Gouvernement vs Uber Pop: machiavélisme ou incompétence ?

Le 21 novembre dernier, le Tribunal de Commerce ne donnait pas raison aux entreprises de VTC qui accusaient Uber de concurrence déloyale avec son offre Uber Pop. C’est aujourd’hui que seront entendues les plaidoiries en Cour d’Appel.


Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur le rôle du Gouvernement dans cette affaire Uber Pop et plus largement, depuis la loi Thévenoud. VTC : entre politique, justice, communication, incompétence et / ou machiavélisme : à quoi joue le Gouvernement ?

On s’en souvient, Uber Pop est ce service qui permet à des chauffeurs particuliers non professionnels de prendre en charge des passagers. Il ne s’agit ni d’un service de taxis, ni d’un service de VTC comme la confusion ambiante le laisse parfois entendre.

Bien que ce ne soit pas l’objet principal de cette tribune, je pense pour ma part que la poursuite de ce service pose 2 questions qui dépassent largement le cadre du sujet qui nous occupe.

1)    Uber argue que la loi interdisant un service de chauffeurs particuliers est “obsolète”. Une obsolescence rapide puisqu’elle date d’octobre 2014 mais pour autant on est en droit d’avoir cette opinion. Je ne suis d’ailleurs pas le dernier à être critique sur cette loi. Néanmoins c’est la loi. La question est donc : dans une démocratie, qui est doté du super pouvoir de décider des bonnes et des mauvaises lois? Et par suite de s’arroger le privilège de ne pas respecter celles qui lui déplaisent ?

2)    Au cœur de l’« innovation » : les chauffeurs particuliers. Il serait plus juste et plus transparent de décrire leur activité par “travail au noir” puisqu’ils ne déclarent aucun revenu lié à cette activité ni n’acquittent de charges sociales. Là encore on pestera à loisir contre l’excès de taxes en France. Mais si l’« innovation » consiste en les contourner entièrement, convenons ensemble que les conséquences ne sont pas minces.

Mais revenons à ce qui nous occupe, la séquence que nous vivons, dont peu ont relevé le caractère sidérant. Cela commence avec la loi du 2 Octobre 2014, dite loi Thévenoud. Elle comporte l’article qui a fait couler beaucoup d’encre.

Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende le fait d’organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent aux activités mentionnées à l’article L. 3120-1 sans être des entreprises de transport routier… ni des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur.

Que sont les activités mentionnées à l’article L. 3120-1 ? Les activités de transport routier de personnes à titre onéreux de moins de 10 personnes. En clair, le taxi, le VTC et les moto-taxis. Bref, “organiser la mise en relation entre des clients et des non-professionnels du transport” = 2 ans de prison + 300 000€ d’amende.

Quelques semaines plus tard, 3 entreprises de VTC - SnapCar n’en fait pas partie - saisissent en référé le Tribunal de Commerce et poursuivent Uber pour concurrence déloyale. Par un jugement du 21 novembre, le Tribunal de Commerce ne donne pas raison aux plaignants. Pourquoi ? Voilà ce que dit en substance le Tribunal de Commerce : l’article traite de sanctions pénales. Aucune des parties ne nous a demandé de les appliquer. De plus si l’une des parties nous avaient demandé de les appliquer, s’agissant de sanctions pénales nous ne serions pas le tribunal compétent.

Ce jugement fait l’objet d’un Appel dont les plaidoiries sont prévues en Cour d’Appel aujourd’hui, 23 Février, nous y reviendrons.

Le 15 décembre, Pierre-Henri Brandet, porte-parole du Ministère de l’Intérieur, fait savoir sur i-Télé que Uber Pop sera arrêté le 1er Janvier 2015. Deux commentaires :

1.    Pourquoi le 1er Janvier et pas tout de suite? Nul ne sait. Certes, certains décrets d’application de la loi du 2 octobre sont attendus mais ils ne concernent en rien cet article. Il est déjà applicable car il ne nécessite aucun décret d’application.

2.    C’est le Ministère de l’Intérieur qui parle. Il n’y a pas de conditionnel ou de « peut-être ». Nous sommes en droit de penser qu’ils savent ce qu’ils disent ; et notamment qu’ils ont un plan d’action.

