L'écosystème d'excellence proposé par l'Europe pour l'IA : utopie ou réalité ?

Le livre blanc émis par l'Union Européenne en février est censé décrire un écosystème d'excellence. Mais il ne détaille pas suffisamment la façon dont on va aborder le problème de l'adoption de l'IA par les entreprises.

Le livre blanc émis par la Commission européenne courant février, exposant la politique sur l'intelligence artificielle (IA), représente une étape nécessaire - bien que tardive – pour se différencier de la stratégie des États-Unis et de la Chine en la matière. L'Union européenne (UE) a pris du retard par rapport à ces deux pays sur tout ce qui touche de près ou de loin à l'IA.

Dans ce rapport, l’UE reconnaît la nécessité pour elle de se pencher sur la bataille de la data et sur celle de la mise à l’échelle de l’IA pour les entreprises déjà bien établies, dans un contexte de relative pénurie des talents dans l’IA et des efforts de recherche, une pénurie pas aussi importante toutefois que dans le secteur du B2C. Cependant, ce plan censé décrire un écosystème d’excellence ne détaille pas suffisamment la façon dont on va aborder le problème de l’adoption de l’IA par les entreprises. Effectivement, la focalisation sur la confiance et le cadre réglementaire est seulement discutée sous l’angle de la lutte contre les conséquences négatives de l’IA, et cela révèle un état d’esprit peu propice à l’innovation selon de nombreux articles d’opinion. Or, la transparence pourrait aider à faire fi de l’une des plus importantes barrières rencontrées par ceux qui souhaitent utiliser les nouvelles technologies : la communication.

Concentrer les efforts de l’UE sur les vraies problématiques

L’écosystème d’excellence est une opportunité pour l’UE de prendre à bras le corps le plus faible taux d’adoption de l’IA par les entreprises des États de l’Union, face à la Chine et aux États-Unis. Ceci n’a pas manqué d’éveiller un certain scepticisme autour de l’IA dans de nombreuses entreprises, laquelle est souvent perçue comme injustifiée et comme un phénomène surestimé. D’une manière générale, il a été plus compliqué que prévu pour les entreprises de mettre en place des solutions innovantes dans leurs organisations. Les progrès effectués ont concerné des problèmes assez terre-à-terre qu’on pourrait considérer comme non stratégiques. Ceci contraste par rapport au secteur du B2C, où les initiatives impliquant l’IA façonnent désormais notre quotidien.

Une entreprise qui souhaite réussir grâce à l’IA ne peut tout simplement pas se contenter des modes opératoires actuels : mener des changements stratégiques autour des procédés d’entreprise constitue un impératif. Plutôt que de chercher désespérément à rattraper les États-Unis et la Chine en matière de compétences et innovations IA, l’UE doit se centrer sur les compétences adéquates, les outils et mécanismes de communication pour faire prospérer son écosystème stratégique.

Mettre en place une nouvelle stratégie de compétences

Le livre blanc expose les actions que l’UE compte mettre en œuvre pour augmenter le niveau général des compétences techniques, via une "nouvelle stratégie pour les compétences" ou "Skills Agenda" qui sera présentée prochainement. Mais l’expérience a déjà montré à beaucoup que se reposer uniquement sur des experts techniques de la donnée et espérer qu’ils règlent les problèmes sans aucune connaissance du secteur mène droit à l’échec. La pénurie la plus critique concerne les compétences transversales : celles qui combinent des connaissances techniques à une connaissance du secteur pour résoudre les problèmes spécifiques à un domaine. Développer ces compétences-ci doit figurer au cœur de l’agenda de collaboration industrielle – les entreprises devant se détacher de l’approche en silos pour implémenter l’intelligence artificielle.

En plus d’assurer ces montées en compétences, il faut rendre l’IA plus accessible aux utilisateurs non-spécialistes. En effet, il n’est pas rare que pour beaucoup, les innovations algorithmiques soient révolutionnaires par rapport aux procédés actuels : de fait, appliquer les toutes dernières technologies de deep learning reviendrait à casser une noix avec un masse de forgeron. Souvent, ce qui serait nécessaire serait un meilleur outillage autour d’approches bien pensées, pour que l’IA puisse aussi être utilisée par des non-spécialistes. À l’heure où l’UE reconnaît l’importance du partage et de la collaboration autour des données, avec notamment la stratégie parallèle de l’UE sur la donnée, nombreuses sont les PME dont le développement de nouveaux produits et services dépendra de leur capacité d’utilisation de leurs données en propre. Cet outillage qui ne reposerait pas sur des investissements massifs demandant des experts techniques (dont les entreprises ne disposent pas au quotidien) ou de tierces-parties pour leur exploitation, donnerait à ces PME de belles opportunités.

Confiance, transparence et communication

Enfin, revenons sur la question de la communication et de la confiance. Comment l’IA peut-elle gagner le cœur et l’esprit des différentes parties prenantes de l’entreprise, comment surmonter leur scepticisme ?

Bien que, dans le livre blanc, et à juste raison, l’attention soit portée sur les cas d’usage à haut risque, il est surprenant que l’impact positif d’une transparence accrue pour éduquer les collaborateurs et les convaincre des bénéfices de l’IA n’y soit pas débattu.

D’après une étude récente, les leaders du marché voient l’IA comme un moyen pour les collaborateurs de travailler plus efficacement, plutôt que comme un moyen de remplacer les emplois par la robotisation. Les employés doivent donc avoir une pleine confiance dans le fonctionnement de cette technologie. Ceci comprend d’une part la transparence sur la manière dont la donnée est utilisée par les algorithmes et d’autre part la livraison de résultats à même de faciliter la prise de décision par l’humain.

De plus, la transparence des résultats permettra aux collaborateurs d’être capables de communiquer plus efficacement avec les autres parties prenantes, afin de générer de la valeur sans pour autant s’enliser dans les détails techniques. Le fait que le livre blanc reconnaisse la nécessité d’établir des ponts entre les différentes disciplines académiques afin de promouvoir l’explicabilité de l’IA est déjà une grande avancée à cet égard.

De manière générale, ce livre blanc constitue un premier pas important vers l’adoption accrue de l’intelligence artificielle en entreprise, et le travail sur la transparence semble présenter plus d’avantages que ceux anticipés par les institutions européennes. Cependant, il y a encore du chemin à parcourir pour une meilleure appréhension des besoins spécifiques des entreprises quant au bon fonctionnement de l’IA, si l’on souhaite que son écosystème d’excellence européen soit un véritable succès.