L'industrie musicale française, qui
fait face actuellement à une baisse significative
des ventes de disques et à la concurrence du
téléchargement gratuit est en difficulté.
En première ligne, les producteurs, qui réfléchissent
aux solutions pour enrayer cet engrenage. Hervé
Rony, directeur général du Syndicat
national de l'édition phonographique (SNEP),
qui regroupe la majorité des producteurs de disques
français, a répondu à vos questions
sur le piratage, la RIAA, l'implication des FAI, les
modifications du cadre législatif et les nouveaux
business models envisagés par les producteurs.
|
Invité : Hervé Rony,
directeur général du SNEP
(Syndicat National de l'Edition Phonographique) |
Date : jeudi 25 septembre, 18h-19h
|
Nombre de questions retenues : 28
|
|
Le
SNEP, kézako ?
Hervé Rony : Le SNEP est le syndicat
qui regroupe à la fois les majors du disque et une trentaine
de producteurs indépendants. Il est affilié à l'IFPI,
fédération mondiale de l'industrie dont est aussi membre
la RIAA, équivalent du SNEP aux USA.
Ne
pensez-vous pas que les téléchargements "illégaux" ne
soient les prémices d'un changement de business model
dans votre secteur ?
Si, vous avez raison, le modèle peer to peer amène
l'industrie à évoluer. Tout le problème, on va sûrement
en reparler, est de sortir du tout gratuit qui n' a
aucun avenir pour la création musicale, et de trouver
de nouveaux business models.
Pour vous qu'est-ce que le
mp3, en 1 mot ?
Le MP3 n'est qu'une norme rien de plus. Ce qui est
intéressant, c'est ce qu'on peut en faire
Le mp3 pour vous, ange ou
démon ?
Ni ange ni démon, juste un progrès technique qu'il
faut appréhender sous cet angle. L'économie de la musique
de demain, voilà le vrai débat.
Si vous contrôliez la distribution
de musique sur Internet, quelle serait votre politique
de prix ? Répercuter les gains en diffusion sur le prix,
augmenter la part des auteurs, ou obtenir un niveau
de marge exceptionnel en gardant un prix équivalent
à la distribution actuelle ?
La politique du prix, c'est prendre en compte les
paramètres suivants : coûts de l'enregistrement, de
sa promotion, royalties auteurs-artistes et, car c'est
vital, définir le seuil de rentabilité donc le prix
final consommateur. Aujourd'hui, il faut trouver l'équilibre
entre l'attractivité de l'offre, son prix, et la rémunération
des artistes, des auteurs et des producteurs qui investissement
économiquement.
Qu'elle est l'activité principale
du Syndicat national de l'édition phonographique ? Mène
t'elle des actions répressives ?
Le SNEP agit pour défendre les intérêts de ses
membres comme tout syndicat. Nous ne menons pas en tant
que tel des actions répressives. C'est le rôle des producteurs
eux-mêmes et des sociétés civiles, SCPP et SPPF ainsi
que la SACEM. Le SNEP agit surtout au niveau des textes
de loi de nature à nous aider à agir.
L'action de la RIAA, vous
en pensez quoi ?
Je pense qu'on ne peut pas faire de comparaison
avec la situation française. En fait, la RIAA a prévenu
depuis de longs mois des risques encourus et pénalement,
il faut bien comprendre que ceux qui téléchargent à
outrance (des milliers de titres) ne respectent pas
la loi. Ceci étant, pour reprendre une image un peu
facile mais compréhensible, les plus exposés à d'éventuelles
poursuites en France, ce sont les "dealers", ceux qui
mettent à disposition. Pour l'instant nous ne menons
pas d'action du type de celle de la RIAA. Nous préférons
obtenir la coopération des fournisseurs d'accès et d'hébergement.
Etes vous prêt à engager des
procédures contre les particuliers, comme cela s'est
fait aux USA ?
Pas à ce stade. Nous ne nous interdisons rien mais
ce n'est pas notre objectif premier. Il faut d'abord
chercher à obtenir des FAI la coupure des sites illégaux.
Pour le peer to peer, il faut cependant être conscient
que des actions seront possibles si rien d'autre ne
l'est.
N'est il pas trop tard pour
le "un peu payant" ?
Non, je crois, sans naïveté, que les amateurs de
musique peuvent payer un abonnement pour des services
à valeur ajoutée : écoute en streaming + téléchargement
+ extraits promotionnels + infos sur les artistes, etc...C'est
en tout cas ce que disent les consommateurs quand on
les interroge, ceux qui ne sont pas définitivement perdus
!
Quels nouveaux business models
envisagez vous pour lutter contre le piratage, sans
pour autant poursuivre en justice les consommateurs
?
Nous pensons que les modèles d'abonnements
payants comme je viens de le dire ont un certain avenir
dès lors qu'évidemment, ils ont un prix adapté et qu'ils
sont à la fois riches en contenus et faciles à utiliser.
