Experts IA et entreprises : un choc des cultures à dépasser pour un passage à l'échelle

Alors que la crise sanitaire a démontré l'urgence de la transformation digitale, les entreprises et les experts en IA doivent apprendre à mieux se connaître, voire s'apprivoiser, pour savoir travailler ensemble et enfin accélérer le développement - et l'aboutissement - de projets IA en France.

Si les apports de l'IA pour le développement des entreprises ne sont plus à prouver, de nombreux challenges restent à relever pour un passage à l'échelle, dont celui de l'acculturation réciproque. Alors que la crise sanitaire a démontré l'urgence de la transformation digitale, les entreprises et les experts en IA doivent apprendre à mieux se connaître, voire s'apprivoiser, pour savoir travailler ensemble et enfin accélérer le développement - et l'aboutissement - de projets IA en France.

La France : un vivier de talents en mathématiques

En matière d’intelligence artificielle, la France se démarque du reste de l’Europe par un taux plus faible d’adoption de cette technologie : 36% des entreprises ont recours à au moins une solution d’IA contre 42% pour la moyenne européenne. Et pourtant, le métier d’ingénieur en IA est le deuxième métier le plus émergent selon une étude de Michael Page, spécialiste des recrutements IT et informatiques. Un décrochage qui illustre la difficulté des entreprises, et notamment des grands groupes, à recruter des talents de l’IA, alors même que le pays possède en son sein l’une des meilleures Université en mathématiques, Paris-Saclay, 1ère du classement de Shanghai de 2021 ! Un paradoxe éloquent, propre à la culture française...

Deux mondes qui ne se connaissent pas …

Une chose est certaine, la France sait former des profils de haut niveau dans le domaine de l’intelligence artificielle. Le Paris Digital Lab de CentraleSupélec, qui a formé, depuis 6 ans, plus de 250 étudiants, en est la preuve. Le Lab a, depuis ses débuts, contribué à créer une communauté de l’IA qui regroupe aujourd’hui plus de 2 500 membres, aussi bien dans des entreprises que dans le monde académique et de la recherche. Pour autant, tous ces talents ne vont pas encore irriguer les entreprises de l’Hexagone… Les jeunes ingénieurs spécialisés en data science, choisissent prioritairement les startups où l’Intelligence artificielle est au cœur du produit ou les entreprises de développement et de conseil expertes en IA et ensuite, seulement, les grands groupes ayant créé des équipes data science avec une taille critique. Les titulaires de doctorats, de leur côté, souffrent d’un manque de considération de leur diplôme. Contrairement au PHD anglo-saxons, il n’est toujours pas assez valorisé et encore mal appréhendé, particulièrement dans le secteur privé, qui se tourne plus naturellement vers des profils d’ingénieurs. Un manque d’appréciation qui fait le bonheur des entreprises de la Tech de la Silicon Valley qui, elles, n’hésitent pas à venir en France recruter nos meilleurs Docteurs, faute de débouchés français pour ces derniers. 

Autre spécificité franco-française : la frontière très marquée qui existe entre le monde universitaire et celui de l’entreprise. Tandis que les partenariats entre écoles et entreprises existent de longue date et se développent dans des formats innovants, les passerelles avec les universités sont plus rares.

Un besoin urgent de créer un écosystème propre à l’IA

Cette tendance semble (enfin !) s’infléchir grâce à différentes initiatives : la Banque Publique d’Investissement a lancé le dispositif "jeunes docteurs" qui prend en charge le salaire des docteurs durant 2 ans, dès lors qu’ils sont recrutés par une entreprise.  Une autre démarche de la BPI qui vise à faire de la France une championne de l’IA est révélatrice des lacunes françaises : faire sortir les innovations des laboratoires de recherche et pousser les docteurs à se lancer dans l’entreprenariat. L’objectif de la BPI est de doubler le nombre de startups issues de la recherche d’ici 2023*. 

Si ces initiatives publiques constituent des leviers pour accélérer le recrutement de profils experts et le développement de l’IA en France, les entreprises ont également leur rôle à jouer dans cette dynamique. Elles doivent impérativement s’acculturer à cette technologie, son fonctionnement et ses codes. Pour que des organisations se transforment et imaginent le futur, elles doivent avoir conscience de tous les enjeux propres à l’IA : technologique et éthique certes, mais également managériaux et organisationnels. Cela suppose donc d’acculturer à l’IA les comités de direction, les managers, les utilisateurs métiers clés, et de former des Chefs de projet IA capables de conduire ces projets si particulier avec les défis de l'Éthique notamment. Par ailleurs, les experts, au profil singulier, ont besoin d’un environnement adapté et stimulant : Il est donc essentiel de créer également, au sein même de l’entreprise, un écosystème propice à l’essor d’une véritable culture de l’IA, dans lequel ces derniers (data scientistes, chercheurs, …) puissent vraiment s’épanouir. 

La gestion des talents et des compétences en IA doit aujourd’hui être au cœur de la stratégie des entreprises françaises qui souhaitent intégrer cette technologie porteuse d’innovations pour faire face aux nouveaux challenges. Qu’il s’agisse de RH, d’éducation, de médecine, de logistique, de marketing, ou de relation client, l’IA a besoin de profils compétents et experts pour exprimer son potentiel maximal. L’enjeu pour ces entreprises est donc de prendre conscience qu’il est indispensable de créer un environnement spécifique et adapté pour permettre aux différents profils qui la compose de coexister.

*Enquête « Jeunes talents et entrepreneuriat Deeptech », PhDTalent et BPI, mai 2020.