Voiture autonome : l'indémêlable jeu des alliances

Voiture autonome : l'indémêlable jeu des alliances Acteurs de l'auto et de la tech sont forcés de collaborer pour préparer les véhicules autonomes et les services associés. Chacun choisit ses alliés.. qui, parfois, sont aussi des concurrents.

En pleine course mondiale pour développer leurs voitures autonomes, les constructeurs, équipementiers et entreprises technologiques ont dû se rendre à l'évidence : ils n'y arriveront jamais seuls. La plupart d'entre eux ont donc formé des alliances, et pas seulement entre entreprises de différents secteurs. Même des concurrents directs collaborent.

C'est que la voiture autonome change radicalement le processus de conception d'un véhicule, explique Franck Cazenave, directeur voiture autonome chez Bosch France. L'équipementier allemand a notamment noué des alliances avec Daimler et Nvidia. "Comme le véhicule sera géré de manière logicielle, il faut le développer en commun avec les différents fournisseurs pour intégrer leurs composants. Et dans le software, il faut créer les coutures entre le constructeur et l'équipementier." Résultat : la plupart des alliances réunissent les parties prenantes incontournables du véhicule autonome : les constructeurs ou les entreprises tech de voitures sans chauffeur, les fabricants de composants et de technologies de conduite autonomes tels qu'Intel et Mobileye, les équipementiers automobiles comme Bosch ou Continental.

Les alliances dans la voiture autonome
Industriels Tech Nature de la collaboration
Audi, BMW, Daimler Intel Cartographie
Audi Nvidia Système de conduite autonome
BMW, Continental, Delphi, Fiat-Chrysler Intel, Mobileye Système de conduite autonome
BMW Mobileye Cartographie, trafic
Bosch Nvidia Système de conduite autonome
Daimler, Bosch   Voiture autonome à la demande
Daimler Uber Voiture autonome à la demande
Ford Lyft Voiture autonome à la demande
GM Lyft Voiture autonome à la demande
GM Mobileye Cartographie, trafic
Nissan
Mobileye Cartographie, trafic
Toyota, Denso Corp Intel, ,Ericsson, NTT DoCoMo Cartographie, cloud
Toyota Nvidia Système de conduite autonome
Volkswagen
Mobileye Cartographie, trafic
Volvo, Autoliv Nvidia Système de conduite autonome
Volvo Uber Véhicules autonomes
Hella, ZF Nvidia Certification de sécurité des systèmes semi-autonomes
  Waymo, Lyft Voiture autonome à la demande
Baidu et 70 partenaires Plateforme de développement open source

Compléter ses compétences

N'ayant pas les compétences techniques en interne, les constructeurs sont les plus enclins à former toutes sortes d'alliances. Tous les grands s'y sont mis. Toyota travaille sur une cartographie et des systèmes d'assistance à la conduite basés sur le cloud avec Intel, les géants des télécoms Ericsson et NTT DoCoMo ainsi que l'équipementier Denso Corp. Le premier constructeur mondial est également engagé dans un partenariat avec le fabricant de semi-conducteurs Nvidia, dont Toyota utilise la plateforme d'intelligence artificielle Drive PX pour développer ses propres systèmes de conduite autonome, tout comme Volvo et Audi.

Partager les coûts de R&D

Des concurrents sont aussi capables de s'allier. C'est par exemple le cas de BMW, dont l'alliance avec Intel, Mobileye ainsi que les équipementiers Delphi et Continental, a accueilli en août un nouveau constructeur : Fiat-Chrysler. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW Group en France, ne voit aucun problème à s'allier avec des concurrents. "Ces alliances sont des démultiplicateurs de compétences et nous permettent de mutualiser les coûts de R&D." Il précise que l'alliance apporte à BMW les capteurs et la puissance informatique qu'elle ne possède pas. "En revanche, nous garderons en interne la maîtrise de la partie intelligence artificielle et l'analyse des données."

En 2015, BMW s'est même allié à deux de ses plus gros concurrents, Audi et Daimler (propriétaire de Mercedes), pour racheter à Nokia un précieux atout : la société Here. Cette dernière développe des cartes haute définition en 3D, essentielles pour qu'un véhicule autonome se repère sur la route. Une opération à 2,8 milliards d'euros, sur laquelle s'étaient également positionnés Uber et Amazon. Intel a rejoint les constructeurs allemands en prenant une participation de 15% dans Here en janvier 2017. L'enjeu est énorme, car il y aura peu d'autres services de cartographie pour véhicules autonomes que celui de Google.

