INTERVIEW
 
19/12/2007

Gerd Leonhard (Sonific) : "La licence globale reste le seul avenir de la musique en ligne"

A quatre mois de la publication de son prochain ouvrage, le prospectiviste de la musique et d'Internet Gerd Leonhard livre sa vision du marché de la musique en ligne et préconise un changement radical de modèle économique.
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Gerd Leonhard
 
 
  • Co-fondateur et directeur général, Sonific
  • Auteur de "The End of Control" (sortie prévue en avril 2008)
 

Vous êtes en train de finaliser votre prochain ouvrage, "The end of control". De quel contrôle parlez-vous ?

Sur Internet, le problème de la musique aujourd'hui est le même que pour la télévision, la presse ou les jeux vidéo. Le nerf de la guerre est toujours le même : le contrôle de la distribution. Or si vous prenez le marché de la musique, ce contrôle n'est plus qu'une chimère. Que l'industrie du disque l'accepte ou non, n'importe quel titre est désormais disponible en téléchargement gratuit. Contrôler l'échange de musique sur Internet est une obsession du passé. Cela ne veut pas dire que la situation actuelle est souhaitable, mais il faut se rendre à l'évidence : il est déjà possible de télécharger gratuitement de la musique et cela n'ira pas en s'arrangeant.

 

Que préconisez-vous ?

Tout simplement de changer de modèle économique. Celui sur lequel repose l'industrie du disque aujourd'hui consiste à vendre un produit à l'unité, qu'il s'agisse de CD ou de fichiers musicaux. Je pense que le véritable enjeu sur lequel il faille travailler n'est pas le contrôle de la musique, mais celui de l'accès à la musique.

 

C'est-à-dire ?

Ce que l'industrie du disque doit vendre n'est plus le support, mais l'accès à la musique. Aujourd'hui les gens n'achètent plus de disques, ils cliquent pour l'écouter ou la télécharger. La seule vraie solution de monétisation de la musique, c'est donc le clic. La meilleure solution consisterait à instituer une redevance prélevée sur les abonnements à Internet. Elle serait collectée par les FAI puis reversée aux organismes de gestion collective comme la Sacem en France, qui redistribueraient ensuite ces sommes aux artistes au prorata des clics qu'ils génèrent.

 

Cette solution de licence globale a déjà été envisagée en France lors du vote de la loi Dadvsi en 2005. Or elle n'a pas été retenue, car un tel système de rémunération des artistes était jugé trop difficile à mettre en place…

Ce n'est pas si dur en réalité, puisque des systèmes de financement similaires existent pour la télévision ou la radio. Cela fait plus d'un siècle que la Sacem sait parfaitement le faire. Et ce mode de rémunération a l'avantage d'être accepté par les consommateurs. Actuellement, plus d'un milliard de personnes sont connectées à travers le monde. Imaginez que chacun paye quelques euros par mois pour télécharger à volonté, cela représente une perspective de revenus considérable. Je parle d'une taxe comprise dans le prix d'un abonnement Internet suffisamment petit pour que vous le consommateur ne le remarquiez même pas. Il existe par ailleurs d'autres moyens de monétiser une telle offre, comme la possibilité de recevoir des e-mails commerciaux, ou de participer gratuitement à des enquêtes en ligne.

 

"Les maisons de disque ne veulent pas perdre le contrôle du marché au profit des artistes"

Comment expliquez-vous alors que cette proposition ait été rejetée en France ?

Un tel système mettrait l'ensemble des artistes sur un pied d'égalité, ce qui déplait à la Sacem puisqu'elle ne souhaite pas transformer la musique en bien de consommation courant. Mais le premier opposant reste l'industrie du disque, qui a peur de perdre son rôle prédominant dans cette économie au profit des artistes eux-mêmes. En payant une licence globale, on paierait l'œuvre, pas sa distribution. Du coup, les maisons de disque perdraient le contrôle sur le marché. Et cela, elles n'en veulent pas.

 

S'agit-il d'un manque d'honnêteté de la part des majors ?

