Le lundi 13 juin 2005, le
Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné aux sociétés France Télécom
services, Free, AOL France, Tiscali Accès, Télé 2 France, Suez Lyonnaise Télécom,
Neuf Télécom, T-Online France, NC Numéricable et au GIP Renater de mettre en place
des mesures permettant de bloquer l'accès à partir du territoire français
au site révisionniste "Aaargh". Anne Cousin, directrice du pôle contentieux
et du département presse Alain Bensoussan-Avocat, commente cette décision
et revient sur ses implications. JDN.
Pourquoi le juge Emmanuel Binoche du TGI de
Paris s'est-il retourné, dans cette affaire, contre les FAI et non contre
l'éditeur ou les hébergeurs du site ? Anne
Cousin. En fait, l'ordonnance du 13 juin 2005 fait suite à deux autres
ordonnances qui portaient sur la même affaire. La première a été
publiée le 25 mars 2005 et la seconde, le 20 avril. Ces deux ordonnances
assignaient les hébergeurs, tous américains, à donner le
nom de l'éditeur du site et à comparaître devant le juge.
Deux requêtes qui sont restées sans réponse malgré
la diligence des plaignants. Aussi, le juge a estimé que la seule chose
qu'il pouvait faire, les autres recours ayant été épuisés,
était d'ordonner aux FAI français de bloquer l'accès au site
de Aaargh. Pour cela, il s'est appuyé sur l'article 6.I.8 de la Loi pour
la confiance dans l'économie numérique. Celui-ci indique en effet
que "l'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute
personne mentionnée au 2, ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes
mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné
par le contenu d'un service de communication au public en ligne." C'était
la seule mesure raisonnable. Mais, il est vrai que cette décision est une
première en France.
Quelle jurisprudence pourrait découler
de cette décision ? Il est évident que cette décision
devrait faire jurisprudence. Mais le juge Binoche a toutefois fixé des
limites à l'utilisation de l'article 6.I.8 de la LCEN, pour éviter
des dérives, puisque l'appréciation de la situation de blocage suite
à l'épuisement de tous les recours, reste du ressort du magistrat.
En ce qui concerne cette affaire, il a indiqué qu'il n'avait invoqué
cet article que dans la mesure où les précédentes démarches
avaient été épuisées, qu'elles avaient fait l'objet
de réels efforts de la part des associations mais qu'elles n'avaient pas
eu l'effet escompté. Il faut rappeler que cette procédure a été
engagée au civil et non au pénal et que la justice n'a pas les moyens
d'obliger les hébergeurs à comparaître devant un juge en France.
Par ailleurs, cette décision a été rendue dans le domaine
de la Loi sur la presse, où il faut trouver un responsable. Ici, le mot
responsable ne signifie toutefois pas responsable des contenus. Est-ce
que cette décision ne révèle pas les limites du droit par
rapport à la réalité de l'Internet qui est un réseau
international ? Non, au contraire. Cette décision comble
un vide puisqu'elle donne une réponse à une situation qui serait
restée sans solution autrement. |