"Nous avons trouvé un intérêt européen à limiter le degré de dépendance par rapport au quasi-monopole de Google"

Les constructeurs veulent éviter une nouvelle invasion de services des géants de la tech dans leurs véhicules, dont ils n'auraient pas la maîtrise des données, comme c'est en train de se produire avec les systèmes d'infotainement Android Auto (Google) et CarPlay (Apple). "Nous avons trouvé un intérêt européen à limiter le degré de dépendance par rapport au quasi-monopole de Google", reconnaît Jean-Michel Juchet. Conscient de l'opportunité, Mobileye, initialement spécialisé dans les capteurs et les systèmes d'évitement de collision, va mettre à profit ses capacités de vision par ordinateur pour développer son propre service de cartographie. La société israélienne a noué des accords début 2017 avec Volskwagen, BMW et Nissan pour utiliser les données prélevées par leurs véhicules.

Puces et capteurs au cœur des alliances

Cette méfiance des constructeurs à l'égard des entreprises technologiques comme Uber ou Waymo (filiale de la maison-mère de Google, Alphabet) se ressent dans les alliances. Nombre d'industriels maintiennent la Silicon Valley à distance. Les entreprises technologiques vont se positionner sur les mêmes services de mobilité autonomes que les constructeurs, qui font tout pour ne pas être relégués au rang de simples fournisseurs de hardware pour voitures sans chauffeur. Les rares collaborations sont d'ailleurs dans la fourniture de véhicules, comme Fiat Chrysler pour Waymo ou Lexus (Toyota) avec Apple. Les deux géants de la tech ont d'abord tenté de se passer des constructeurs et concevoir leurs propres véhicules, mais ont finalement décidé de se concentrer sur le développement de leurs systèmes de conduite autonome.  

Quelques constructeurs sont allés plus loin dans la coopération avec la tech. Comme Volvo, qui s'est alliée avec Uber, afin de partager les coûts de développement de son premier véhicule autonome.  Citons également GM et Ford : les deux groupes américains ont rejoint la plateforme ouverte du VTC américain Lyft, qui leur permet de profiter de ses compétences de mises en relation pour préparer des services de taxi à la demande sans chauffeur.

Peu importe l'alliance, certains noms reviennent très souvent : Intel, Mobileye (racheté par Intel en 2015) et Nvidia. Ces fournisseurs de composants et de puissance de calcul ont su se rendre indispensables et collaborent aussi bien avec les constructeurs et équipementiers automobiles qu'avec les entreprises de conduite autonome et les VTC. Leur intérêt à rejoindre toutes ces alliances est de préparer l'intégration en série de leurs composants aux véhicules, mais aussi d'entraîner leurs technologies en conditions réelles.

Une grande alliance en Chine

Une seule opportunité particulièrement alléchante a poussé les acteurs de la voiture autonome à véritablement s'unir : le marché chinois. Plus de 70 entreprises aux spécialités variées (constructeurs, équipementiers, semi-conducteurs, capteurs, software, VTC, navigation…) ont rejoint l'alliance open-source Apollo, lancée par Baidu, l'équivalent de Google en Chine, qui développe des technologies de conduite autonome. "C'est l'occasion d'en apprendre plus sur les opportunités du véhicule autonome pour le marché chinois, qui présente des aspects uniques", explique John Kwant, vice-président de la division mobilité intelligente de Ford, qui a rejoint Apollo. "En Chine, l'accès aux technologies GPS et la gestion des données sont très strictement encadrés. La collaboration est une très bonne manière de comprendre comment nous pourrons opérer là-bas un jour", poursuit-il.

Avec cette grande alliance open-source, Baidu espère dépasser ses concurrents occidentaux, qui développent leurs technologies dans leur coin ou au sein de plus petites alliances basées sur des solutions propriétaires. Et on ne devrait pas tarder à savoir ce que vaut cette collaboration ouverte : après des essais sur piste, des véhicules autonomes de Baidu ont commencé à apparaître sur routes ouvertes au nord de Pékin, rapportait le Financial Times le 22 novembre. L'entreprise profite du flou juridique entourant la pratique en Chine, en attendant une probable légalisation à partir de février 2018. Un nouveau front dans la guerre des alliances.

Alliances dan la voiture autonome : la timeline