera jusqu’en 2026, une question demeure : comment les acteurs économiques européens vont-ils transformer cette contrainte en levier de croissance ? Les observations sur le terrain révèlent une attitude largement attentiste de la part des entreprises françaises et espagnoles face à l'IA Act. Cette prudence, bien que compréhensible, masque des réalités contrastées entre les deux pays.

En France, seules 10% des entreprises de plus de 10 salariés utilisent actuellement l'IA, un chiffre inférieur à la moyenne européenne de 13%. Cette adoption limitée révèle un problème central: la pénurie de compétences. Les dirigeants français expriment une double crainte :ne pas disposer des talents nécessaires pour se conformer aux nouvelles exigences réglementaires et supporter des coûts de mise en conformité jugés trop lourds, particulièrement pour les PME, qui représentent l'essentiel du tissu économique français.

L'Espagne présente un profil différent mais tout aussi préoccupant. Avec 11,4% d'adoption de l'IA par les entreprises, le pays devance légèrement la France et affiche des résultats économiques encourageants : 70% des entreprises utilisant l'IA rapportent déjà des bénéfices. Mais paradoxalement, les entreprises espagnoles se montrent plus inquiètes face à la réglementation : selon une étude Deloitte, 46 % citent la conformité réglementaire comme principal obstacle à l’innovation.

Des attentes légitimes, des craintes fondées

Cette prudence s’explique par des attentes légitimes. Les entreprises espèrent que l’IA Act apportera la clarté juridique nécessaire pour investir sereinement dans l'IA. Elles attendent également que ce cadre européen devienne un avantage concurrentiel face aux géants technologiques américains et chinois, en valorisant une approche éthique et transparente de l'IA.

Mais les craintes sont réelles : la complexité du règlement (108 articles et de multiples annexes), les coûts de conformité, les délais d’application et surtout l’incertitude juridique. Le risque le plus redouté reste que la réglementation freine l’innovation et accentue la fuite des talents vers des écosystèmes plus permissifs.

Le risque d'une sur-réglementation Paralysante

L'Europe court le risque d'une sur-réglementation qui fragiliserait sa compétitivité. technologique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que l'adoption de l'IA stagne en Europe (13% en moyenne), elle explose ailleurs. Aux États-Unis, 56% des entreprises adoptent l'IA générative rapidement ou très rapidement, contre seulement 44 % en Espagne et probablement moins en France..

Cette divergence révèle un paradoxe : l’Europe excelle en recherche fondamentale, mais peine à transformer ses innovations en succès commerciaux.. La France dispose de 751 startups IA ayant levé 1,4 milliard d'euros en 2024, mais ces chiffres restent modestes face aux investissements américains et chinois. L'Espagne, malgré ses 2 milliards d'euros d'investissement depuis 2020, demeure aussi un acteur secondaire la  scène mondiale.

Une réglementation trop contraignante pourrait décourager les entrepreneurs européens et ralentir l’adoption de l’IA, creusant encore l’écart avec la concurrence internationale.

Quand les entreprises chinoises et américaines développent et déploient massivement l'IA, les européennes risquent de rester paralysées par la complexité réglementaire.

L'urgence d'une mobilisation européenne

Face à ce constat, il est urgent que l’Europe dépasse une approche strictement réglementaire pour fédérer ses forces. Chercheurs, entrepreneurs, investisseurs et décideurs publics doivent collaborer davantage pour transformer l’IA Act en opportunité stratégique.

Cette mobilisation est vitale car les enjeux dépassent largement la simple conformité : c’est une question de souveraineté technologique. Pendant que l’Europe débat de ses règles, les États-Unis et la Chine construisent déjà les écosystèmes de demain. Dans une course où la vitesse est déterminante, chaque mois compte.

Agir plutôt qu’attendre L’IA Act n’est pas une ligne d’arrivée mais un point de départ. Aux entreprises et aux gouvernements européens de faire de ce cadre un tremplin plutôt qu’un frein. Cela exige de dépasser l'attitude attentiste qui caractérise trop d'entreprises européennes aujourd'hui.

La France doit capitaliser sur  l’excellence en recherche et le soutien gouvernemental pour combler son déficit de compétences. L’Espagne doit transformer son avance en adoption en véritable leadership technologique durable. Mais surtout, les deux pays doivent unir leurs forces avec leurs partenaires européens, pour faire de l'IA Act un avantage concurrentiel plutôt qu'un handicap.

L'Europe a tous les atouts pour réussir : des chercheurs de classe mondiale, des entreprises innovantes, des capitaux disponibles. Il ne lui manque qu'une chose : l'audace d'agir. Car en matière d'IA, attendre, c'est déjà perdre.