Daniel Malouf (Auchan) "Nous construisons le cross-canal sous forme de parcours clients"

Comment Auchan, qui opère une marque unique pour ses activités magasin et Web, alimentaire et non-alimentaire, conçoit-il le cross-canal ? Son directeur e-commerce dévoile sa stratégie.

JDN. En quoi consiste votre stratégie e-commerce et cross-canal ?

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Daniel Malouf, DG d'Auchan E-Commerce © S. de P. Auchan

Daniel Malouf. Nous traçons une route dessinée il y a trois ans, qui fait d'Auchan la marque commune à l'e-commerce, au cross-canal et aux hypers, à l'alimentaire et au non-alimentaire. Cela n'a peut-être l'air de rien, mais ce choix a de nombreuses répercussions. Premièrement, il existe de nombreux pays où le site d'e-commerce d'Auchan doit aussi remplir une fonction de portail de la marque. Deuxièmement, pour faire d'Auchan une marque multicanale, il nous faut devenir référents sur Internet en termes de services et de promesse client, mais également beaucoup développer le cross-canal.

 

Sur le cross-canal, quelle est votre approche ?

Nous raisonnons en parcours de courses, plutôt que de façon générique. Le premier que nous avons mis en place est le retrait en magasin des achats en ligne. Le second, actif depuis novembre, est l'accès en magasin à une gamme de produits plus large. Sur les ordinateurs en magasin, les vendeurs peuvent commander un article pour les clients parmi un catalogue issu du site et adapté au point de vente. Ils leur proposent ensuite toutes les options de livraison possibles : en magasin, à domicile, en point de retrait... Ce deuxième parcours cross-canal, qu'en interne nous appelons "oui à la vente", obtient de très bons résultats. Nous testons actuellement à Lille et Bordeaux un troisième parcours client : la réservation sur Internet et le paiement et retrait en magasin quelques heures après. Et nous comptons déployer d'autres parcours encore, lorsque les phases de test sont concluantes.

 

Travaillez-vous aussi sur les parcours purement ROPO, research online purchase offline ?

Oui, car il est très important de démontrer la véritable valeur de ces parcours. En effet, il y a sans doute bien plus de gens qui préparent leurs achats sur Internet et se rendent en magasin pour réaliser l'achat - ceci sans qu'on puisse faire le lien entre les deux actions - que de gens qui réservent ou paient en ligne avant de récupérer leur article en magasin. Or sur certaines catégories de produits, ces "routes digitales" deviennent de plus en plus importantes. Il faut donc les travailler. C'est dans cette optique d'encouragement du ROPO que nous mettrons bientôt en valeur sur Internet des produits issus des gammes non-alimentaires des magasins.

 

"Nos trois grands chantiers sont l'humain, le SI et la supply chain"

Côté alimentaire, quels sont vos projets actuels ?

Notre défi consiste à fluidifier les parcours entre alimentaire et non-alimentaire, car nous sommes l'une des rares enseignes qui commercialisent ces deux segments sur un même site. Cela passe notamment par les drives. Mais nous utilisons aussi Internet pour être présents dans les centres-villes des grandes agglomérations, où nous n'avons pas d'hyper. Ainsi, nous avons ouvert mi-avril un premier "drive piéton" pour AuchanDirect, rue St Charles, dans le 15ème arrondissement de Paris. Ce point de retrait - où les commandes en ligne sont livrées sous trois heures, accessibles le soir jusqu'à 23 heures et conservées jusqu'au lendemain soir - offre une alternative très pratique à la livraison à domicile et sans frais de livraison pour le client.

 

Concrètement, qu'impliquent tous ces projets en termes de transformation de votre organisation ?

Le premier chantier est humain : il nous a fallu acquérir ces savoir-faire. J'en tire déjà un bilan très positif. 50% des collaborateurs d'Auchan E-Commerce nous ont rejoints de l'extérieur et nous ont enrichis de leur expertise. Et tous ces horizons différents ne nous ont pas empêchés de développer une vraie identité. Quant au défi de la transformation de l'organisation liée au cross-canal, nous conduisons le changement pour que tous les collaborateurs d'Auchan se sentent concernés et deviennent les ambassadeurs de cette transformation. C'est notre vrai objectif au quotidien. Les deux autres chantiers sont la transformation du système d'information et l'évolution de la supply chain.

 

Comment l'e-commerce et le cross-canal modifient-ils le SI et la supply chain d'Auchan ?

Côté système d'information, nous avons mis en place un référentiel clients unique pour l'ensemble des canaux. Il s'agit maintenant de bâtir aussi un référentiel produits commun, qui permettra par exemple au client de choisir le parcours qui lui convient le mieux en fonction de la disponibilité du stock que nous serons en mesure d'afficher. S'y ajoutent enfin toutes les questions de connaissance du client, c'est-à-dire de collecte et d'utilisation des datas clients.

