L'entreprise sociale : ni fantasme, ni idéal, mais un modèle pragmatique
L'entreprise sociale concilie bien-être des salariés et enjeux business, exigeant un équilibre entre responsabilité sociale et réalité économique.
Qu’attendons-nous réellement d’une entreprise aujourd’hui ? Selon les points de vue, les réponses divergent mais en prenant un peu de hauteur, il semble que l’entreprise embrasse progressivement un rôle élargi. Un rôle où le bien-être des salariés est central, pour des raisons philanthropiques ou simplement business. Car oui ce modèle d’entreprise sociale ne peut être l’expression d’une conception idéalisée voire manichéenne de l’entreprise, mais une vision réaliste et optimiste de ce qu’elle peut et doit devenir.
Quelle époque ! Entre un contexte économique et politique opaque et incertain, le besoin pour les entreprises d’assurer leur activité et de parvenir à attirer et fidéliser les talents, sans oublier les enjeux climatiques à intégrer, les défis sont de taille. L’émergence ou l’affirmation de l’entreprise sociale comme modèle souhaitable répond aussi à une réalité où les salariés sont plus conscients des effets de leur environnement de travail sur leur santé mentale et physique. Le Covid, par la mise à distance forcée et ses conséquences, a permis d’asseoir plus encore le rôle de l’entreprise comme étant un des pivots du bien-être des salariés. In fine, les dirigeants ont gagné en maturité sur cet aspect mais ce rôle élargi peut faire peur : ne risque-t-on pas de retomber dans une forme de paternalisme économique ? Ou dans une forme de dépendance vis-à-vis de son entreprise ? Un calibrage est certes nécessaire mais l’évolution est en marche.
Business ou humain, la fin justifie les moyens
Dans une société où la nuance du discours semble être une qualité bien trop rare, évitons de tendre vers une situation extrême où l’entreprise sociale ne serait qu’un prétexte pour décharger l’État de ses propres responsabilités. Non, l’entreprise n’est pas garante des fonctions régaliennes, son action est complémentaire, ciblée et induit un dialogue direct avec ses collaborateurs. Quel est donc le juste milieu et surtout comment justifier, pour un chef d’entreprise, la décision d’incarner ce rôle social et les responsabilités associées ? Nous pouvons être certains d’une chose : nous ne changerons pas la nature d’une entreprise qui est, par définition, « une organisation de production de biens ou de services à caractère commercial ». Suivant cette logique, et si nous prenons l’exemple du bien-être des salariés, celui-ci serait pensé en fonction de son utilité pour l’organisation. Les avancées sociales au sein des entreprises ne seraient donc motivées que par une ambition transactionnelle ? La réponse est plus complexe qu’il n’y parait.
En effet, toutes les sociétés ne sont pas mues par des intérêts business dès lors qu’il s’agit d’intégrer ces sujets. Le cas des entreprises à mission en est un exemple comme bien d’autres n’étant pas estampillées comme telles. Quoi qu’il en soit, pour changer, il faut une impulsion et une conviction forte du côté du top management, y compris si la motivation initiale n’est pas entièrement fondée sur l’humain. Avec le temps, les chefs d’entreprise peuvent s’autoconvaincre du bien-fondé de la démarche surtout si les avantages sur l’activité sont mesurables. Le sport en entreprise en est un exemple puisqu’il est présenté aux organisations comme un service avec des bénéfices observables à moyen/long terme : meilleure santé mentale et physique, moins d’arrêts maladie, plus grande productivité. En fin de compte, et en grossissant le trait, la fin justifie les moyens tant qu’un dispositif comme le sport devient un vecteur de transformation pour l’entreprise. Seulement, il revient à cette dernière de prendre le risque de faire évoluer sa culture, ses approches pour être en phase avec les attentes placées en elle.
Est-on trop exigeant envers les entreprises ?
Notre société consacre de plus en plus une forme d’exigence généralisée, envers l’État, les entreprises, nos proches et surtout nous-mêmes. Nous sommes collectivement plus informés et, par conséquent, plus conscients de nos problématiques individuelles et collectives. L’injonction au changement qui s’ensuit n’est pas mauvaise en soi mais elle se heurte souvent à la difficulté d’une période de transition : certains pans de notre société prennent plus de temps à évoluer. Il nous faut donc être exigeant mais aussi réaliste, notamment envers les entreprises.
D’une part, les organisations doivent comprendre qu’elles peuvent tirer profit de ce rôle élargi d’entreprise sociale et d’autre part, la construction de ce nouveau modèle n’est pas du seul fait du chef d’entreprise. Les collaborateurs ont aussi la responsabilité d’initier le dialogue de la façon la plus constructive possible. La pédagogie va dans les deux sens et prendre conscience de cette réalité est d’ores et déjà une étape importante pour la transformation des entreprises.