Pierre Louette (Alliance de la presse d’information générale) "L'accord entre Mistral et l'AFP implique des risques de cannibalisation et de concurrence déloyale"

Pierre Louette, président de l'Alliance, réaffirme la volonté des éditeurs d'arracher des accords aux éditeurs d'IA, quitte à saisir la justice et plaide pour une réglementation européenne. En parallèle, il précise que Les Echos-Le Parisien est en discussions avec Perplexity.

JDN. L'Alliance a tenté de discuter avec toutes les plateformes d'IA pour que les éditeurs soient rémunérés pour les contenus qu'elles collectent, sans retour favorable de leur part. Quelle est la prochaine étape ?

Pierre Louette, président de l’Alliance et PDG du Groupe Les Echos-Le Parisien. © Apig

Pierre Louette. Nous n'avons pas eu de retour de la plupart en effet. OpenAI a décidé de nouer des accords avec très peu de titres, qu'ils choisissent par pays, un positionnement qui ne se défend pas d'un point de vue juridique. La seule vertu de ces accords isolés est de servir de preuve que la rémunération des éditeurs est possible. Ce faisant, les plateformes d'IA reconnaissent la qualité de ces contenus et l'importance de les acheter.

Cela fait plus d'un an que nous signalons aux crawlers qu'ils ne sont pas autorisés à collecter nos contenus et que pour cela une licence est nécessaire. Face à cette situation, nous rassemblons les preuves, nous mesurons les contenus qui sont aspirés sans autorisation et nous le faisons constater par huissier. Mais avant d'entamer l'étape de l'action en justice, nous essayons encore de relancer les négociations.

Nous sommes en début de discussions avec ProRata.ai, un acteur intermédiaire entre les éditeurs et les opérateurs d'IA, et je continue de penser que nous finirons par aboutir à un accord avec Mistral. A noter que Perplexity sort du lot en adoptant une posture très différente et proactive en souhaitant rémunérer les éditeurs et en venant nous chercher.

Perplexity est venu chercher l'Alliance ou le groupe Les Echos-Le Parisien que vous dirigez ?

Perplexity est venu chercher le groupe Les Echos-Le Parisien, et nous sommes en discussions avec eux ainsi que d'autres éditeurs. Le fait qu'ils soient ouverts et qu'ils disposent déjà d'une enveloppe signifie que les éditeurs pourront tous signer individuellement. La différence est de taille ici : Perplexity reconnait que nous avons droit à cette rémunération. Leur vision des médias semble plus respectueuse de la création et de l'information.

Que pensez-vous de la proposition financière de Perplexity avec Comet Plus ?

Avec Comet Plus, Perplexity donne des signaux positifs aux éditeurs. Mais il est encore tôt pour se prononcer sur le volet financier : tout dépendra du montant qui sera proposé. Espérons que l'on ne se retrouve pas comme pour les droits voisins face à des plateformes qui lèvent des milliards et qui proposent des miettes.

"Perplexity est venu chercher le groupe Les Echos-Le Parisien, et nous sommes en discussions avec eux"

Il est fondamental que le caractère particulier des contenus d'information politique et générale soit reconnu. Ce qui compte ici, ce n'est pas la quantité relative de ces contenus, mais leur valeur et leur importance dans le débat démocratique.

Que pensez-vous de l'accord noué entre Mistral et l'AFP ?

Cet accord de l'AFP a, comme je le disais, la vertu de montrer la possibilité que les fournisseurs d'IA générative rémunèrent les contenus. Ceci posé, il soulève aussi un certain nombre d'inquiétudes chez nos éditeurs membres. Tout d'abord, il implique un risque de cannibalisation des contenus que nous publions et pour l'alimentation desquels nous payons l'AFP. Les lecteurs seront moins disposés à s'abonner à nos titres. Il présente de plus un risque de concurrence déloyale : en utilisant les contenus de l'AFP, Mistral pourra être moins enclin à nouer des accords avec la presse. Nous serions donc évincés avec l'aide de la coopérative de presse que pourtant nous finançons.

L'AFP est à la fois une coopérative de presse et une agence avec une mission de service public, prévue à sa création, de servir la presse française. L'AFP ne doit par conséquent pas desservir la presse française en lui retirant des recettes.

L'argument qui nous est présenté de façon un peu trop impérieuse est que nous ne disposerions pas d'une propriété complète sur les contenus de l'AFP que nous utilisons. Ce raisonnement heurte beaucoup d'éditeurs de presse, qui paient des abonnements pour avoir accès à ces informations.