Aujourd'hui, iTunes marche aux USA parce qu'il est simple
à utiliser.
Comment expliquez-vous que
les titres les plus téléchargés en P2P ne correspondent
pas aux charts ? Cette clientèle vous échappe-t-elle
?
Tout dépend, c'est de moins en moins vrai, de nombreux
artistes placés en haut des charts sont de plus en plus
souvent téléchargés. Dernièrement Universal s'en est
rendu compte avec Matt. Ceci étant, beaucoup de téléchargements
se portent aussi sur des répertoires spécialisés, des
artistes moins connus. La clientèle qui nous échappe
est probablement plus jeune plus urbaine que la moyenne
et donc plus portée à la découverte.
Avez-vous des exemples d'artistes
dont les revenus ont baissé à cause du téléchargement
?
Telle quelle, la question ne peut pas faire
l'objet d'une réponse évidente artiste par artiste.
Il faut savoir que les revenus générés par l'industrie
baissent de 10% par an au niveau mondial. Et les artistes
n'y échapperont pas puisque, mécaniquement, moins de
disque vendus c'est moins de revenus. En toute hypothèse,
les revenus des artistes et des auteurs vont baisser
dans la suite logique de la baisse du chiffre d'affaires
des maisons de disques.
A combien estimez-vous le
prix qu'est prêt à mettre un internaute pour télécharger
un morceau de musique payant ?
Bonne question. A votre avis ? Je crois qu'il ne
faut pas aller au-delà d'1 euro. Mais je crois surtout,
je l'ai dit, à l'abonnement qui vous garantit un nombre
déterminé de téléchargements et/ou d'écoutes.
Maintenant que les gens se
sont habitués à la gratuité, comment comptez-vous les
convaincre de payer ?
En leur proposant une offre à forte valeur ajoutée,
facile à dire, plus difficile à faire mais on y travaille.
J'ai répondu à cela tout à l"heure. Il faut intégrer
à la fois du streaming, des téléchargements, des infos
artistes etc... Aujourd'hui, KaZaa c'est peut-être génial
mais ce n'est pas très "folichon".
Mais aucun site payant ne
marche en Europe, pourquoi ?
Parce-qu'il y en a encore très peu. Le démarrage
s'est fait aux Etats-Unis. J'espère que l'Europe va
par exemple bientôt pouvoir accéder à iTunes. Mais d'ores
et déjà, avec E-compil en France par exemple ou OD2,
des offres existent. Et n'oublions pas que pour avoir
des sites licites il faut résoudre énormément de problèmes
techniques et juridiques (négociations des droits auteurs-artistes)
et cela ne se fait pas en un jour.
iTunes n'ouvre pas en Europe
à cause des accords de distribution avec les labels.
C'est un peu honteux de votre part, non ?
Je n'y suis pour rien ; je suis personnellement favorable
à une large diffusion de la musique en ligne. Simplement,
ne croyez pas que c'est simple. Il y a de nombreuses
négociations juridiques et financières comme dans toute
activité économique.
Aux USA, Universal a annoncé
une baisse de 20 à 30% du prix des CD... Pensez-vous
que cette mesure peut réduire le piratage ou bien faites-vous
partie de ceux qui pensent qu'entre le gratuit et le
pas cher les gens iront toujours vers le gratuit ?
Je penche en effet pour la dernière analyse. Ceci étant,
nous allons vers une tendance baissière du prix en magasin,
c'est inéluctable. Il faut juste, petit détail qui a
son importance, que nous puissions conserver des marges
de réinvestissement.
Que pensez-vous vraiment des
FAI français ?
Je pense qu'ils se sont moqués du monde, voilà.
Télécoms et FAI sont les seuls qui se rémunèrent sur
le dos de ceux qui fabriquent des contenus. Je pense
que les choses vont évoluer positivement mais nous sommes
déterminés à obtenir un changement d'attitude. A terme,
de tout façon, si on veut qu'Internet se développe,
il faudra que nous puissions, tous les intervenants,
gagner notre vie. Il faut enfin comprendre qu'Internet
a besoin d'une chaîne de valeur gagnante pour tous.
Ce seraient donc les FAI qui
détiendraient les ficelles de la musique en ligne ???
Ca fait peur !
Mais oui, en tout cas les FAI se sont éperdument
moqués des contenus culturels. Ils commencent maintenant
à comprendre que l'utilisation de la bande passante
en ADSL pour du peer to peer n'est pas une fin en soi.
Les parlementaires français
ou européens sont-ils suffisamment sensibles au problème
du piratage selon vous ? Quels sont les moyens de les
mobiliser ?
