Cédric Villani "OVH pourrait devenir le cloud souverain européen dans l'IA"

Le mathématicien et député LREM de la cinquième circonscription de l'Essonne remet ce jeudi 29 son rapport sur l'intelligence artificielle à Emmanuel Macron.

JDN. Dans votre rapport, vous définissez quatre secteurs prioritaires dans l'IA : la santé, l'écologie, les transports-mobilités et la défense-sécurité. Pourquoi ?

Cédric Villani est mathématicien et député La République En Marche (REM) de la cinquième circonscription de l'Essonne. © Fabien Rouire

Cédric Villani. Nous avons proposé ces quatre domaines comme champs prioritaires de politique publique car il s'agit des plus avancés dans l'IA. Mais il est clair qu'en matière d'intelligence artificielle, des expérimentations doivent être menées partout. Plus globalement, nous recommandons de créer une dynamique de coopération entre la recherche et les différents secteurs d'activité. C'est ce qui manque en France.

Il est important de développer une plus grande interdisciplinarité car l'IA se développe avant tout en rapport avec des usages sectoriels. En Israël par exemple, on relève des équipes composées de chercheurs dans la santé et dans l'IA. Aux Etats-Unis, le MIT et la faculté d'Harvard ont développé des projets associant à la fois des étudiants en droit et des étudiants en mathématiques algorithmiques. En France a contrario, nous avons certes de très bons mathématiciens, mais avec peu d'interfaces avec le droit ou la santé.

Vous recommandez notamment la mobilisation de la BPI aux côtés de l'agence pour l'innovation de rupture voulue par le président de la République. Mais à aucun moment vous ne chiffrez le montant de l'aide publique à mobiliser dans l'IA ?

L'intelligence artificielle est un sujet à 360°. Sur ce terrain, un bon budget est par conséquent la somme de plusieurs. Que ce soit dans la recherche, l'infrastructure, la formation... mais aussi dans les secteurs qui seront jugés prioritaires. Au total, une dizaine de ministères pourraient être impliqués. Le chiffrage dépendra des choix techniques de chacun. Dans un premier temps, nous recommandons de répondre à deux urgences : soutenir la recherche et promouvoir les talents dans l'IA d'une part, structurer la gouvernance des données d'autre part.

En termes d'intérêts stratégiques dans l'IA, où placez-vous le curseur entre la France et l'Europe ?

Il n'existe pas de tension entre la France et ses voisins européens sur ce sujet. La compétition vient avant tout des Etats-Unis et de la Chine. La question du rapport de force, et in fine celle de la souveraineté, se pose donc au niveau de l'ensemble de l'Union européenne et pas seulement de la France. Elle se traduit par trois problématiques. La première est technique, la deuxième juridique, et la troisième stratégique et organisationnelle, avec à la clé le sujet de savoir avec qui sont partagées les datas.

Pour dynamiser les projets en IA, vous émettez l'idée d'un grand hackathon, avec des financements publics à gagner. Vous évoquez des prix allant de 500 000 à 2 millions de dollars...

En France, certains grands chantiers d'innovation se sont joués à travers des défis. C'est le cas dans l'aviation par exemple. Nous avons aussi une culture de l'excellence qui passe par l'organisation de grands salons internationaux. Organiser une telle initiative dans l'IA serait un bon moyen de mobiliser les forces du pays. Aux Etats-Unis, la DARPA (la Defense Advanced Research Projects Agency, qui est à l'origine d'Arpanet, l'ancêtre d'Internet, ou encore du GPS, ndlr) s'est développée autour de cette philosophie.

"On pourrait par exemple organiser les 24 heures du Mans de la voiture autonome"

Très concrètement, on pourrait par exemple organiser les 24 heures du Mans de la voiture autonome. Les grands constructeurs de véhicules auraient l'occasion de venir y faire la preuve de leur innovation (aux Etats-Unis, la DARPA avait monté il y a quelques années ce type de manifestation ndlr). Plus globalement, le développement de l'IA dans les transports, et dans la voiture autonome en particulier, doit faire partie des priorités, notamment compte-tenu de la force de la France dans ce secteur.

Vous évoquez l'enjeu de lancer un cloud souverain européen dans l'IA. Vous indiquez que cette initiative pourrait être menée via un partenariat avec "un acteur du cloud européen". OVH n'est-il pas tout désigné ?

OVH pourrait effectivement être un acteur éligible à la démarche. Même si cette société française n'a pas la taille des clouds américains, c'est le seul fournisseur de cloud de dimension européenne qui a une réelle ambition de développement mondial. Si l'idée d'un tel cloud est retenue, des arbitrages devront naturellement être réalisés au niveau ministériel. Il ne faudra surtout pas aller trop vite au risque de retomber dans le piège du cloud public d'Etat. On a vu ce que ça pouvait donner avec l'échec des deux clouds souverains français. Ce type de chantier comporte certes un volet technologique. Mais il ne peut pas aboutir sans une bonne compréhension du marché et des besoins sur le terrain. En parallèle, il est également important de se doter en Europe d'un supercalculateur performant taillé pour l'IA, notamment dans l'optique de faire le poids face aux Etats-Unis.

Vous mettez aussi en avant l'enjeu de développer des plateformes d'applications sectorielles comme levier d'émulation. Mais pourquoi sectorielles ?

Comme je l'ai déjà dit l'intelligence artificielle est forcément liée à un usage, à un secteur particulier. Ces plateformes seraient un moyen pour l'état d'initier une dynamique. A l'écosystème de la recherche en IA et aux acteurs économiques d'apporter des solutions, d'y échanger des applications... La logique rejoint celle des grands acteurs américains du numérique. Quand Google a lancé Tensorflow (une infrastructure open source de machine learning, ndlr), c'était pour capitaliser ensuite sur l'investissement d'une communauté mondiale de développeurs autour de ce projet open source.

Cédric Villani est un mathématicien titulaire en 2010 de la médaille Fields. Il est député La République En Marche (LREM) de la cinquième circonscription de l'Essonne. Il siège à la commission des Lois et préside l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Professeur à l'université de Lyon, il a été directeur de l'Institut Henri Poincaré de 2009 à 2017. Membre de l'Académie des sciences, Cédric Villani a publié plusieurs ouvrages dont "Théorème Vivant".