Non, je pense qu'elles ne se rendent même pas compte de ce que sont réellement les habitudes de consommation des médias aujourd'hui. La seule façon de consommer des médias pour les jeunes consiste à cliquer, ou d'appuyer sur le bouton d'une télécommande, ce qui revient au même. Cela veut dire que dans un an, si votre business ne génère pas de clics, vous êtes foutu. En fait, je pense que les majors ne croient pas pouvoir gagner de l'argent au clic et préfèrent donc s'entêter à vendre un produit. Le problème, c'est que l'industrie du disque agit de moins en moins dans l'intérêt des artistes, mais de plus en plus dans son propre intérêt, ce qui n'est pas la même chose. Seulement, si elle persiste à ne pas vouloir autoriser les fournisseurs d'accès à percevoir une licence globale, elle court droit à la faillite.

 

Que vous inspire l'accord Olivennes sur la lutte contre le piratage ?

"L'accord Olivennes va à l'opposé de ce qu'il faut faire"

Je pense qu'il va à contresens de ce qu'il faut faire. En fait l'idée de contrôler le réseau pour s'assurer que ce qu'y font les internautes est légal me semble complètement absurde. Il est déjà impossible d'empêcher les gens d'échanger de la musique, et surveiller les réseaux et sermonner les internautes ne changera pas la donne. La solution passe par l'adaptation aux envies des internautes.

 

La licence globale est donc l'avenir de la musique ?

La question n'est même plus de savoir si elle est ou pas l'avenir de la musique, mais à quelle échéance elle sera mise en place. Avec la multiplication des terminaux mobiles comme l'iPhone, il va devenir de plus en plus facile d'échanger d'un coup des centaines de fichiers, et inversement, de plus en plus difficile de contrôler ces transferts. Demain, avec la licence globale, il sera possible de copier des fichiers musicaux , car vous vous acquitterez régulièrement de ce droit. Les DRM deviendront de ce fait inutiles.

 

N'avez vous pas l'impression d'être excessivement optimiste ?

"L'âge des cartels musicaux est fini"

Non, je pense au contraire être parfaitement réaliste. Alors que le marché du disque s'effondre chaque jour un peu plus, les majors seront obligées de s'y plier si elles veulent conserver une source de revenus. C'est juste une question de temps.

 

Quelles transformations sur le marché entraînerait l'instauration d'une licence globale ?

Pendant plusieurs décennies les majors se sont contentées de gagner de l'argent en fabriquant des disques. Demain, le business de la musique va nécessiter beaucoup plus de travail de promotion des artistes, dont les retours sur investissement seront plus aléatoires. Je pense que dans dix ans, les maisons de disque ressembleront plus à des agents d'artistes qui auront à charge la gestion de leur image.

 

 
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Pensez-vous qu'elles l'accepteront ?

J'en doute. Les plus grosses majors sont surtout intéressées par l'activité de fabrication des disques, qui permet une meilleure optimisation des coûts et donc des profits. Je pense qu'une partie d'entre elles ne voudront plus jouer au nouveau jeu de la musique en ligne et qu'une bonne part d'entre elles se rabattra sur d'autres activités plus profitables. D'ici dix ans, il ne serait pas étonnant que 70 % du marché de la musique en ligne appartiennent à des labels indépendants. L'âge des cartels musicaux est fini.

 

 

 
PARCOURS
 
  Né en 1961 en Allemagne, Gerd Leonhard a étudié la théologie luthérienne à l'Université de Bonn, tout en cultivant une seconde vie de guitariste. En 1987, il change de voie et entre au Berklee College of Music de Boston, d'où il sort diplômé après avoir reçu le "prix Quincy Jones" du musicien jazz en 1985. Après une carrière de musicien d'une douzaine d'années (il tournera notamment en première partie de Miles Davis), Gerd Leonhard devient expert auprès de la Commission européenne sur les question de l'accès à l'art et à la culture et l'éducation. A la fin des années 90, il part vivre à San Francisco où il fonde LicenceMusic.com, une place de marché BtoB dédiée aux labels musicaux et aux distributeurs. Entrepreneur en série, il est actuellement co-fondateur et directeur général de Sonific, une start-up spécialisée dans la diffusion de musique pour les blogs et réseaux sociaux. Blogeur influent et prospectiviste, il a co-écrit en 2005 "The Future of Music" avec Dave Kusek. Son second livre, "The End of Control", doit être publié en avril 2008.  

 


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