Dans l'ensemble, les parlementaires européens ont
pris des positions favorables aux titulaires de droits
de propriété intellectuelle, notamment lors de la directive
sur les droits que va transposer la France d'ici quelques
mois. En France, justement, nos parlementaires sont
eux aussi plutôt favorables à des mesures qui protègent
les contenus. Ceci étant il existe aussi des partisans
de l'Internet vu comme un outil d'échange gratuit (car
alors supposé démocratique) et comme une avancée technologique.
Ces élus là ont alors tendance à s'imaginer, à tort,
que les créateurs et les producteurs seraient des empêcheurs
de tourner en rond. Enfin, le Parlement européen prépare
une directive sur la lutte contre la contrefaçon.
Le marché du disque pourrait-il
être contraint de s'orienter vers la production d'objets
plus complets ou plus séduisants (ex : packaging, bonus,
clips offerts, etc.) afin d'attirer à nouveau le consommateur
?
Certainement et nous avons commencé. De plus en
plus de disques ont des digipacks, de nouveaux supports
apparaissent comme le SACD, le DVD audio. Et surtout,
je crois que désormais, l'attrait pour le consommateur
proviendra de l'association du son et de l'image. Nous
allons vers des produits multimédia.
Vous utilisez quoi ? Kazaa,
Grokster, iTunes, un autre ?
J'utilise la Fnac et les mégastores, et j'attends
iTunes. J'adore ma discothèque vieillotte et je téléchargerai
quand j'aurai le temps à ma retraite ! Promis !
Seriez-vous disposé à faire
participer les artistes, afin qu'ils sensibilisent leur
auditoire en matière de piratage ?
La participation des artistes est évidemment souhaitable.
C'est à eux de voir comment agir. Je crois que les artistes,
certains d'entre eux en tout cas, n'ont pas encore pris
conscience des ravages que pourra leur faire l'accès
gratuit à leur musique. Au-delà des producteurs, leurs
managers sont, j'en suis certain, à même, de les mobiliser.
Franchement, vous trouvez
que la production discographique d'aujourd'hui est aussi
bonne qu'avant ?
Alors ça, c'est la question, pardon, à laquelle
je suis infichu de répondre. En littérature, on n'a
plus Sartre, Camus, Gide, Hugo, en cinéma on n'a plus
Hitchcock, Carné, Truffaut etc. En musique, on n'a plus
????? En fait je crois que la situation n'est pas mauvaise
en termes de création, sinon il n'y aurait pas autant
de monde aux concerts. Et depuis des années de nombreux
artistes sont apparus, une scène chanson française par
exemple, une scène techno, une scène rap, world etc.
Non, je crois que le problème vient non pas du contenu
du disque (ce qui est chanté) mais du contenant (la
rondelle), qui perd son aura.
Que pensez-vous de la concentrations
des majors en cours de discussion actuellement ?
Les concentrations par elles-mêmes sont le fruit
d'un mouvement général de l'économie qu'on peut évidemment
regretter. Mais pour autant, dans la production phonographique,
je ne crois pas que concentration = paupérisation de
l'offre musicale. Les majors investissent beaucoup sous
diverses formes dans la création. Et les concentrations
peuvent paradoxalement laisser un espace aux indépendants
car 1+1 ne fait jamais deux. Ceci étant, ces concentrations
sont contrôlées par Bruxelles et nul doute qu'il ne
faut pas aboutir, avec ces phénomènes, à la disparition
d'un secteur indépendant dynamique.
Après le fisc, Florent Pagny
va-t-il à votre avis faire une chanson sur le P2P ?
Pourquoi pas, si vous lui téléphoniez ? Ou alors
proposez lui le texte d'une chanson. Pascal Nègre lui
transmettra !
Peut-être la RIAA arrivera-t-elle
à faire fermer Kazaa... mais quid des P2P privés et
cryptés ? Ppas besoin de logiciels de P2P pour s'échanger
des fichiers !
Oui, je sais les difficultés d'agir, il faut rester
réaliste. Nous n'avons pas, à ce stade, la certitude
d'éradiquer la piraterie. Nous pensons, c'est déjà beaucoup
d'efforts, la marginaliser, la rendre plus compliquée,
plus risquée, etc. Et ce sera d'autant moins difficile
que, parallèlement, nous mettrons en place des sites
légaux de qualité.
Que pensez-vous des positions
défendues par David Bowie, qui se déclare prêt à renoncer
aux droits d'auteurs, la lutte semblant perdu d'avance,
et la créativité se nourrissant de cette forme de liberté
qu'est le piratage (mix, remix, etc.) ?
Ecoutez, je suis douloureusement compatissant de
savoir que David Bowie pourrait se passer de ses droits
alors qu'il les a valorisés en Bourse. Je n'ai pas la
prétention de résister à l'intelligence de Bowie ni
à son talent mais je pense que ce genre de position
ne mène nulle part. Qu'il faille laisser libre court
à la créativité, oui, mais que l'on ne vienne pas nous
dire qu'il n y a pas lieu d'être rémunéré.
|