Confirmation ferme le 16 Décembre par Ségolène Royal, numéro 3 du Gouvernement Valls, au micro de Jean-Jacques Bourdin dans sa matinale RMC / BFM TV. Séquence.

  • JJB: Les taxis, vous confirmez l’interdiction d’Uber Pop à partir du 1er janvier ?
  • SR: C’est ce qui est prévu, en effet
  • JJB: Oui? Vous confirmez là ?
  • SR: Oui, là aussi, pourquoi les textes ont eu du retard …
  • Petite pause, note du rédacteur: de quoi parle-t-elle? Les textes sont applicables au moment de cet entretien
  • JJB: Oui les textes ont eu du retard
  • SR: Ce n’était pas utile de mettre tout le monde en pétard alors que les décisions avaient été prises et qu’il y a eu du retard … ….. 
  • SR. Enfin, bon, ce n’est pas grave, le problème est réglé.
  • JJB Le problème est réglé à partir du 1er janvier ?
  • SR. Voilà

On ne saurait être plus clair : « Le problème est réglé ». Madame Royal exprime la même certitude que M. Brandet. Cohérence.

Lorsque vers fin décembre nous rencontrons un représentant du Ministère de l’Intérieur, ils ne semblent plus aussi sûrs, c’est le moins qu’on puisse dire. Outre que la personne en charge vient d’arriver et ne connait pas encore complètement le dossier, ils affichent une position hallucinante : tout cela est un problème de communication, il faut rendre la situation plus claire dans les médias.

Attends, 5 minutes !

     QUI doit communiquer? Je n’ai pas bien saisi. Les VTC ? Le Ministère de l’intérieur? Je suis complètement perdu. Ce n’est pas le porte-parole de ce même Ministère qui vient d’affirmer haut et fort …

     Surtout en quoi s’agit-il d’un problème de communication? Après les déclarations de mi-décembre, on s’attend surtout à des actions concrètes.

L’année 2015 démarre. Evidemment situation strictement inchangée, tout cela n’était que rodomontades. Si ! On apprend dans un article du journal Le Monde du 12 Février que des arrestations de chauffeurs se sont produites. Il s’agirait d’une trentaine depuis le 1er Janvier. La voilà, la communication. Le Ministère de l’Intérieur agit et le fait savoir. On ose espérer qu’ils le font avec un peu plus de vigueur sur des sujets aux conséquences plus graves pour la sécurité des citoyens. Mais une question nous taraude : par action contre Uber Pop, il fallait comprendre non pas « attaque à la tête » mais contrôle - occasionnel - de quelques chauffeurs? Ils doivent en perdre le sommeil à San Francisco.

Hier matin, 17 Février, sur Europe 1 vers 7h20, interview de chauffeurs particuliers qui n’ont aucune intention d’arrêter. Et pour cause : ces quelques arrestations font partie d’un risque assumé. Surtout Uber a promis de payer les contraventions. Par conséquent la menace est sans effet.  

C’est là que la séance en Cour d’Appel de ce jour prend toute son importance. De deux choses l’une :

1)    Ou le jugement est inversé et la donne est bouleversée. Uber serait alors sommé d’arrêter sous astreinte de dizaines, voire centaines de milliers d’Euros par jour

2)    Ou le jugement est confirmé. Dans cette hypothèse une grève des taxis devient plus que probable. De nombreuses rumeurs se propagent selon lesquelles ils y sont prêts dès le jugement définitif connu.

Dans les deux cas, le Gouvernement se retrouve avec un soutien de poids dans sa lutte contre Uber Pop. Soit la justice vient en renfort, soit ce sont les taxis.

Peut-être sont-ils totalement incompétents. Peut-être sont-ils machiavéliques.

Pour une fois au lieu de la craindre, le Gouvernement miserait-il sur une grève des taxis et sur la paralysie du pays qui s’ensuit? Quoiqu’il en soit ils ne peuvent en ignorer la menace. Si elle se produit, le Gouvernement obtiendrait ainsi une justification forte – ramener l’ordre - à une action qui n’est pas initialement très populaire. On n’ose y croire mais l’hypothèse se tient.