Yves Gassot (Idate) "Les opérateurs sont-ils condamnés à n'être plus que des distributeurs pour Facebook et Apple ?"

L'Idate organise les 16 et 17 novembre le DigiWorld Summit 2011, conférence internationale dans le domaine des télécoms et d'Internet, dont le JDN est partenaire. Son DG détaille les thématiques qui y seront abordées.

JDN. Pourquoi avez-vous choisi pour l'édition 2011 du Digiworld Summit le thème "Will the device be king ?" ?

Yves Gassot. Tous les ans nous essayons, tout en abordant l'ensemble des innovations télécom, Internet et média intervenues dans l'année, de trouver un thème d'actualité. Cette année, nous avons observé beaucoup d'innovations autour des terminaux. C'est particulièrement vrai dans le mobile avec l'essor des smartphones, de l'OS Android, la mise en difficulté de Nokia et son alliance avec Windows, les tracas de HP après son rachat de WebOS... L'actualité a aussi été portée par les tablettes, Apple ayant réussi le lancement de ce nouveau concept de terminal. Aujourd'hui, 10 % des foyers américains sont équipés d'une tablette ! L'année a également vu des innovations du côté des box d'accès haut débit, des set-top box des opérateurs, des TV connectées, mais aussi des e-readers.

Le device, c'est ce que le consommateur perçoit en premier comme une nouveauté. En outre, ce n'est pas seulement un objet au design et à l'ergonomie mieux conçus. C'est le plus souvent un élément d'un écosystème de plus en plus large. Ainsi iTunes et l'AppStore, qui entourent les terminaux d'Apple, génèrent tous deux du chiffre d'affaires. Regardez aussi Amazon, à l'initiative de nouveaux terminaux, comme le Kindle, pour compléter ses revenus de distributeur. Bref, nous considérons le terminal comme un élément de la grande guerre entre tous les écosystèmes. L'an dernier, nous nous demandions "Qui finance l'Internet du futur ?". Cette année, nous partons d'un autre maillon de la chaîne pour décrypter les stratégies des acteurs du secteur.

"La recette de la voix est amenée à s'effacer devant la valorisation du trafic data"

Quelles grandes problématiques seront-elles abordées ?

Nous nous demanderons d'abord quel sera le prochain succès en termes de smart device, après le smartphone, la tablette, l'e-reader et la TV connectée. Nous examinerons ensuite l'impact de ces smart devices sur les différents environnements : IPTV, broadband, presse, jeux vidéo... Il sera aussi question du cloud, sous l'angle "qui contrôle quoi ?" : comment s'organisent les stratégies - ouvertes ou fermées - de gestion des plates-formes entourant ces devices. Enfin, huit séminaires de haut niveau seront associés à ces conférences, sur la fibre, le LTE, la Net neutralité, les stratégies multi-écrans, les politiques "smart cities", les TIC et l'économie verte, les jeux vidéos et la santé.

Quels grands noms du secteur interviendront cette année ?

Tous les principaux acteurs seront là. AT&T, Verizon, Deutsche Telekom, Vodafone, Orange ou encore Telefonica chez les opérateurs. Samsung, HTC, Qualcom, Gemalto ou encore Technicolor du côté des fabricants. Mais également Microsoft, Facebook ou Google pour les acteurs d'Internet et des OS. J'ai deux regrets : l'absence d'Apple, qui ne participe jamais, et celle d'Amazon, pourtant un habitué du Digiworld Summit, qui n'a pas souhaité prendre la parole cette année. Au total ce sont 180 speakers qui se succèderont sur les deux jours, en consolidant les plénières et les séminaires.

Quelles sont les différentes keynotes prévues ?

Le président de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani, fera un point sur les grands dossiers de l'année, notamment sur les enchères pour les licences LTE. Le concepteur du service vedette iPlayer de la BBC, Antony Rose, présentera sa nouvelle société, Zeebox, qui combine la télévision et les réseaux sociaux. Le patron de Vodafone Europe, Michel Combes, examinera la position des opérateurs cellulaires au regard des fournisseurs de terminaux et des acteurs de l'Internet qui constituent les moteurs du succès d'Internet aujourd'hui : les opérateurs sont-ils condamnés à n'être plus que des distributeurs pour Facebook et Apple ? Nous aurons aussi la chance d'écouter Kris Alexander, le chief strategist d'Akamai, qui partagera sa vision de l'évolution du trafic Internet, vidéo notamment, et son articulation avec les terminaux. Le leader des CDN dispose, vous vous en doutez, de statistiques uniques en ce domaine. Le père de la X-box, Boyd Multerer de Microsoft, délivrera pour sa part une keynote autour du rôle grandissant des consoles, au-delà des jeux vidéo.