Un mot sur AI Overviews et l'AI Mode de Google, pas encore activés en France ?

AI Overviews affiche des réponses de plus en plus longues, qui ont comme matière-première en partie les contenus produits par les éditeurs de presse. Le risque majeur est de distraire une part massive du trafic qui arrive sur les sites Internet des éditeurs dont certains sont très dépendants et de fragiliser ainsi les revenus déjà modestes tirés de la publicité digitale et du droit voisin.

Il est important de dire que bien que AI Overviews ne soit toujours pas déployé en France, il utilise dans les pays où il l'est les contenus des éditeurs de presse français sans aucune rémunération.

"Il existe un chemin pour faire évoluer les accords sur le droit voisin pour y intégrer l'IA"

De façon plus générale, AI Overviews et AI Mode apportent des modifications fondamentales au service de recherche actuel proposé par Google qui, rappelons-le, utilise et rémunère nos contenus dans le cadre de nos accords sur le droit voisin. Il existe un chemin pour faire évoluer ces accords pour y intégrer l'IA. Les éditeurs ne sont pas réfractaires à l'innovation, au contraire, en particulier si la valeur ainsi générée est justement partagée.

L'Alliance et le SEPM ont réussi à obtenir le retrait des contenus des éditeurs de presse des bases de Common Crawl. Quelles autres mesures envisagez-vous pour limiter l'accès non autorisé à vos contenus par les plateformes d'IA ?

Nous avons en effet obtenu le retrait des contenus de 81 éditeurs des bases Common Crawl. Nous allons maintenant nous rapprocher des tous les fournisseurs qui ont publiquement admis avoir utilisé les contenus de ces bases pour entrainer leurs modèles. Parmi ces derniers, nous pouvons citer Meta et Microsoft. Nous espérons qu'ils se montreront réceptifs et qu'ils accepteront de discuter avec nous. Il nous faut nous accorder sur un système de rémunération pour l'usage de nos contenus aujourd'hui aspirés sans autorisation. S'ils ne se montrent pas favorables à une négociation, en revanche, nous serons obligés de les poursuivre en justice et nous le ferons de manière coordonnée. A noter que nous avons déjà des négociations en cours avec ces deux acteurs pour l'épineux dossier des droits voisins.

Sur les droits voisins justement, la discussion avec Meta ne semble pas vraiment avancer puisque vous venez de saisir l'Autorité de la concurrence française contre la plateforme.

Meta a massivement réduit les montants proposés au titre des droits voisins alors que ses revenus n'ont cessé d'augmenter. Avec Meta, les éditeurs sont dans une relation asymétrique. Nous souhaitons que l'Autorité de la concurrence se penche sur ces pratiques pour les qualifier.

Tout compte fait, croyez-vous vraiment en une issue positive pour vos négociations avec toutes ces plateformes d'IA sur le moyen ou long terme ?

Nous sommes engagés dans une action de longue durée pour que les plateformes d'IA respectent nos droits de propriété intellectuelle sur l'ensemble de nos contenus. Lors de la bataille des droits voisins, que nous avons menée avec un certain succès, nous nous sommes appuyés sur une directive européenne et sur sa transposition en droit français. Concernant les négociations avec les plateformes d'IA, nous disposons d'arguments juridiques fondés notamment sur la concurrence déloyale, la dépendance économique et le droit d'auteur mais il serait opportun qu'un texte européen spécifique à la protection des contenus des éditeurs vis-à-vis du pillage des moteurs d'IA soit adopté. Une directive qui reconnaitrait la présomption d'utilisation de nos contenus par ces LLM renforcerait la défense de nos actifs.

"Il serait opportun qu'un texte européen spécifique à la protection des contenus des éditeurs vis-à-vis du pillage des moteurs d'IA soit adopté"

Comme pour les droits voisins, à chaque fois ces plateformes expriment une profonde incompréhension vis-à-vis de nos demandes, comme si nous étions réfractaires aux progrès technologiques. Ils nous demandent de démontrer que nos contenus sont utilisés, ce qui n'est pas une tâche facile, sauf quand ils sont cités. Ils argumentent que les contenus de presse, quand nous sommes plusieurs à relater une même information, n'ont pas de valeur. Nous ne sommes évidemment pas d'accord avec ces arguments. Les éditeurs de presse fournissent des contenus sourcés et validés, et le pluralisme est essentiel au débat démocratique (l'Alliance représente des éditeurs employant 14 000 journalistes, ndlr).