"Nous allons travailler nos data pour mieux personnaliser la relation client"

Côté supply chain, selon les catégories de produits, nous devons soit créer une supply chain propre à l'e-commerce, soit la mutualiser avec celle des magasins. Pour le textile par exemple, les deux sont séparées, car la supply chain des hypers ne saurait pas traiter les commandes en ligne.

Sur ces trois chantiers, nous sommes satisfaits du chemin parcouru mais savons qu'il nous reste beaucoup à faire.

 

En matière de data clients, qu'avez-vous en tête ?

Notre référentiel clients unique existe depuis des années, mais nous voulons aujourd'hui le qualifier – par exemple avec les bonnes adresses email – et le développer, en volume. Nous voyons les limites de la communication de type broadcast, la même pour tous, et voulons utiliser la data pour procéder autrement. Nous allons définir les scénarios de personnalisation que nous voulons mettre en œuvre et en déduire quelles données et quelle segmentation sont nécessaires pour les alimenter.

Pour l'instant, les données provenant des magasins se limitent aux achats réalisés par les clients titulaires de notre carte de fidélité. Et les données issues du Web se bornent aux achats, que le client soit carté ou non. La première étape va consister à rajouter des données de navigation – si un internaute passe 30 minutes dans la rubrique jardinage, l'information nous intéresse beaucoup – et des données non structurées du type centres d'intérêt.

 

Comment GrosBill s'insère-t-il dans votre stratégie de marque unique ?

GrosBill et la marque d'alimentaire MieuxVivre sont les deux autres marques que nous avons développées. Il y a trois ans, lorsque j'ai repris les activités e-commerce d'Auchan et que nous avons pris ces décisions sur la stratégie de marque du groupe, GrosBill s'interrogeait sur l'opportunité d'un positionnement plus généraliste, comme plusieurs de ses concurrents. S'il avait pris cette direction, il aurait logiquement fini par être avalé dans Auchan. Mais à l'époque, nous avons décidé de réaffirmer son positionnement de spécialiste high-tech et cross-canal, qui méritait donc une marque en soi.

"Auchan a commencé à déployer des initiatives cross-canal à l'international"

C'est d'ailleurs pour accompagner cette identité cross-canal que nous avons ensuite reconfiguré ses "web stores" pour en faire de véritables magasins, qui ne servent pas uniquement de point de retrait mais stockent aussi de la marchandise et emploient des vendeurs. Et nous avons fermé Marseille et Toulouse pour concentrer nos efforts sur Paris, où GrosBill dispose de sept magasins en plus de celui de Lyon et de celui de Lille.

 

Etes-vous ouvert à l'idée de développer d'autres marques spécialistes ?

Pour l'instant nous consacrons tous nos investissements à la marque Auchan et cela restera le cas pendant les trois à cinq ans à venir. Ensuite, nous ne nous interdirons pas de racheter un site marchand, à condition qu'il ait un positionnement de spécialiste et présente bien sûr une excellente opportunité pour nous.

 

Déployez-vous à l'international la même politique e-commerce et cross-canal qu'en France ?

Notre choix stratégique a été de développer la France et de maîtriser notre marché domestique avant de passer à l'international. Mais maintenant que, sur certaines catégories de produits, nous avons une bonne compréhension des modèles commerciaux, opérationnels et économiques, nous pouvons commencer à les porter dans d'autres pays, en veillant bien sûr à les adapter au marché local.

Par exemple, nous avons ouvert les drives au Luxembourg il y a trois ans et la livraison alimentaire à domicile en Pologne il y a deux ans. Nous commençons à lancer certaines catégories non alimentaires sur Internet en Russie. Et nous nous apprêtons à ouvrir un drive accolé à Suzhou, près de Shanghai. A chaque fois, le projet est piloté sur place, par les équipes qui connaissent le marché, les comportements des clients et le Web local. Et quand c'est nécessaire, elles s'appuient sur les compétences développées en France.

 

Daniel Malouf est directeur général de la division e-commerce du groupe Auchan. Diplômé de l'INPG, il intègre le groupe en 1992 en tant que responsable logistique. Il devient directeur de l'approvisionnement logistique pour la région Est en 1998, puis directeur de l'organisation et de la conduite du changement d'Auchan France en 2001. En 2004 il prend la fonction de directeur des systèmes d'information et de l'organisation du groupe. En mars 2010 il est nommé DG de la division e-commerce. Celle-ci comporte, en France, les activités d'e-commerce sous la marque Auchan (Auchandirect et Auchan.fr) ainsi que le site de commerce électronique Grosbill, et, à l'international, l'ensemble des activités e-commerce du groupe dont le drive, dans les 15 pays où Auchan est présent.