Une étape majeure vient
d'être franchie dans le conflit qui oppose la filiale
française de Yahoo et plusieurs associations de lutte
contre le racisme comme la Licra, l'Uefj et le Mrap. Au terme
d'une sixième audience (mais toujours en première
instance), le Tribunal de Grande instance, statuant en référé,
a d'abord constaté le respect par Yahoo
de la décision du 22 mai dernier l'obligeant, pour
les internautes français, "à
prendre les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible
toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux
enchères d'objets nazis et de tout autre site ou service qui
constitue une apologie du nazisme ou une contestation des
crimes nazis". Le juge a constaté que Yahoo France
avait satisfait à ces obligations en publiant un avertissement
systématique informant les internautes français
lorsqu'ils accèdent au site Yahoo.com.
En revanche,
le président du tribunal a condamné Yahoo.inc,
la maison-mère américaine du groupe, à
mettre en place un système de filtration empêchant
l'internaute français d'accéder aux ventes aux
enchères d'objets nazis proposées sur le site
yahoo.com.
"Il
s'agit d'une décision décevante pour Yahoo Inc
car le juge demande l'application d'une méthode dont
les experts eux-même ont montré qu'elle était
fragile et qu'elle ne répondait pas aux objectifs",
réplique Philippe Guillanton, directeur des opérations
de Yahoo Europe.
Les solutions
techniques de "filtrage" des internautes français
présentées par les experts consistaient en effet
à ne pas traiter les demandes des internautes identifiables
comme étant connectés depuis la France (60 à
70% des internautes connectés en France) conjugué
à un système de filtrage des mots clefs et un
système de déclaration volontaire. Marc
Knobel, membre du conseil exécutif de la Licra et représentant
de cette association dans ce dossier, reste conscient des
faiblesses de ce filtrage. Mais il estime qie "le fait
d'empêcher 75 à 80% des internautes français
d'avoir accès à ce type de contenu illicite
au regard du droit français sera déjà
un grand pas." Il précise toutefois que pour son
association, la meilleure solution serait "la suppression
pure et simple par Yahoo de ce commerce ignoble et barbare
sur ses sites!" De son coté, Philippe Guillanton
estime que "ce filtrage de nature purement douanier empêchera
également d'avoir accès à des objets
aussi nobles que le journal d'Anne Franck ou des collections
comémoratives de la Shoa, aujourd'hui disponibles sur
le site de ventes aux enchères."
La société
Yahoo Inc, qui ne s'est pas encore prononcée sur la
position qu'elle allait adopter, dispose aujourd'hui de trois
solutions:
- mettre en place des systèmes de filtration présentés;
-
interjeter appel de la décision;
- attendre une éventuelle ordonnance d'exequatur, décision
rendue par un juge américain qui seule donnerait force
exécutoire à la décision rendue par la
juridiction française. Mais
l'obtention d'une telle ordonnance, procédure longue
et complexe, paraît très improbable sur le plan
juridique (lire sur le sujet l'article
de Me Eric Barbry dans le JDNet ), le droit américain
n'empêchant pas la commercialisation d'objets nazis,
contrairement au droit français.
Comment
comprendre alors le sens de la décision qui vient d'être
rendue par un magistrat particulièrement sensibilisé
par les experts aux limites techniques des mesures de filtrage
et connaissant parfaitement l'improbable force exécutoire
de cette dernière sur le sol américain? Pour
Marc Knobell, de la Licra, "le juge a d'abord été
attentif à notre demande toute simple : que l'on ne
permette plus dans une démocratie de vendre des objets
de la barbarie !" Philippe Guillanton y voit, lui, l'impossibilité
pour un magistrat de se déjuger et donc de revenir
sur sa
première décision du 22 mai. "Il aurait
peut-être été préférable
de demander les expertises avant cette première décision,
affirme le responsable de Yahoo, pour qui "des méthodes
plus pédagogiques nous auraient permis dans le temps
de décourager les quelques nostalgiques de ces idéologies
condamnables." Mais
Marc Knobel de la Licra rappelle également que Yahoo
avait, dans un premier temps, purement et simplement rejeté
la perspective de discussion sur le sujet, invoquant l'incompétence.
Puis, le juge ayant confirmé sa compétence,
Yahoo avait invoqué l'impossibilité de dire
ce qui était visible ou pas par les internautes.
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