"La diminution des revenus des opérateurs européens est sensible"

Cette année a éclos un débat autour d'une tarification à la consommation du mobile. Quelle est votre position ?

La voix constitue une part minoritaire du trafic mobile et le trafic data est en croissance de 100 % par an mais la tarification se fait toujours en minutes téléphoniques. Il faut passer d'un paradigme à l'autre. La recette de la voix est amenée à s'effacer devant la valorisation du trafic data. Il faut segmenter le pricing en fonction des attentes variées des consommateurs, de manière à faire croître l'ARPU. Mais ceci dans un contexte où les opérateurs doivent subventionner l'achat des smartphones et où, d'autre part, l'innovation en matière de services et de contenus ne provient plus des opérateurs mais des acteurs du Web comme Google, Apple et Facebook.

Une autre problématique va également se poser : celle du multi-équipement. A côté de leur smartphone, les consommateurs possèderont une tablette et peut-être un hotspot personnel en LTE, sur lequel ils connecteront leurs différents terminaux. Comment faut-il facturer l'accès multi-devices ? Avec une facture par device, ou une facture un peu plus élevée qui couvre tous les devices ?

Faut-il s'inquiéter pour les finances des opérateurs ?

Le marché reste très porteur. Un acheteur de téléphone mobile sur deux acquiert un smartphone. Les smartphones vont encore beaucoup progresser, puisqu'ils ne représentent encore que 20 à 30 % de part de marché. Certes, cela représente un coût marketing pour les opérateurs qui les subventionnent, mais ces consommateurs prennent aussi des abonnements plus chers.

Toutefois, avec la baisse des terminaisons mobiles, la diminution des revenus des opérateurs européens est assez sensible. Et bien sûr, la situation économique reste préoccupante, surtout en Europe du Sud. La résilience traditionnellement accordée au secteur des télécoms est donc un peu mise à mal. Ainsi, les revenus mobiles en Grèce ont chuté de 15 % en un an. Au total, la moyenne des revenus des opérateurs européens a baissé de 2 % sur un an. Alors qu'aux Etats-Unis, ils ont augmenté de 5 à 6 % et l'ARPU est plus élevé.

Que vous inspire la polémique sur les ondes 4G qui brouilleraient la TNT ?

Si, comme au Royaume-Uni, nous attendons que le problème soit réglé pour attribuer les licences, nous risquons de rentrer dans une période d'incertitude sur la date des enchères. Or en la matière, l'Europe est en situation moins favorable que lorsqu'elle était leader sur la mobilité. Le LTE est en premier lieu tiré par Verizon et AT&T. L'Allemagne et les pays nordiques ont attribué leurs licences 4G, mais la France et le Royaume-Uni pas encore. C'est embêtant. D'autant que les opérateurs considèrent déjà que les licences sont chères et que le HSPA est suffisant pour faire face à l'augmentation des débits. Donc j'espère surtout que le problème sera vite réglé.

En prévision de l'arrivée de Free sur le mobile, les prix des forfaits mobiles des autres opérateurs ont baissé significativement. Free parviendra-t-il à proposer une offre réellement différenciante ?

Nul ne s'attendait à ce que les opérateurs mobiles actuels attendent l'arrivée de Free les bras croisés. Cela n'empêchera pas Free de pouvoir rapidement faire la différence en se basant sur sa marque très forte et sur son parc haut débit, un vrai atout face aux MVNO. Bien sûr, Free ne limitera pas son offre à des prix inférieurs et devra mettre en œuvre une vraie stratégie de conquête. La montée en charge de son réseau sera progressive, d'autant qu'il sera, au début, tributaire du réseau d'Orange. En outre, il devra apprendre à passer du métier de la voix mobile à celui de l'Internet mobile, ce qui est encore plus vrai avec l'arrivée du LTE, puisque c'est une technologie IP. C'est un autre monde.

Yves Gassot est directeur général de l'Idate depuis plus de 15 ans. Il a assuré en 2006 et 2007 une mission de conseiller spécial auprès de la Commissaire Européenne en charge de la Société de l'Information (Viviane Reding) à l'occasion de la Révision du cadre réglementaire sur les Communications électroniques. Il est membre de plusieurs conseils (Pacific Telecommunications Council, International Telecommunications Society, ...), de comité d'investissement (Iris Capital), membre associé du Conseil Général de l'Industrie, de l'Energie et des Technologies, membre du conseil de l'UFR d'Economie de Montpellier 1, directeur de la revue Communications & Strategies et responsable de la conférence annuelle de l'Idate ("DigiWorld Summit"). Yves Gassot est diplômé en architecture (DPLG Paris 1975), a obtenu un troisième cycle à Sciences Po Paris (1977) et a suivi le séminaire de l'Institut multimédia (1988).