Pierre Chappaz (Teads) "Nos données vont nous permettre de faire le pont entre TV, digital et monde physique"

Le patron de Teads explique pourquoi il a dit oui à Patrick Drahi et comment les data d'Altice mêlées aux siennes pourront concurrencer l'offre des géants de la publicité online.

Entre la possibilité de s'introduire au Nasdaq et celle de s'adosser à un grand groupe américain, l'avenir de Teads semblait plutôt se trouver outre-Atlantique depuis que les Etats-Unis sont devenus votre premier marché. Pourquoi décider finalement de vous rapprocher d'Altice ?

Pierre Chappaz, président exécutif de Teads. © S. de P. Teads

Nous avons beau avoir réalisé un chiffre d'affaires de 187 millions d'euros en hausse de 44 % entre 2015 et 2016, nous restons un petit acteur, trop petit pour une introduction en bourse.

Le marché US, le 1er marché pub au monde, est comme vous l'avez rappelé notre priorité. Altice n'est pas un inconnu sur ce marché où sa division Altice Media Solutions propose aux plus grands annonceurs une offre pub data-driven, couplant TV et digital. Je n'ai jamais vu un groupe TV aussi avancé sur le sujet du programmatique. Le groupe y vend déjà de la TV au CPM, rendez-vous compte !

L'autre enjeu de ce rapprochement est celui de la data. Un domaine sur lequel nous sommes encore défaillants, en dépit de certains partenariats avec des apporteurs de data tierce. La plateforme de Teads, qui combine adserver et SSP vidéo, va désormais pouvoir s'appuyer sur la donnée propriétaire d'Altice. Le groupe compte près de 50 millions de clients dans le monde.

"Altice vend déjà de la TV au CPM outre-Atlantique"

Nous avons désormais accès à des données qui vont nous permettre de faire le pont entre TV, digital et monde physique. Je pense notamment aux adresses physiques des abonnés. Une information que Facebook et Google n'ont pas. Car l'ambition de ce rapprochement, c'est aussi de devenir une alternative premium à ces deux géants adtech.

Altice compte 50 millions de clients quand Facebook revendique près de 1,9 milliard d'utilisateurs. N'êtes-vous pas encore très loin du compte ?

C'est une bonne question. Je rappelle que nous sommes la première place de marché vidéo dans le monde en couverture selon ComScore, avec 285 millions de VU mensuels fin 2016 sur desktop. Au global et en multi-devices, nous en revendiquons même 1,2 milliard. En couplant la data propriétaire d'Altice avec nos algorithmes, nous pensons être capable d'établir une véritable alternative.

"Travailler sur les données loguées d'Altice pour créer des jumeaux statistiques"

Prenons l'exemple d'une campagne média que nous avons lancée aux Etats-Unis pour le compte d'un producteur de séries TV. Nous nous sommes appuyés sur la data d'une des filiales d'Altice, l'opérateur de câble Optimum, qui compte 4 millions d'abonnés à New York. Nous avons été capable de segmenter cette base d'abonnée pour identifier les utilisateurs les plus à même d'être intéressés par le produit. Nous avons ensuite été capables d'identifier des jumeaux statistiques, "look alike", au sein des près de 200 millions d'internautes américains qui passent par notre réseau.

En France, les opérateurs ont beaucoup moins de marge de manœuvre pour tracker de la donnée comportementale via les boxes, utiliser les adresses physiques à des fins de ciblage publicitaire ou même faire de la pub TV ciblée….

Heureusement pour nous que le marché US est le premier marché pub au monde ! Plus sérieusement, vous avez raison et nous resterons toujours dans les clous de la loi. Mais je pense que les frontières entre la TV et le monde online vont tomber. 

Sur la question de la publicité ciblée en TV, je ne doute pas que la législation qui interdit pour l'instant d'en faire pour protéger les acteurs de la PQR et des radios locales évoluera. En attendant, BFM va devenir le premier groupe en France à permettre aux annonceurs de profiter d'une campagne ciblée multicanal : en TV via l'inventaire de BFM Paris et sur le Web via tout notre catalogue vidéo.

Vous vous félicitez de travailler avec la quasi-totalité des sites médias français. N'avez-vous pas peur qu'ils voient d'un mauvais œil votre rapprochement avec un concurrent et qu'ils décident d'arrêter de travailler avec vous ?

"Nos clients français ont bien pris l'annonce du rapprochement"

Nous avons informé nos principaux clients français de l'opération ce matin et je vous rassure, ils l'ont très bien pris. Beaucoup ont conscience de l'importance de dépasser leurs divergences et de travailler ensemble face à ces concurrents communs que sont Google et Facebook.

C'est la raison pour laquelle nous espérons faire de notre plateforme, la solution qui fédérera l'ensemble du marché autour de la data. Une plateforme dans laquelle nous mettrons à disposition la data du groupe SFR et où chaque média pourra venir apporter sa propre data. Qu'il s'agisse des données de navigation de ses visiteurs ou des données offline qu'il détient sur ses abonnées papiers. Une plateforme agnostique donc où chacun, en Europe comme aux Etats-Unis, pourra venir acheter et vendre de la data selon son bon vouloir. Nous espérons devenir ce tiers de confiance qui permettra aux grands éditeurs de proposer une alternative au duopole Facebook-Google