Pourquoi ma tribune sur l'IA a déclenché une tempête, et ce que cela révèle vraiment de notre rapport au travail

Ricciarelli Consulting

Une simple chronique sur l'IA a déclenché une tempête inattendue sur LinkedIn. Non pas parce qu'il attaquait des métiers, mais parce qu'il touchait un point sensible.

Le jour où LinkedIn s’est embrasé : anatomie d’un malentendu révélateur

Il y a parfois des textes qui, sans l’avoir cherché, agissent comme un révélateur. Ils ne déclenchent pas seulement un débat, mais une déchirure, une fracture nette à l’endroit précis où se rencontrent les peurs, les frustrations, les certitudes et les tensions souterraines d’un secteur entier. 

La tribune que j’ai publiée dans le Journal du Net n’avait pas vocation à provoquer un incendie. Elle se voulait une réflexion simple, presque clinique, sur ce que l’intelligence artificielle transforme réellement : non pas les métiers, mais la perception que nous avons de leur utilité. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est la violence des réactions, la polarisation immédiate, les attaques personnelles, et, en contrechamp, les dizaines de messages privés de dirigeants, de CEO, de responsables marketing, qui, eux, ont parfaitement saisi l’objectif du texte.

Le procès en imposture : un débat qui masque le vrai sujet

La majorité des réactions outrées sur LinkedIn reposaient sur un contresens. Certains lecteurs ont projeté sur le texte une thèse que je n’ai jamais défendue : l’idée que des métiers seraient inutiles, décoratifs, « bons à remplacer ». Ce fantasme collectif, cette panique presque pavlovienne, témoigne moins d’un désaccord de fond que d’une anxiété profonde. L’IA, par sa vitesse d’exécution, par sa capacité à reformuler, résumer, synthétiser, s’attaque non pas aux métiers, mais aux zones de confort. Elle bouscule les routines, elle gomme la façade, elle expose les angles morts. C’est précisément cette exposition qui dérange. Non pas parce qu’elle détruit des professions, mais parce qu’elle impose, pour la première fois, une transparence que beaucoup n’avaient jamais eu à affronter.

La mauvaise question : “L’IA menace-t-elle les métiers ?”

Ce débat-là est stérile parce qu’il repose sur un imaginaire obsolète : une vision où un métier serait une entité figée, un bloc immuable, une compétence en soi. Or la transformation actuelle ne vient pas écraser des métiers, mais révéler les écarts entre ce qu’un métier est censé être et la manière dont il est parfois exercé. Les rédacteurs continuent d’exister, mais l’écriture vide ne suffit plus. Les traducteurs restent essentiels, mais la traduction approximative n’a plus sa place. Les graphistes gardent toute leur légitimité, mais l’esthétique interchangeable ne convainc plus. La question n’est donc pas de savoir si l’IA remplace : elle distingue. Elle distingue le métier réel du métier d’apparence. Elle distingue la valeur ajoutée de la simple exécution. Elle distingue l’expertise construite de la compétence mimée. Ce n’est pas une révolution contre les métiers : c’est une révolution contre la superficialité.

L’autre face du débat : le soutien massif en coulisses

Ce que les commentaires publics ne montrent pas, ce que les réactions visibles occultent complètement, ce sont les messages privés qui affluent. Des dirigeants m’écrivent, non pas pour applaudir la polémique, mais pour valider la réalité du constat. Ils parlent de recrutements compliqués, de missions où le niveau réel ne correspondait pas au niveau affiché, de freelances qui livraient par habitude, d’agences qui produisaient par automatisme. Ils ne se réjouissent pas de la situation, ils la constatent. Et tous décrivent le même phénomène : depuis l’arrivée de l’IA, il devient beaucoup plus difficile de dissimuler l’absence de méthode, de vision, de compréhension stratégique. Le vernis saute, la surface craque, le prétendu “professionnalisme” laisse apparaître ce qu’il dissimulait. L’IA ne remplace pas : elle clarifie.

Le point que beaucoup ont refusé de regarder en face

Derrière le bruit, derrière les indignations, se cache un enjeu beaucoup plus profond. Ce débat n’est pas un débat sur la technologie. C’est un débat sur la responsabilité individuelle. Pendant des années, beaucoup ont été enfermés dans des postes flous, des missions ambiguës, des rôles mal définis, créés par des organisations qui avaient besoin de remplir des cases, d’occuper des espaces, d’alimenter une structure interne sans demander de comptes réels sur la valeur produite. Ces métiers-là n’étaient pas décoratifs par essence : ils le devenaient faute de cadre, faute d’exigence, faute de direction claire. L’IA arrive, et brusquement, ce qui était supportable, acceptable, toléré, ne l’est plus. La technologie, en accélérant l’exécution, impose un examen impitoyable : qu’est-ce qui, dans mon métier, relève de la compétence véritable, et qu’est-ce qui relève de l’habitude ?

La question fondamentale : qu’est-ce que l’IA révèle de nous ?

Ce que montre cette polémique, c’est notre rapport compliqué à la valeur. La peur ne vient pas de l’IA, elle vient de ce qu’elle met en lumière. Elle renvoie chacun à une question radicale : qu’est-ce que je sais faire que la machine ne peut pas faire ? Pour beaucoup, cette question est violente, et elle l’est d’autant plus qu’ils ne sont pas responsables de l’avoir évitée. Les organisations ont fabriqué des zones de confort, des abris, des roles tampons. Elles ont produit des fonctions qui occupaient sans exiger. Elles ont créé des refuges où l’on survivait sans se confronter à sa propre utilité. Aujourd’hui, c’est ce refuge-là qui se fissure, non pas par la faute des salariés qui y travaillent, mais par la transformation d’un écosystème entier.

Ce que la polémique dit réellement de notre futur professionnel

Si ce débat est si vif, si les réactions sont si disproportionnées, c’est parce que l’enjeu dépasse largement la question des métiers menacés. Ce que révèle cette polémique, c’est que l’IA ne nous oblige pas à changer de métier : elle nous oblige à le réhabiter. Elle oblige les entreprises à redéfinir les attentes. Elle oblige les professionnels à retrouver la maîtrise, la méthode, la compréhension profonde de leur rôle. Elle oblige à sortir de l’automatisme pour revenir à l’intention, à l’analyse, à la pensée. L’IA n’est pas l’ennemie des métiers : elle est l’ennemie du vide.

Conclusion : une polémique utile, un débat nécessaire

Ce qui s’est passé sur LinkedIn n’est pas un simple épisode de crispation. C’est un signe, une tension révélatrice, un moment où un écosystème professionnel se retrouve face à son miroir. Oui, l’IA transforme. Oui, elle déstabilise. Mais elle donne aussi une occasion rare : celle de reconstruire la valeur, de redonner du sens, de réaffirmer la cohérence. À travers ce débat, ce que nous voyons, ce n’est pas la disparition des métiers, mais la possibilité de les réinventer. Non pas en les protégeant artificiellement, mais en les renforçant là où ils puisent leur légitimité : dans l’expertise réelle, la compréhension fine, la pensée stratégique.